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rendre eux-mêmes. Voici donc ce que dit le pere Sémelier sur l’ordonnance de 1311. Il est vrai que Philippe le Bel ne prétend pas empêcher qu’un créancier ne puisse exiger au-delà du principal qui lui est dû un intérêt légitime du prêt.... mais l’on n’est pas en droit d’inférer que ce prince ait par-là autorisé le prêt de commerce, [il a pourtant autorisé le lucrum quod de mutuo recipitur].... il en faut seulement conclure qu’il permet que le créancier, par le titre du lucre cessant, ou du dommage naissant, reçoive des intérêts légitimes ; nous le dirons dans le livre sixieme qui suit ; mais alors, ajoute notre conférencier, ce n’est plus une usure. Confér. ecclésiast. p. 136.

Puisque cet intérêt si juste que l’on tire du prêt, cet interesse legitimum ex mutuo, ce lucrum quod de mutuo recipitur, n’est pas un profit illicite, ou ce que l’école appelle une usure, nous sommes enfin d’accord, & nous voila heureusement réconciliés avec nos adversaires ; car c’est-là tout ce que nous prétendons. Etoit-ce la peine de tant batailler pour en venir à un dénoument si facile ?

J’avois bien raison de dire en commençant que tout ceci n’étoit qu’une question de mots. On nous accorde en plein tous ce que nous demandons ; desorte qu’il n’y a plus de dispute entre nous, si ce n’est peut-être sur l’odieuse dénomination d’usure, que l’on peut abandonner, si l’on veut, à l’exécration publique, en lui substituant le terme plus doux d’intérêt légal.

Qu’on vienne à présent nous objecter les prophètes & les peres, les constitutions des papes & les ordonnances des rois. On les lit sans principe, on n’en voit que des lambeaux, & on les cite tous les jours sans les entendre & sans en pénétrer ni l’objet, ni les motifs ; ils n’envisagent tous que l’accomplissement de la loi, ou, ce qui est ici la même chose, que le vrai bien de l’humanité ; or, que dit la loi sur ce sujet, & que demande le bien de l’humanité ? Que nous secourions les nécessiteux & par l’aumône, & par le prêt gratuit, ce qui est d’autant plus facile, qu’il ne leur faut que des secours modiques. Voilà dans notre espece à quoi se reduisent nos devoirs indispensables, & la loi ne dit rien qui nous oblige au-delà. Dieu connoît trop le néant de ce qu’on nomme commodités, fortune & grandeur temporelle pour nous faire un devoir de les procurer à personne, soit en faisant des dons à ceux qui sont dans l’aisance, ou, ce qui n’est pas moins difficile, en prêtant des grandes sommes sans profit pour nous. En effet, qu’un homme s’incommode & nuise à sa famille pour prêter gratis à un homme aisé, où est-là l’intérêt de la religion & celui de l’humanité ?

Revenons donc enfin à la diversité des tems, à la diversité des usages & des lois. Autrefois l’usure étoit exorbitante, on l’exigeoit des plus pauvres, & avec une dureté capable de troubler la paix des états ; ce qui la rendoit justement odieuse. Les choses ont bien changé ; les intérêts sont devenus modiques & nullement ruineux. D’ailleurs, grace à notre heureuse législation, comme on n’a guere de prise aujourd’hui sur la personne ; les barbaries qui accompagnoient jadis l’usure, sont inconnues de nos jours. Aussi ne prête-t-on plus qu’à des gens réputés solvables ; &, comme nous l’avons déjà remarqué, les pauvres sont presque toujours de trop dans la question présente. Si l’on est donc de bonne foi, on reconnoîtra que les prêts de lucre ne regardent que les gens aisés, ou ceux qui ont des ressources & des talens. On avouera que ces prêts ne leur sont point onéreux, & que bien différens de ceux qui avoient cours dans l’antiquité, jamais ils n’ont excité les clameurs du peuple contre les créanciers. On reconnoîtra même que ces prêts sont très-utiles au corps politique, en ce que les riches fuyant presque

