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les adjectifs verbaux en undus prennent le même régime que le verbe dont ils sont dérivés. C’est ainsi, disent-ils, qu’il faut entendre ces phrases de Plaute (Amphitr. I. iij.) quid tibi hanc curatio est rem ? (Aulul. III. Redi.) sed quid tibi nos tactio est ? (Trucul. II. vij.) quid tibi hanc auditio est, quid tibi hanc notis est ? Cette phrase de T. Live (xxv.) Hanno vitabundus castra hostium consulesque, loco edito castra posuit ; & celles-ci d’Apulée, carnificem imaginabundus, mirabundi bestiam. Les réflexions que j’ai à-proposer sur cette matiere paroîtront peut-être des paradoxes : mais comme je les crois néanmoins conformes à l’exacte vérité, je vais les exposer comme je les conçois : quelque autre plus habile ou les détruira par de meilleures raisons, ou les fortifiera par de nouvelles vues.

Ni les noms verbaux en io, ni les adjectifs verbaux en undus, n’ont pour régime direct l’accusatif.

1°. On peut rendre raison de cet accusatif, en suppléant une préposition : curatio hanc rem, c’est curatio propter hanc rem ; nos tactio, c’est in nos ou super nos tactio ; hanc auditio, hanc notio, c’est ergà hanc auditio, circà hanc notio ; vitabundus castra consulesque, suppl. propter ; carnificem imaginabundus, suppl. in (ayant sans cesse l’imagination tournée sur le bourreau) ; mirabundi bestiam, suppl. propter. Il n’y a pas un seul exemple pareil que l’on ne puisse analyser de la même maniere.

2°. La simplicité de l’analogie qui doit diriger partout le langage des hommes, & qui est fixée immuablement dans la langue latine, ne permet pas d’assigner à l’accusatif une infinité de fonctions différentes ; & il faudra bien reconnoître néanmoins cette multitude de fonctions diverses, s’il est régime des prépositions, des verbes relatifs, des noms & des adjectifs verbaux qui en sont dérivés ; la confusion sera dans la langue, & rien ne pourra y obvier. Si l’on veut s’entendre, il ne faut à chaque cas qu’une destination.

Le nominatif marque un sujet de la premiere ou de la troisieme personne : le vocatif marque un sujet de la seconde personne : le génitif exprime le complément déterminatif d’un nom appellatif : le datif exprime le complément d’un rapport de fin : l’ablatif caractérise le complément de certaines prépositions : pourquoi l’accusatif ne seroit-il pas borné à désigner le complément des autres prépositions ?

Me voici arrêté par deux objections. La premiere, c’est que j’ai consenti de reconnoître une ablatif absolu & indépendant de toute préposition : voyez Gérondif : la seconde, c’est que j’ai reconnu l’accusatif lui-même, comme régime du verbe actif relatif ; voyez Infinitif. L’une & l’autre objection doit me faire conclure que le même cas peut avoir différens usages, & conséquemment que j’étaie mal le système que j’établis ici sur les régime des noms & des adjectifs verbaux.

Je réponds à la premiere objection, que, par rapport à l’ablatif absolu, je suis dans le même cas que par rapport aux futurs : j’avois un collegue, aux vues duquel j’ai souvent dû sacrifier les miennes : mais je n’ai jamais prétendu en faire un sacrifice irrévocable ; & je désavoue tout ce qui se trouvera dans le VII. tome n’être pas d’accord avec le système dont j’ai répandu les diverses parties dans les volumes suivans.

On suppose (art. Gérondif) que le nom mis à l’ablatif absolu n’a avec les mots de la proposition principale aucune relation grammaticale ; & voilà le seul fondement sur lequel on établit la réalité du prétendu ablatif absolu. Mais il me semble avoir démontré (Régime, art. 2.) l’absurdité de cette prétendue indépendance, contre M. l’abbé Girard, qui admet un régime libre : & je m’en tiens, en conséquence,

à la doctrine de M. du Marsais, sur la nécessité de n’envisager jamais l’ablatif, que comme régime d’une préposition. Voyez Ablatif & Datif.

