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la troisieme même il peut, ne differe alors des deux premieres que par le t, qui en est le caractere propre.

Il faut prendre garde au reste, que je ne prétends autoriser les raisonnemens analogiques que dans deux circonstances ; savoir, quand l’usage est douteux, & quand il est partagé. Hors de-là, je crois que c’est pécher en effet contre le fondement de toutes les langues, que d’opposer à l’usage général les raisonnemens même les plus vraissemblables & les plus plausibles ; parce qu’une langue est en effet la totalité des usages propres à une nation pour exprimer la pensée par la parole, voyez Langue, & non pas le résultat des conventions réfléchies & symmétrisées des philosophes ou des raisonneurs de la nation.

Ainsi l’abbé Girard, qui a consulté l’analogie avec tant de succès en faveur de je vas, en a abusé contre la lettre x qui termine les mots je veux, tu peux, tu veux, tu peux. « J’avoue l’usage, dit-il, ibid. p. 91. & en même tems l’indifférence de la chose pour l’essentiel des regles… Si je m’éloigne dans certaines occasions des idées de quelques grammairiens ; c’est que j’ai attention à distinguer ce que la langue a de réel, de ce que l’imagination y suppose par la façon de la traiter, & le bon usage du mauvais autant que je les peus connoître… Quant à s au-lieu d’x en cette occasion, j’ai pris ce parti, parce que c’est une regle invariable que les secondes personnes tutoyantes finissent par s dans tous les verbes, ainsi que les premieres personnes quand elles ne se terminent pas en e muet ». Cet habile grammairien n’a pas assez pris garde qu’en avouant l’universalité de l’usage qu’il condamne, il dément d’avance ce qu’il dit ensuite, que de terminer par s les secondes personnes tutoyantes, & les premieres qui ne sont point terminées par un e muet, c’est dans notre langue une regle invariable ; l’usage de son aveu, a varié à l’égard de je peux & je veux. Il réplique que ce dernier usage est mauvais, & qu’il a attention à le distinguer du bon. C’est un vrai paralogisme ; l’usage universel ne sauroit jamais être mauvais, par la raison toute simple que ce qui est très-bon n’est pas mauvais, & que le souverain degré de la bonté de l’usage est l’universalité.

Mais cet usage, dont l’autorité est si absolue sur les langues, contre lequel on ne permet pas même à la raison de reclamer, & dont on vante l’excellence, sur-tout quand il est universel, n’a jamais en sa faveur qu’une universalité momentanée. Sujet à des changemens continuels, il n’est plus tel qu’il étoit du tems de nos peres, qui avoient altéré celui de nos ayeux, comme nos enfans altéreront celui que nous leur aurons transmis, pour y en substituer un autre qui essuiera les mêmes révolutions.

Ut sylvæ foliis pronos mutantur in annos,
Prima cadunt ; ita veroorum vetus interit ætas,
Et juvenum ritu florent modo nata vigentque…
Nedum sermonum stet honor & gratia vivax,
Multa renascentur quæ jam cecidêre, cadentque
Quæ nunc sunt in honore vocabula, si volet usus,
Quem penes arbitrium est, & jus, & norma loquendi.
 Art. poët. Hor.

Quel est celui, de tous ces usages fugitifs qui se succedent sans fin comme les eaux d’un même fleuve, qui doit dominer sur le langage national ?

La réponse à cette question est assez simple. On ne parle que pour être entendu, & pour l’être principalement de ceux avec qui l’on vit : nous n’avons aucun besoin de nous expliquer avec notre postérité ; c’est à elle à étudier notre langage, si elle veut pénétrer dans nos pensées pour en tirer des lumieres, comme nous étudions le langage des anciens

pour tourner au profit de notre expérience leurs découvertes & leurs pensées, cachées pour nous sous le voile de l’ancien langage. C’est donc l’usage du tems où nous vivons qui doit nous servir de regle ; & c’est précisément à quoi pensoit Vaugelas, & ce que j’ai envisagé moi-même, lorsque lui & moi avons fait entrer dans la notion du bon usage, l’autorité des auteurs estimés du tems.

Au-surplus, entre tous ces usages successifs, il peut s’en trouver un, qui devienne la regle universelle pour tous les tems, du-moins à bien des égards. « Quand une langue, dit Vaugelas (Praf. art. x. n. 2.) a nombre & cadence en ses périodes, comme la langue françoise l’a maintenant, elle est en sa pefection ; & étant venue à ce point, on en peut donner des regles certaines qui dureront toujours. … Les regles que Cicéron a observées, & toutes les dictions & toutes les phrases dont il s’est servi, étoient aussi bonnes & aussi estimées du tems de Séneque, que quatre-vingt ou cent ans auparavant ; quoique du tems de Séneque on ne parlât plus comme au siecle de Cicéron, & que la langue fût extrémement déchue. »

J’ajouterai qu’il subsiste toujours deux sources inépuisables de changement par rapport aux langues, qui ne changent en effet que la superficie du bon usage une fois constaté, sans en altérer les principes fondamentaux & analogiques : ce sont la curiosité & la cupidité. La curiosité fait naître ou découvre sans fin de nouvelles idées, qui tiennent nécessairement à de nouveaux mots ; la cupidité combine en mille manieres différentes les passions & les idées des objets qui les irritent, ce qui donne perpétuellement lieu à de nouvelles combinaisons de mots, à de nouvelles phrases. Mais la création de ces mots & de ces phrases, est encore assujettie aux lois de l’analogie qui n’est, comme je l’ai dit, qu’une extension de l’usage à tous les cas semblables à ceux qu’il a déja décidés. On peut voir ailleurs, (Néologisme & Phrase.) ce qu’exige l’analogie dans ces occurrences.

Si un mot nouveau ou une phrase insolite se présentent sans l’attache de l’analogie, sans avoir, pour ainsi dire, le sceau de l’usage actuel, signatum præsente notâ (Hor. art. poët.) ; on les rejette avec dédain. Si, nonobstant ce défaut d’analogie, il arrive par quelque hasard qu’une phrase nouvelle ou un mot nouveau, fassent une fortune suffisante pour être enfin reconnus dans la langue ; je réponds hardiment, ou qu’insensiblement ils prendront une forme analogique, ou que leur forme actuelle les menera petit-à-petit à un sens tout autre que celui de leur institution primitive & plus analogue à leur forme, ou qu’ils n’auront fait qu’une fortune momentanée pour rentrer bientôt dans le néant d’où ils n’auroient jamais dû sortir. (E. R. M. B.)

Usage, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

Usage d’une chose est lorsqu’on s’en sert pour son utilité.

Le propriétaire d’une chose est communément celui qui a droit d’en faire usage, un tiers ne peut pas de son autorité privée l’appliquer à son usage particulier.

Mais le propriétaire peut céder à un autre l’usage de la chose qui lui appartient, soit qu’il la prête gratuitement, soit qu’il la donne à loyer.

Usage, ou droit d’usage, est le droit de se servir d’une chose pour son utilité personnelle.

L’usage considéré sous ce point de vue, est mis dans le droit romain au nombre des servitudes personnelles, c’est-à-dire, qui sont dues à la personne directement.

Il differe de l’usufruit en ce que celui qui a droit