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porter à y donner aussi toute son application. En effet, il faut avouer, que quoiqu’également capable de réussir dans ces deux sciences, il n’y étoit pas également propre. Le fruit d’une vaste & profonde lecture avoit été de lui persuader que la religion étoit depuis long-tems défigurée par de vicieuses subtilités philosophiques, qui n’avoient produit que des dissensions & des haines, dont il auroit bien de la peine à se garantir dans le sacré ministere ; enfin, son penchant l’emporta pour l’étude de la nature. Il apprit par lui-même l’anatomie, & s’attacha à la lecture des Médecins, en suivant l’ordre des tems, comme il avoit fait pour les auteurs ecclésiastiques.

Commençant par Hippocrate, il lut tout ce que les Grecs & les Latins nous ont laissé de plus savant en ce genre ; il en fit des extraits, il les digéra, & les réduisit en systèmes, pour se rendre propre tout ce qui y étoit contenu. Il parcourut avec la même rapidité & la même méthode, les écrits des modernes. Il ne cultiva pas avec moins d’avidité la chimie & la botanique ; en un mot, son génie le conduisit dans toutes les sciences nécessaires à un médecin ; & s’occupant continuellement à étudier les ouvrages des maîtres de l’art, il devint l’Esculape de son siecle.

Tout dévoué à la Médecine, il résolut de n’être désormais théologien qu’autant qu’il le falloit pour être bon chrétien. Il n’eut point de regret, dit M. de Fontenelle, à la vie qu’il auroit menée, à ce zele violent qu’il auroit fallu montrer pour des opinions fort douteuses, & qui ne méritoient que la tolérance, enfin à cet esprit de parti dont il auroit dû prendre quelques apparences forcées, qui lui auroient coûté beaucoup, & peu réussi.

Il fut reçu docteur en médecine l’an 1693, âgé de 25 ans, & ne discontinua pas ses leçons de mathématique, dont il avoit besoin, en attendant les malades qui ne vinrent pas sitôt. Quand ils commencerent à venir, il mit en livres tout ce qu’il pouvoit épargner, & ne se crut plus à son aise, que parce qu’il étoit plus en état de se rendre habile dans sa profession. Par la même raison qu’il se faisoit peu-à-une bibliotheque, il se fit aussi un laboratoire de chimie ; & ne pouvant se donner un jardin de botanique, il herborisa dans les campagnes & dans les lieux incultes.

En 1701, les curateurs de l’université de Leyde le nommerent lecteur en médecine, avec la promesse de la chaire qui vint bientôt à vacquer. Les premiers pas de sa fortune une fois faits, les suivans furent rapides : en 1709, il obtint la chaire de botanique, & en 1718, celle de chimie.

Ses fonctions multipliées autant qu’elles pouvoient l’être, attirerent à Leyde un concours d’étrangers qui enrichissoient journellement cette ville. La plûpart des états de l’Europe fournissoient à Boerhaave des disciples ; le Nord & l’Allemagne principalement, & même l’Angleterre, toute fiere qu’elle est, & avec justice, de l’état florissant où les sciences sont chez elle. Il abordoit à Leyde des étudians en médecine de la Jamaïque & de la Virginie, comme de Constantinople & de Moscow. Quoique le lieu où il tenoit ses cours particuliers, fut assez vaste, souvent pour plus de sûreté, on s’y faisoit garder une place par un collegue, comme nous faisons ici aux spectacles qui réussissent le plus.

Outre les qualités essentielles au grand professeur, M. Boerhaave avoit encore celles qui rendent aimable à des disciples ; il leur faisoit sentir la reconnoissance & la considération qu’il leur portoit, par les graces qu’il mettoit dans ses instructions. Non seulement il étoit très-exact à leur donner tout le tems promis, mais il ne profitoit jamais des accidens qui auroient pu légitimement lui épargner quelques leçons, & même quelquefois il prioit ses disciples

d’agréer qu’il en augmentât le nombre. Tous les équipages qui venoient le chercher pour les plus grands seigneurs, étoient obligés d’attendre que l’heure des cours fût écoulée.

