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ve ou dangereuse, elle n’est qu’une incommodité très désagréable ; elle est pour l’ordinaire incurable, surtout chez les vieillards ; les enfans sont les seuls qui en guérissent parfaitement, & même avec assez de facilité, souvent par la seule force du tempérament que l’âge donne en augmentant, quelquefois par l’efficacité des secours que la médecine fournit.

Le peu de succès des remedes ordinaires, administrés suivant les diverses indications, a fait recourir pour emporter cette maladie, à des médicamens singuliers, absurdes, qu’on a regardés comme très appropriés dans tous les cas, sans avoir égard à la différence des causes, & qu’on a décorés du titre imposant de spécifique. Sous ce beau nom, ont paru successivement recommandés par différens auteurs, le gosier d’un coq roti, desseché & mis en poudre ; la vessie d’une chevre, ou d’un sanglier, préparée de même, & donnée à la dose d’un gros dans un verre de vin rouge ; les parties génitales externes de la truie, cuites avec les choux pommés ; le poisson qui se trouve dans l’estomac des brochets, les cendres d’un hérisson, la gomme arabique, le styrax, la cire, la mirrhe, le calament, la menthe, le gland, le millepertuis, &c. mais de tous les remedes de cette espece, il n’y en a point qui ait eu plus de vogue, & qui soit si généralement vanté, que les souris qu’on fait manger roties, ou dont on donne la cendre ; mais ce remede est particulierement destiné à guérir l’incontinence d’urine qu’éprouvent les enfans. Pline assure que de son tems on s’en servoit avec succès (Hist. nat. lib. XXX. cap. xv.). Dans une édition de Sérénus, citée par Gesner, on voit qu’il recommande :

Ex vino muris tritus (cinis) vel lacte capellæ.

Benedictus Vermensis, Bayrus, Forestus, &c. rapportent des observations qui constatent cette vertu dans les souris. Ce dernier assure avoir vu donner ce remede avec un très-grand succès, par les bonnes femmes de Delphes (Schol. obs. 22. lib. XXV.). Dans la seconde année des éphémerides des curieux de la nature, il y a une observation encore plus remarquable, d’une fille âgée de dix-huit ans, qui étoit sujette dès son enfance à cette maladie, & dont les regles étoient encore suspendues, elle en fut parfaitement guérie en mangeant quelques souris roties, par le conseil d’une femme qui, pour l’engager à user de ce remede, lui raconta que son propre fils en avoit éprouvé l’efficacité, & avoit été délivré par ce moyen, d’une incontinence d’urine qui l’incommodoit depuis quinze ans. Enfin tout le monde peut avoir vu arriver, ou entendu raconter des histoires semblables. Après un si grand nombre d’observations décisives, & de témoignages authentiques, je ne vois pas trop comment on pourroit nier & méconnoître cette propriété dans les souris ; la maniere dont elles operent cet effet est inconnue, j’en conviens : mais est-on fondé à rejetter un fait, parce qu’on a des lumieres trop bornées pour en trouver la raison, & d’ailleurs est-on plus éclairé sur la façon d’agir des autres remedes ? quoi qu’il en soit, ce remede est innocent, il n’y a aucun mauvais effet à en craindre ; les souris servent de nourriture ordinaire aux peuples de Calecut, & on mange en France, dans certaines provinces, les rats d’eau. Ainsi un médecin prudent, instruit que les plus ignorans peuvent donner de bonnes idées, ne dédaignera point ce remede parce qu’il est conseillé par les bonnes femmes, & pourra dans l’occasion en permettre, ou même en conseiller l’usage.

