Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maque, Philon, Possidonius, &c. au rang des hommes célebres qui illustrerent leur patrie par les lumieres qu’ils avoient acquises en visitant les pays étrangers.

Aujourd’hui les voyages dans les états policés de l’Europe (car il ne s’agit point ici des voyages de long cours), sont au jugement des personnes éclairées, une partie des plus importantes de l’éducation dans la jeunesse, & une partie de l’expérience dans les vieillards. Choses égales, toute nation où regne la bonté du gouvernement, & dont la noblesse & les gens aisés voyagent, a des grands avantages sur celle où cette branche de l’éducation n’a pas lieu. Les voyages étendent l’esprit, l’élevent, l’enrichissent de connoissances, & le guérissent des préjugés nationaux. C’est un genre d’étude auquel on ne supplée point par les livres, & par le rapport d’autrui ; il faut soi-même juger des hommes, des lieux, & des objets.

Ainsi le principal but qu’on doit se proposer dans ses voyages, est sans contredit d’examiner les mœurs, les coutumes, le génie des autres nations, leur goût dominant, leurs arts, leurs sciences, leurs manufactures & leur commerce.

Ces sortes d’observations faites avec intelligence, & exactement recueillies de pere en fils, fournissent les plus grandes lumieres sur le fort & le foible des peuples, les changemens en bien ou en mal qui sont arrivés dans le même pays au bout d’une génération, par le commerce, par les lois, par la guerre, par la paix, par les richesses, par la pauvreté, ou par de nouveaux gouverneurs.

Il est en particulier un pays au-delà des Alpes, qui mérite la curiosité de tous ceux dont l’éducation a été cultivée par les lettres. A peine est-on aux confins de la Gaule sur le chemin de Rimini à Cesene, qu’on trouve gravé sur le marbre, ce célebre sénatus-consulte qui dévouoit aux dieux infernaux, & déclaroit sacrilege & parricide quiconque avec une armée, avec une légion, avec une cohorte passeroit le Rubicon, aujourd’hui nommé Pisatello. C’est au bord de ce fleuve ou de ce ruisseau, que César s’arrêta quelque tems, & là la liberté prête à expirer sous l’effort de ses armes, lui couta encore quelques remords. Si je differe à passer le Rubicon, dit-il à ses principaux officiers, je suis perdu, & si je le passe, que je vais faire de malheureux ! Ensuite après y avoir réflechi quelques momens, il se jette dans la petite riviere, & la traverse en s’écriant (comme il arrive dans les entreprises hazardeuses) : n’y songeons plus, le sort est jetté. Il arrive à Rimini, s’empare de l’Umbrie, de l’Etrurie, de Rome, monte sur le trône, & y périt bientôt après par une mort tragique.

Je sais que l’Italie moderne n’offre aux curieux que les débris de cette Italie si fameuse autrefois ; mais ces débris sont toujours dignes de nos regards. Les antiquités en tout genre, les chefs-d’œuvres des beaux arts s’y trouvent encore rassemblés en foule, & c’est une nation savante & spirituelle qui les possede ; en un mot, on ne se lasse jamais de voir & de considerer les merveilles que Rome renferme dans son sein.

Cependant le principal n’est pas, comme dit Montagne, « de mesurer combien de piés a la santa Rotonda, & combien le visage de Néron de quelques vieilles ruines, est plus grand que celui de quelques médailles ; mais l’important est de frotter, & limer votre cervelle contre celle d’autrui. » C’est ici sur-tout que vous avez lieu de comparer les tems anciens avec les modernes, « & de fixer votre esprit sur ces grands changemens qui ont rendu les âges si différens des âges, & les villes de ce beau pays autrefois si peuplées, maintenant désertes, & qui semblent ne subsister, que pour marquer les lieux

où étoient ces cités puissantes, dont l’histoire a tant parlé. » (Le chevalier de Jaucourt.)