Boerhaave faisoit encore plus vis-à-vis de ses disciples ; il s’étudioit à connoître leurs talens ; il les encourageoit & les aidoit par des attentions particulieres. Enfin s’ils tomboient malades, il étoit leur médecin, & il les préféroit sans hésiter, aux pratiques les plus brillantes & les plus lucratives ; en un mot, il regardoit ceux qui venoient prendre ses instructions, comme ses enfans adoptifs à qui il devoit son secours ; & en les traitant dans leurs maladies, il les instruisoit encore efficacement.

Il remplissoit ses trois chaires de professeur de la même maniere, c’est-à-dire avec le même éclat. Il publia en 1707, ses Institutions de médecine, & l’année suivante ses Aphorismes sur la connoissance & sur la cure des maladies. Ces deux ouvrages qui se réimpriment tous les trois ou quatre ans, sont admirés des maîtres de l’art. Boerhaave ne se fonde que sur l’expérience bien avérée, & laisse à part tous les systêmes, qui ne sont ordinairement que d’ingénieuses productions de l’esprit humain désavouées par la nature. Aussi comparoit-il ceux de Descartes à ces fleurs brillantes qu’un beau jour d’été voit s’épanouir le matin, & mourir le soir sur leur tige.

Les Institutions forment un cours entier de médecine théorique, mais d’une maniere très-concise, & dans des termes si choisis, qu’il seroit difficile de s’exprimer plus nettement & en moins de mots. Aussi l’auteur n’a eu pour but que de donner à ses disciples des germes de vérités réduits en petit, & qu’il faut développer, comme il le faisoit par ses explications. Il prouve dans cet ouvrage que tout ce qui se fait dans notre machine, se fait par les lois de la méchanique, appliquées aux corps solides & liquides dont le nôtre est composé. On y voit encore la liaison de la physique & de la géométrie avec la médecine ; mais quoique grand géometre, il n’a garde de regarder les principes de sa géométrie comme suffisans pour expliquer les phénomenes du corps humain.

L’utilité de ce beau livre a été reconnue jusque dans l’Orient ; le mufti l’a traduit en arabe, ainsi que les Aphorismes ; & cette traduction que M. Schultens trouva fidele, a été mise au jour dans l’imprimerie de Constantinople fondée par le grand-visir.

Tout ce qu’il y a de plus solide par une expérience constante, regne dans les Aphorismes de Boerhaave ; tout y est rangé avec tant d’ordre, qu’on ne connoit rien de plus judicieux, de plus vrai, ni de plus énergique dans la science médecinale. Nul autre, peut-être, après l’Esculape de la Grece, n’a pu remplir ce dessein, ou du-moins n’a pu le remplir aussi dignement, que celui qui guidé par son propre génie, avoit commencé à étudier la médecine par la lecture d’Hippocrate, & s’étoit nourri de la doctrine de cet auteur. Il a encore rassemblé dans cet ouvrage, avec un choix judicieux, tout ce qu’il y a de plus important & de mieux établi dans les médecins anciens grecs & latins, dans les principaux auteurs arabes, & dans les meilleurs écrits modernes. On y trouve enfin les différentes lumieres que répandent les découvertes modernes, dont de beaux génies ont enrichi les sciences. Toute cette vaste érudition est amplement développée par les beaux commentaires de Van-Swieten sur cet ouvrage, & par ceux de Haller sur les Institutions de médecine.

J’ai dit que M. Boerhaave sut nommé professeur de Botanique en 1709, année funeste aux plantes par toute l’Europe. Il trouva dans le jardin public de Leyde environ trois mille simples, & dix ans après, il avoit déja doublé ce nombre. Je sais que d’autres mains pouvoient travailler au soin de ce jardin ; mais