toujours le travail & la peine, & par malheur les hommes entreprenans étant rarement pécunieux, les talens de ces derniers sont le plus souvent perdus pour la société, si le prêt de lucre ne les met en œuvre. Conséquemment on sentira que si la législation prenoit là-dessus un parti conséquent, & qu’elle approuvât nettement le prêt de lucre au taux légal, elle feroit, comme on l’a dit, le vrai bien, le bien général de la société, elle nous épargneroit des formalités obliques & ruineuses ; & nous délivreroit tout d’un coup de ces vaines perplexités qui ralentissent nécessairement le commerce national.

C’est affoiblir des raisons triomphantes que de les confirmer par des autorités dont elles n’ont pas besoin. Je cede néanmoins à la tentation de rappeller ici l’anonyme, qui, sur la fin du dernier siecle, nous donna la pratique des billets ; un autre qui a publié dans ces derniers tems un in-4°. sur les prêts de commerce ; ouvrage qui l’emporte beaucoup sur le premier, & qui fut imprimé à Lille en 1738. Je cite encore avec Bayle le célebre de Launoy, docteur de Paris, le pere Séguenot, de l’oratoire, M. Pascal, M. le premier président de Lamoignon, &c. Je cite de même M. Perchambaut, président du parlement de Bretagne ; & pour dire encore plus, Dumoulin, Grotius, Puffendorf, Saumaise & Montesquieu. Tous ces grands hommes ont regardé comme légitimes de modiques intérêts pris sur les gens aisés, & ils n’ont rien apperçu dans ce commerce qui fût contraire à la justice ou à la charité. Voyez Nouvelles de la république des lettres, Mai 1685, p. 571, F. de V.

Victricem meditor justo de senore causam
Annus hic undecies dum mihi quintus adest.

Article de M. Faiguet. (1758.)

Usure, s. f. (Jurisprud.) il ne faut pas confondre l’usure avec le profit que l’on tire du louage, ce profit étant toujours permis, lorsqu’on le perçoit pour une chose susceptible de location, & qu’il est réglé équitablement.

On n’entend par usure que le profit que l’on tire du prêt ; encore faut-il distinguer deux sortes de prêts, appellés par les Latins commodatum & mutuum.

Le premier que nous appellerons commodat, ou prêt à usage, faute d’expression propre dans notre langue pour le distinguer de l’autre sorte de prêt appellé mutuum, est celui par lequel on donne gratuitement une chose à quelqu’un, pour en user pendant un certain tems, sous condition de la rendre en nature après le tems convenu. Ce prêt doit être gratuit, autrement ce seroit un louage.

L’autre prêt appellé mutuum, quasi mutuatio, est celui par lequel une chose fungible, c’est-à-dire qui peut être remplacée par une autre, comme de l’or ou de l’argent, monnoyé ou non, du grain, des liqueurs, &c. est donnée à quelqu’un pour en jouir pendant un certain tems, à condition de rendre, non pas la même chose identiquement, mais la même quantité & qualité.

Ce prêt appellé mutuum, devoit aussi être gratuit ; & lorsqu’il ne l’étoit pas, ce qui étoit contre la nature de ce contrat, on l’appelloit fœnus, quasi fœtus, seu partus ; & le profit que l’on tiroit de l’argent, ou autre chose fungible ainsi prêtée, fut ce que l’on appella usura, usure.

On voit dans l’Exode, ch. xxij. que le prêt gratuit appellé mutuum, étoit usité ; mais il n’y est pas parlé du prêt à usure.

Le ch. xxiij. du Deutéronome le défend expressément : Non fœnerabis fratri tuo ad usuram pecuniam, nec fruges, nec quamlibet aliam rem, sed alieno. Fratri tuo absque usura, id quod indiget commodabis, ut benedicat tibi Dominus, &c.

Il étoit donc défendu de prêter à usure à son frere,