Pour ce qui est de la seconde objection, que j’ai reconnu l’accusatif comme régime du verbe actif relatif ; j’avoue que je l’ai dit, même en plus d’un endroit : mais j’avoue aussi que je ne le disois que par respect pour une opinion reçue unanimement, & pensant que je pourrois éviter cette occasion de choquer un préjugé si universel. Elle se présente ici d’une maniere inévitable ; je dirai donc ma pensée sans détour : l’accusatif n’est jamais le régime que d’une préposition ; & celui qui vient après le verbe actif relatif, est dans le même cas : ainsi amo Deum, c’est amo ad Deum ; doceo pueros grammaticam, c’est dans la plénitude analytique doceo ad pueros circà grammaticam, &c. voici les raisons de mon assertion.

1°. L’analogie, comme je l’ai déjà dit, exige qu’un même cas n’ait qu’une seule & même destination : or l’accusatif est indubitablement destiné, par l’analogie latine, à caractériser le complément de certaines prépositions ; il ne doit donc pas sortir de cette destination, surtout si l’on peut prouver qu’il est toujours possible & raisonnable d’ailleurs de l’y ramener. C’est ce que je vais faire.

2°. Les grammairiens ne prétendent regarder l’accusatif comme régime que des verbes actifs, qu’ils appellent transitifs, & que je nomme relatifs avec plusieurs autres : ils conviennent donc tacitement que l’accusatif désigne alors le terme du rapport énoncé par le verbe ; or tout rapport est renfermé dans le terme antécédent, & c’est la préposition qui en est, pour ainsi dire, l’exposant, & qui indique que son complément est le terme conséquent de ce rapport.

3°. Le verbe relatif peut être actif ou passif : amo est actif, amor est passif ; l’un exprime le rapport inverse de l’autre : dans amo Deum, le rapport actif se porte vers le terme passif Deum ; dans amor à Deo, le rapport passif est dirigé vers le terme actif Deo : or Deo est ici complément de la préposition à, qui dénote en général un rapport d’origine, pour faire entendre que l’impression passive est rapportée à sa cause ; pourquoi, dans la phrase active, Deum ne seroit-il pas le complément de la préposition ad, qui dénote en général un rapport de tendance, pour faire entendre que l’action est rapportée à l’objet passif ?

4°. On supprime toujours en latin la préposition ad, j’en conviens ; mais l’idée en est toujours rappellée par l’accusatif qui la suppose, de même que l’idée de la préposition à est rappellée par l’ablatif, lorsqu’elle est en effet supprimée dans la phrase passive, comme compulsi siti pour à siti. D’ailleurs cette suppression de la proposition dans la phrase active n’est pas universelle : les Espagnols disent amar à Dios, comme les Latins auroient pu dire amare ad Deum, (être en amour pour Dieu), & comme nous aurions pu dire aimer à Dieu. Eh, ne trouvons-nous pas l’équivalent dans nos anciens auteurs ? Et pria a ses amis que cil roulet fut mis sur son tombel (que cette inscription fût mise sur son tombeau) : Dict. de Borel, verb. roulet. Que dis-je ? nous conservons la préposition dans plusieurs phrases, quand le terme objectif est un infinitif ; ainsi nous disons j’aime à chasser, & non pas j’aime chasser, quoique nous disions sans préposition j’aime la chasse ; je commence à raconter, J’apprends à chanter, quoiqu’il faille dire, je commence un récit, j’apprends la musique.

Tout semble donc concourir pour mettre, dans la dépendance d’une préposition l’accusatif qui passe pour régime du verbe actif relatif : l’analogie latine des cas en sera plus simple & plus informe ; la syntaxe du verbe actif sera plus rapprochée de celle du verbe passif, & elle doit l’être, puisqu’ils sont égale-