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Après la consommation de cet assemblage de bois, des prêtres avoient soin de se porter sur le foyer pour y distinguer les restes du corps, & les mettre dans un vase, qui, selon que la quantité des cendres ou des ossemens consumés, dominoit, prenoit le nom de cinerarium ou celui d’ossuarium.

La cérémonie du choix de ces restes, exprimée par les termes de reliquias legere, étoit un devoir si essentiel à la religion, que plus les morts avoient été qualifiés, plus cette cérémonie s’observoit scrupuleusement.

Suétone nous apprend, que ce fut de la maniere qu’on vient de décrire, que se fit le choix des restes du corps d’Auguste. Eutrope rapporte la même chose à l’égard de celui de Trajan, dont les os brûlés furent mis dans une urne d’or, placée sous sa colonne, & ceux de Septime Sévere, selon Xiphilin, furent recueillis dans un vase de porphyre. (D. J.)

USUCAPION, s. m. (Droit natur. & Droit rom.) l’usucapion est une maniere d’acquérir la propriété, par une possession non interrompue d’une chose, durant un certain tems limité par la loi.

Toutes personnes capables d’acquérir quelque chose en propre, pouvoient, selon les jurisconsultes romains, prescrire valablement. On acquéroit aussi par droit d’usucapion, toutes sortes de choses, tant mobiliaires qu’immeubles ; à moins qu’elles ne se trouvassent exceptées par les lois, comme l’étoient les personnes libres ; car la liberté a tant de charmes qu’on ne néglige guere l’occasion de la recouvrer : ainsi il y a lieu de présumer que si quelqu’un ne l’a pas reclamée, c’est parce qu’il ignoroit sa véritable condition, & non pas qu’il consentit tacitement à son esclavage : de sorte que plus il y a de tems qu’il subit le joug, & plus il est à plaindre, bien-loin que ce malheur doive tourner en aucune maniere à son préjudice, & le priver de son droit.

On exceptoit encore les choses sacrées, & les sépulcres qui étoient regardés comme appartenans à la religion : les biens d’un pupille, tandis qu’il est en minorité ; car la foiblesse de son âge ne permet pas de le condamner à perdre son bien, sous prétexte qu’il ne l’a pas revendiqué ; & il y auroit d’ailleurs trop de dureté à le rendre responsable de la négligence de son tuteur.

On mettoit au même rang les choses dérobées, ou prises par force, & les esclaves fugitifs, lors même qu’un tiers en avoit acquis de bonne foi la possession : la raison en est que le crime du voleur & du ravisseur, les empêche d’acquérir par droit d’usucapion, ce dont ils ont dépouillé le légitime maître, reconnu tel.

Le tiers, qui se trouve possesseur de bonne foi, ne sauroit non plus prescrire, à cause de la tache du larcin ou du vol, qui est censée suivre la chose : car, quoiqu’à proprement parler, il n’y ait point de vice dans la chose même, cependant comme c’est injustement qu’elle avoit été ôtée à son ancien maître, les lois n’ont pas voulu qu’il perdît son droit, ni autoriser le crime en permettant qu’il fût aux méchans un moyen de s’enrichir, d’autant plus que les choses mobiliaires se prescrivant par un espace de trois ans, il auroit été facile aux voleurs de transporter ce qu’ils auroient dérobé, & de s’en défaire dans quelque endroit où l’ancien propriétaire ne pourroit l’aller déterrer pandant ce tems-là.

Ajoutez à cela qu’une des raisons pourquoi on a établi la prescription, c’est la négligence du propriétaire à réclamer son bien : or ici on ne sauroit présumer rien de semblable, puisque celui qui a pris le bien d’un autre, le cache soigneusement. Cependant comme dans la suite les lois ordonnerent que toute action, c’est-à-dire, tout droit de faire quelque demande en justice, s’éteindroit par un silence per-

pétuel de trente ou quarante ans ; le maître de la

chose dérobée n’étoit point reçu à la revendiquer après ce tems expiré, que l’on appelle le terme de la prescription d’un très-long tems.

Je sais bien qu’il y a plusieurs personnes qui trouvent en cela quelque chose de contraire à l’équité, parce qu’il est absurde, disent-ils, d’alléguer comme un bon titre, la longue & paisible jouissance d’une usurpation, ou du fruit d’une injustice ; mais cet établissement peut être excusé par l’utilité qui en revient au public. Il est de l’intérêt de la société, que les querelles & les procès ne se multiplient pas à l’infini, & que chacun ne soit pas toujours dans l’incertitude de savoir si ce qu’il a lui appartient véritablement. D’ailleurs, le genre humain changeant presque de face dans l’espace de trente ans, il ne seroit pas à propos que l’on pût être troublé par des procès intentés pour quelque chose qui s’est passé comme dans un autre siecle ; & comme il y a lieu de présumer qu’un homme après s’être passé trente ans de son bien, est tout consolé de l’avoir perdu ; à quoi bon inquiéter en sa faveur, celui qui a été si long-tems en possession ? On peut encore appliquer cette raison à la prescription des crimes : car il seroit supperflu de rappeller en justice les crimes dont un long tems a fait oublier & disparoître l’effet, ensorte qu’alors aucune des raisons pourquoi on inflige des peines, n’a plus de lieu.

Pour acquérir par droit d’usucapion, il faut premierement avoir acquis à juste titre la possession de la chose dont celui de qui on la tient, n’étoit pas le véritable maître, c’est-à-dire posséder en vertu d’un titre capable par lui même de transférer la propriété, & être d’ailleurs bien persuadé qu’on est devenu légitime propriétaire ; en un mot posséder de bonne foi.

Selon les lois romaines, il suffit que l’on ait été dans cette bonne foi au commencement de la possession ; mais le droit canonique porte que si avant le terme de la prescription expiré, on vient à apprendre que la chose n’appartenoit pas à celui de qui on la tient, on est obligé en conscience de la restituer à son véritable maître, & qu’on la détient désormais de mauvaise foi, si du moins on tâche de la dérober adroitement à la connoissance de celui à qui elle appartient.

Cette derniere décision paroît plus conforme à la pureté des maximes du droit naturel ; l’établissement de la propriété ayant imposé à quiconque se trouve en possession du bien d’un autre, sans son consentement, l’obligation de faire ensorte, autant qu’il dépend de lui, que la chose retourne à son véritable maître. Mais le droit romain, qui n’a égard qu’à l’innocence extérieure, maintient chacun en paisible possession de ce qu’il a acquis, sans qu’il y eût alors de la mauvaise foi de sa part, laissant au véritable propriétaire le soin de chercher lui-même & de réclamer son bien.

Au reste la prescription ne regarde pas seulement la propriété, à prendre ce mot, comme nous faisons, dans un sens qui renferme l’usucapion, & la prescription proprement ainsi nommée : elle anéantit aussi les autres droits & actions, lorsqu’on a cessé de les maintenir, & d’en faire usage pendant le tems limité par la loi. Ainsi un créancier qui n’a rien demandé pendant tout ce tems-là à son débiteur, perd sa dette. Celui qui a joui d’une rente sur quelque héritage, ne peut plus en être dépouillé, quoiqu’il n’ait d’autre titre que sa longue jouissance. Celui qui a cessé de jouir d’une servitude pendant le même tems, en perd le droit ; & celui au-contraire qui jouit d’une servitude, quoique sans titre, en acquiert le droit par une longue jouissance. Voyez sur toute cette matiere Daumat, Lois civiles dans leur ordre naturel ; I. part.