Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

union. Lorsqu’il fit réimprimer en 1713, ses Institutions de médecine, il mit à la tête une épître dédicatoire à son beau-pere, par laquelle il le remercie dans les termes les plus vifs, de s’être privé de sa fille unique, pour la lui donner en mariage. C’étoit au bout de trois années, dit joliment M. de Fontenelle, que venoit ce remerciment, & que M. Boerhaave faisoit publiquement à sa femme une déclaration d’amour.

Toute sa vie a été extrémement laborieuse, & son tempérament robuste n’y devoit que mieux succomber. Il prenoit encore néanmoins de l’exercice, soit à pié, soit à cheval sur la fin de ses jours. Mais depuis sa rechute de 1727, des infirmités différentes l’affoiblirent & le minerent promptement. Vers le milieu de 1737, parurent les avant-coureurs de la derniere maladie qui l’enleva l’année suivante, âgé de 69 ans, 3 mois & 8 jours.

M. Boerhaave étoit grand, proportionné & robuste. Son corps auroit paru invulnérable à l’intempérie des élémens, s’il n’eût pas eû un peu trop d’embonpoint. Son maintien étoit simple & décent. Son air étoit vénérable, sur-tout depuis que l’âge avoit blanchi ses cheveux. Il avoit l’œil vif, le regard perçant, le nez un peu relevé, la couleur vermeille, la voix fort agréable, & la physionomie prévenante. Dans ce corps sain logeoit une très-belle ame, ornée de lumieres & de vertus.

Il a laissé un bien considérable, plus de deux millions de notre monnoie. Mais si l’on réfléchit qu’il a joui long-tems des émolumens de trois chaires de professeur ; que ses cours particuliers produisoient beaucoup ; que les consultations qui lui venoient de toutes parts étoient payées, sans qu’il l’exigeât, sur le pié de l’importance des personnes dont elles veroient, & sur celui de sa réputation ; enfin si l’on considere qu’il menoit une vie simple, sans fantaisies, & sans goût pour les dépenses d’ostentation, on trouvera que les richesses qu’il a laissées sont modiques, & que par conséquent elles ont été acquises par les voies les plus légitimes. Mais je n’ai pas dit encore tout ce qui est à l’honneur de ce grand homme.

Il enseignoit avec une méthode, une netteté & une précision singulieres. Ennemi de tout excès, à la réserve de ceux de l’étude, il regardoit la joie honnête comme le baume de la vie. Quand sa santé ne lui permit plus l’exercice du cheval, il se promenoit à pié ; & de retour chez lui, la musique qu’il aimoit beaucoup, lui faisoit passer des momens délicieux, où il reprenoit ses forces pour le travail. C’étoit surtout à la campagne qu’il se plaisoit. La mort l’y a trouvé, mais ne l’y a point surpris. J’ai vu & j’ai reçu de ses lettres dans les derniers jours de sa derniere maladie. Elles sont d’un philosophe qui envisage d’un œil stoïque la destruction prochaine de sa machine. Sa vie avoit été sans taches, frugale dans le sein de l’abondance, modérée dans la prospérité, & patiente dans les traverses.

Il méprisa toujours la vengeance comme indigne de lui, fit du bien à ses ennemis, & trouva de bonne heure le secret de se rendre maître de tous les mouvemens qui pouvoient troubler sa philosophie. Un jour qu’il donnoit une leçon de médecine, où j’étois présent, son garçon chimiste entra dans l’auditoire pour renouveller le feu d’un fourneau ; il se hâta trop & renversa la coupelle. Boerhaave rougit d’abord. C’est, dit-il en latin à ses auditeurs, une opération de vingt ans sur le plomb, qui est évanouie en un clin d’œil. Se tournant ensuite vers son valet désespéré de sa faute. « Mon ami, lui dit-il, rassurez-vous, ce n’est rien ; j’aurois tort d’exiger de vous une attention perpétuelle qui n’est pas dans l’humanité ». Après l’avoir ainsi consolé, il continua

sa leçon avec le même sens-froid, que s’il eût perdu le fruit d’une expérience de quelques heures.