Il y a un autre remede plus merveilleux encore, & dont l’efficacité, quoique constatée par deux observations dont un médecin célebre dit avoir été le témoin oculaire, est plus inexpliquable & plus

douteuse ; c’est une amulette suspendue au col, faite avec la poudre d’un crapaud roti en vie dans un pot neuf. Henri de Heers rapporte qu’une femme étant attaquée d’une incontinence d’urine à la suite d’un accouchement laborieux, pendant lequel une accoucheuse maladroite lui avoit déchiré le sphincter de la vessie, il n’oublia aucun remede pour la guérir de cette incommodité ; il réussit à dissiper quelque symptomes accidentels, mais il ne put jamais arrêter l’excrétion continuelle d’urine, c’est pourquoi il s’avisa de lui faire préparer un syphon d’argent dont la branche la plus courte alloit dans la vessie, & l’autre d’environ quatre pouces aboutissoit à une boutelle ; par ce moyen il detourna le cours de l’urine qui se faisoit par le vagin, & consolida les ulceres qui étoient dans cette partie ; cette femme ainsi soulagée, & n’ayant d’autre incommodité que le poids de la bouteille, ne s’attendoit pas à une guérison plus complette ; elle pouvoit en ôtant son syphon, recevoir les caresses de son mari, & étant devenue enceinte, elle accoucha très-heureusement. Henri de Heers l’ayant perdu de vue, la rencontra quelque tems après, & fut fort surpris de se voir rendre son syphon, & d’apprendre que la malade parfaitement guérie n’en avoit plus besoin ; il en demanda la cause, & elle lui fit voir le petit sac pendu à son col, où étoit renfermée la poudre du crapaud ; sa surprise augmenta encore, n’ayant jamais oui parler d’un semblable remede ; il assure qu’ayant eu l’occasion de s’en servir chez un marchand qui avoit une incontinence d’urine, à la suite d’une opération de la taille mal faite, il vit avec étonnement le même miracle se répéter (Henric. ab Heers, obs. 14. lib. I.) ; nous n’avons rien à dire à cela sinon que fides sit penes autorem.

Si j’avois à traiter un malade attaqué de cette maladie, avant d’avoir recours à tous ces prétendus spécifiques, j’essayerois les remedes qui pussent combattre les causes que je connoitrois ; je conseillerois l’opération de la taille à celui dans qui la maladie dépendroit du calcul, les astringens spiritueux, aromatiques, pris intérieurement, ou administrés en vapeurs, en bains, en fomentations, en injections, & sur-tout les vésicatoires, à ceux qui auroient le sphincter de la vessie paralytique, ou dans un relâchement plus ou moins considérable, les balsamiques dans le cas d’ulcere, &c. & je recommanderois aux meres dont les enfans seroient sujets à cette maladie, de s’abstenir des fouets, secours également cruels, inutiles, & déplacés, d’élever leurs enfans moins mollement, de leur laisser faire de l’exercice, de leur donner des alimens moins aqueux, moins relâchans, de leur faire boire un peu de vin, sur-tout ferré, d’avoir soin qu’ils ayent toujours le ventre libre, parce que plus l’excrétion de sérosité aura lieu par les intestins, moins les urines seront abondantes ; & si ces secours sont insuffisans, je crois qu’on peut tirer plus d’utilité des fomentations aromatiques, astringentes, des légeres injections, & de l’usage d’un vin aromatique ferré, du cachou, & de quelqu’autres astringens semblables.

Pissement de sang. Le mélange du sang avec les urines leur donne une teinte d’un rouge plus ou moins foncé, suivant la quantité & la qualité du sang, qui est le signe distinctif de cette maladie. Lorsque le sang est peu abondant, on risque de confondre l’urine sanguinolente, avec celle dont la rougeur dépend de la trop petite quantité de phlegme, ou du mélange d’un sédiment rouge & briqueté.

Pour éviter cette erreur, il n’y a qu’à laisser à l’urine le tems de déposer ; si elle contient du sang, il se ramassera en grumeaux, en filamens noirâtres, qui par l’agitation ne pourront plus se redissoudre dans l’urine ; au lieu que les sédimens d’une autre nature