Voyages de long cours. (Marine.) On appelle ainsi les grands voyages de mer, que quelques marins fixent à 1000 lieues.

Voyage, (Jurisprud.) est un droit que l’on alloue dans la taxe des dépens à celui qui a plaidé hors du lieu de son domicile, & qui a obtenu gain de cause avec dépens, pour les voyages qu’il a été obligé de faire, soit pour charger un procureur, soit pour produire ses pieces, soit pour faire juger l’affaire.

On joint quelquefois les termes de voyages & séjours, quoiqu’ils aient chacun leur objet différent. Ces voyages sont ce qui est alloué pour aller & venir ; les séjours sont ce qui s’est alloue pour le séjour que la partie a été obligée de faire.

Ces voyages ne doivent être alloués qu’autant qu’ils ont été véritablement faits, & que l’on en fait appercevoir par un acte d’affirmation fait au greffe.

La femme peut venir pour son mari, & le mari pour sa femme ; les enfans âgés de 20 ans pour leurs pere & mere, & le gendre pour son beau-pere, en affirmant par eux leur voyage au greffe.

Voyez le réglement de 1665 pour la taxe des dépens, & celui du 10 Avril 1691 sur les voyages & séjours. (A)

VOYAGEUR, (Hist. particul. des pays.) celui qui fait des voyages par divers motifs, & qui, quelquefois en donne des relations ; mais c’est en cela que d’ordinaire les voyageurs usent de peu de fidélité. Ils ajoutent presque toujours aux choses qu’ils ont vues, celles qu’ils pouvoient voir ; & pour ne pas laisser le récit de leurs voyages imparfait, ils rapportent ce qu’ils ont lu dans les auteurs, parce qu’ils sont premiérement trompés, de même qu’ils trompent leurs lecteurs ensuite. C’est ce qui fait que les protestations que plusieurs de ces observateurs, comme Belon, Pison, Marggravius & quelques autres sont de ne rien dire que ce qu’ils ont vu, & les assurances qu’ils donnent d’avoir vérifié quantité de faussetés qui avoient été écrites avant eux, n’ont guere d’autre effet que de rendre la sincérité de tous les voyageurs fort suspecte, parce que ces censeurs de la bonne foi & de l’exactitude des autres, ne donnent point de cautions suffisantes de la leur.

Il y a bien peu de relations auxquelles on ne puisse appliquer ce que Strabon disoit de celles de Ménélas : je vois bien que tout homme qui décrit ses voyages est un menteur, ἀλαζὼν δὴ πᾶς ὁ πλάνην αὑτοῦ διηγούμενος ; cependant il faut exclure de ce reproche les relations curieuses de Paolo, de Rawleigh, de Pocock, de Spon, de Wheiler, de Tournefort, de Fourmont, de Koempfer, des savans Anglois qui ont décrit les ruines de Palmyre, de Shaw, de Catesby, du chevalier Hans-Sloane, du lord Anson, de nos MM. de l’académie des sciences, au Nord & au Pérou, &c. (D. J.)

Voyageur, s. m. pl. (Hist. anc.) celui qui est en route, & qui a entrepris un voyage.

Les Mythologues & les historiens ont observé que dans l’antiquité païenne, les voyageurs adressoient des prieres aux dieux tutélaires des lieux d’où ils partoient : ils en avoient d’autres pour les dieux sous la protection desquels étoient les lieux par où ils passoient ; & d’autres enfin, pour les divinités du lieu où se terminoit leur voyage : la formule de ces prieres nous a été conservé dans les inscriptions pro salute, itu & reditu. Ils marquoient aussi leur reconnoissance à quelque divinité particuliere, sous la protection de laquelle ils comptoient avoir fait leur voyage : Jovi reduci, Neptuno reduci, Fortuna reduci. Les Grecs, entre les dieux protecteurs des voyages, choisissoient sur-tout Mercure, qui est appellé dans les inscriptions viacus & trivius, & pour la naviga-