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celles des personnes qui jouissent d’une bonne santé ; parce qu’elles indiquent d’autant plus surement une maladie & la dénotent d’autant plus grave, qu’elles s’éloignent plus de cet état. Aphor. lxvj. liv. VII. Cette assertion d’Hippocrate assez généralement vraie, a fait dire à Galien & à tous les Médecins sans exception qui sont venus après lui, que les urines les plus favorables dans les maladies étoient celles qui ressembloient le plus aux urines des personnes bien portantes ; ce qui est le plus communément faux. Lorsque Hippocrate a proposé l’aphorisme précédent, il parloit des urines en général, abstraction faite de l’état de santé & de maladie ; & il n’a prétendu dire autre chose sinon que si on lui présentoit différentes urines, il jugeroit que ceux qui auroient rendu celles qui étoient naturelles, saines, se portoient bien ; & que ceux à qui les urines plus ou moins éloignées de cet état appartenoient, étoient plus ou moins malades. Il s’est bien gardé d’avancer que ces urines fussent un signe funeste, dangereux ; il s’est contenté d’assurer qu’elles étoient un signe plus certain de maladie, &, si l’on peut parler ainsi, plus maladives, νοσωδέστερα. Nous ne dissimulerons cependant pas que cet axiome d’Hippocrate réduit à son vrai sens, ne se vérifie point toujours exactement ; car dans les fievres malignes les plus dangereuses les urines sont tout-à-fait naturelles, ne différant en rien de celles que l’on rend en santé. Mais l’erreur de Galien & de ses adhérans qui ont mal entendu ce passage, est encore bien plus grande, puisque non seulement l’urine différente de celle des personnes saines, n’est pas toujours mauvaise dans les maladies ; mais encore le plus souvent elle lui est préférable, parce que c’est elle seule qui peut être critique & salutaire, & que l’urine naturelle n’annonce jamais ni coction, ni crise, & quelquefois même est pernicieuse. Les urines noires, huileuses, ne sont-elles pas, comme nous le verrons ensuite, favorables dans certaines maladies ? La strangurie n’est-elle pas aussi quelquefois avantageuse ? Et n’est-il pas nécessaire pour prévenir un abscès, que l’urine soit épaisse, blanche & abondante ? Or dans tous ces cas l’urine s’éloigne plus ou moins de l’état naturel. D’ailleurs on pourroit reprocher aux uns & aux autres que cet état naturel de l’urine n’est rien moins que déterminé ; qu’il differe suivant les âges, les sexes, les tempéramens, l’idiosyncrasie, même les saisons, & suivant les boissons plus ou moins abondantes & de différente nature ; suivant les alimens, les remedes, &c. & par conséquent que cette mesure fautive peut encore induire en erreur lorsqu’il s’agit d’évaluer les divers états de l’urine. On a cependant décidé en général que l’urine naturelle étoit d’une couleur citrine un peu foncée, d’une consistance moyenne entre l’eau & l’urine des jumens, que sa quantité répondoit à celle de la boisson, & qu’elle contenoit un sédiment blanchâtre, égal & poli : & on a prétendu assez vaguement que l’urine des vieillards étoit blanche, ternie, presque sans sédiment ; celle des jeunes gens plus colorée, mais moins épaisse & moins chargée de sédiment que celle des enfans ; que l’urine des femmes étoit plus bourbeuse, plus épaisse & moins colorée que celle des hommes ; que les tempéramens chauds rendoient des urines plus colorées que les tempéramens froids ; que dans ceux qui vivoient mollement, dans l’oisiveté & dans la crapule, les urines étoient remplies de sédiment & au contraire ténues sans sédiment, & d’une couleur animée dans ceux qui faisoient beaucoup d’exercice, qui essuyoient des longues abstinences & des veilles opiniâtres ; qu’au printems elles étoient blanches ou légerement citrinées, subspiceæ, abondantes ; & qu’elles contenoient beaucoup de sédiment épais & crud ; qu’en avançant vers l’été elles devenoient