Il se mettoit volontiers à la place des autres, ce qui (comme le remarque très-bien M. de Fontenelle) produit l’équité & l’indulgence ; & il mettoit aussi volontiers les autres en sa place, ce qui prévient ou réprime l’orgueil. Il désarmoit la satyre en la négligeant, comparant ses traits aux étincelles qui s’élancent d’un grand feu, & s’éteignent aussi-tôt qu’on ne souffle plus dessus.

Il savoit par sa pénétration démêler au premier coup d’œil le caractere des hommes, & personne n’étoit moins soupçonneux. Plein de gratitude, il fut toujours le panégyriste de ses bienfaiteurs, & ne croyoit pas s’acquitter en prenant soin de la vie de toute leur famille. La modestie qui ne se démentit jamais chez lui, au milieu des applaudissemens de l’Europe entiere, augmentoit encore l’éclat de ses autres vertus.

Tous mes éloges n’ajouteront rien à sa gloire : mais je ne dois pas supprimer les obligations particulieres que je lui ai. Il m’a comblé de bontés pendant cinq ans, que j’ai eu l’honneur d’être son disciple. Il me sollicita long-tems avant que je quittasse l’académie de Leyde, d’y prendre le degré de docteur en Médecine, & je ne crus pas devoir me refuser à ses desirs, quoique résolu de ne tirer de cette démarche d’autre avantage que celui que l’homme recherche par humanité, j’entends de pouvoir secourir charitablement de pauvres malheureux. Cependant Boerhaave estimant trop une déférence, qui ne pouvoit que m’être honorable, voulut la reconnoître, en me faisant appeller par le stadhouder à des conditions les plus flatteuses, comme gentilhomme & comme médecin capable de veiller à la conservation de ses jours. Mais la passion de l’étude forme naturellement des ames indépendantes. Eh ! que peuvent les promesses magnifiques des cours sur un homme né sans besoins, sans desirs, sans ambition, sans intrigue ; assez courageux pour présenter ses respects aux grands, assez prudent pour ne les pas ennuyer, & qui s’est bien promis d’assûrer son repos par l’obscurité de sa vie studieuse ? Après tout, les services éminens que M. Boerhaave vouloit me rendre étoient dignes de lui, & sont chers à ma mémoire. Aussi, par vénération & par reconnoissance, je jetterai toute ma vie des fleurs sur son tombeau.

Manibus dabo lilia plenis.
Purpureos spargam flores, & fungar inani
Munere.

(Le chevalier de Jaucourt.)

VOORN, (Géogr. mod.) île des Pays-bas, à l’embouchure de la Meuse, dans la Hollande méridionale, au nord des îles de Goerée & d’Over-Flakée, dont elle est séparée par l’Haring-Vliet. La Brille & Helvoet-Sluys en sont les principaux lieux. C’est delà qu’on s’embarque ordinairement pour l’Angleterre. L’ile de Voorn abonde en grains, & produit naturellement une espece de genêt à grandes racines, par le moyen desquelles on maintient dans leur force les digues & les levées. (D. J.)

VOPISCUS, s. m. (Hist. anc.) terme latin usité pour signifier celui de deux enfans jumeaux qui vient heureusement à terme, tandis que l’autre n’y vient pas. Voyez Jumeaux & Avortement.

VOQUER, ce mot n’est pas françois, quoiqu’il se lise dans le Trévoux ; c’est voguer que disent les Potiers de terre & autres ouvriers. Voyez Voguer.

VORACE, adj. VORACITÉ, s. f. (Gram.) qui dévore, qui est carnacier, qui ne se donne pas le tems de mâcher. Cet épithete convient à presque tous les animaux. Il y a la voracité de l’espece, & la voracité de l’individu ; il y a des oiseaux voraces. La