plus colorées, presque saffranées, moins épaisses ; que le sédiment étoit moins abondant, mais plus blanc, plus poli & plus égal ; que dans la vigueur de l’été, la quantité en diminuoit de même que le sédiment, & qu’elles devenoient plus foncées ; que dans l’automne la couleur étoit citrine, la quantité très-médiocre, le sédiment peu abondant, assez blanc, égal & poli, & que du reste elles étoient tenues & limpides ; & qu’enfin en hiver elles étoient blanchâtres, plus abondantes ; qu’elles varioient en consistance & contenoient beaucoup de sédiment crud. Tous ces changemens ne sont ni aussi certains ni aussi constans que ceux que produit la trop grande quantité de boissons aqueuses & quelques remedes. On sait surement que les urines deviennent limpides, ténues & très-peu colorées, quand on a bu beaucoup d’eau, noirâtres après l’usage de la casse, de la rhubarbe, & des martiaux rouges à la suite des bouillons d’oseille, de racines de fraisier & de garence ; que l’usage de la térébenthine leur donne l’odeur agréable de la violette ; & les asperges les rendent extrèmement fetides : c’est pourquoi avant de porter son jugement sur l’urine, il est nécessaire de savoir si le malade n’a usé d’aucun de ces remedes. On peut aussi pour plus grande sûreté s’informer de son age, du sexe, du tempérament, de sa façon de vivre ; il faut aussi être instruit du tems de la maladie & du tems de la journée où l’urine a été rendue ; on préfere celle du matin comme ayant eu le tems de subir les différentes élaborations. Il faut aussi avoir attention que l’urine ne soit pas trop vieille, qu’il n’y ait pas plus de douze heures qu’on l’ait rendue, & qu’elle ne soit pas non plus trop récente, pour que les différentes parties aient eu le tems de se séparer. Le vaisseau dans lequel on examine l’urine doit être très-propre & transparent, pour qu’on puisse bien en discerner toutes les qualités : on recommande encore d’observer que la chambre ne soit ni trop obscure, ni trop éclairée, enfin les auteurs uromantes exigent encore beaucoup d’autres petites précautions qui nous paroissent très-frivoles & bonnes pour un charlatan qui cherche à donner un air de mystere aux opérations les plus simples. Nous ne prétendons pas même garantir l’utilité de toutes celles que nous avons exposées, nous laissons ce jugement au lecteur éclairé, nous hâtant de passer au détail des signes qu’on tire de l’urine, sans qu’il soit besoin d’en avoir toujours devant les yeux de saine & de naturelle, pour servir de point de comparaison.

La meilleure urine est, suivant Hippocrate, celle qui pendant tout le cours de la maladie, jusqu’à ce que la crise soit finie, renferme un sédiment blanc, égal & poli. Elle contribue beaucoup à rendre la maladie courte & exempte de danger ; si l’urine est alternativement pure, limpide, & telle qu’elle vient d’être décrite, la maladie sera longue & sa terminaison est douteuse ; l’urine rougeâtre avec un sédiment égal & poli annonce une maladie plus longue, mais n’est pas moins salutaire que la premiere : les nuages blancs dans l’urine, sont aussi d’un bon augure (Pronost. l. II. n°. xxij. xxvj.) Lorsque les urines ont été pendant le cours d’une fievre en petite quantité, épaisses & grumelées, & qu’elles viennent ensuite abondantes & ténues, le malade en est soulagé : ces urines paroissent ordinairement de cette façon lorsque dès le commencement elles ont renfermé un sédiment plus ou moins copieux (Aphor. lxjx l. IV.) dans les fiévres ardentes, accompagnées de stupidité & d’affection soporeuse dans lesquelles les hypochondres changent souvent d’état, le ventre est gonflé, les alimens ne peuvent passer, les sueurs sont abondantes .... les urines chargées d’écume sont avantageuses. (Prorhet. l. I. sect. II. n°. xljx.) Les malades qui ayant eu des hémorragies copieuses & fré-