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trine excite en sortant avec violence, & frottant les membranes de la glotte, il les ébranle & les froisse, ensorte que le retour cause un trémoussement capable de faire impression sur l’organe de l’ouïe. Or cet air agité avec promptitude, va frapper la cavité du palais & la membrane dont il est revêtu, ce qui produit la réflexion du son ; la modification de ce son ainsi réfléchi, se fait par le mouvement des levres & de la langue, qui donnent la forme aux accens de la voix, & aux syllabes dont la parole est composée.

Pour que la voix se forme aisément, il faut 1°. de la souplesse dans les muscles qui ouvrent & resserrent la glotte ; s’ils devenoient paralytiques, on ne pourroit plus former de son.

2°. Il faut que les ligamens qui unissent les pieces du larynx obéissent facilement.

3°. Il faut une liqueur qui humecte continuellement le larynx ; peut-être que le suc huileux de la glande tyroïde exprimé par les muscles qu’on nomme sternotyroïdiens, contribue à rendre la surface interne du larynx glissante, & par conséquent plus propre à former la voix.

4°. Il faut que le nez ne soit pas bouché, autrement l’air qui se réfléchit & se modifie diversement dans le fond de la bouche qui conduit au nez, forme un son désagréable ; on appelle cela parler du nez, mais mal-à-propos, car alors tout l’air passe par la bouche, & le nez bouché n’en reçoit que peu ou point.

5°. Il faut que le thorax puisse avoir une dilatation considérable ; car si les poumons ne peuvent pas bien s’étendre ; il faudra reprendre haleine à chaque moment, ainsi la voix tombera, ou s’interrompra désagréablement.

Remarquons encore que la pointe de la langue prend quelquefois part à la formation des tons ; car quand ils se suivent de bien près, la glotte labiale n’étant pas assez déliée pour prendre si promptement les différens diametres nécessaires, la pointe de la langue vient se présenter en-dedans à cette ouverture, & par un mouvement très-preste, la retrécit autant qu’il faut, ou la laisse libre un instant pour revenir aussitôt la retrécir encore. A l’égard du sifflement, on sait qu’il n’est formé que par les seules vibrations des parties des levres alors extrémement froncées & agitées par le passage précipité de l’air qui les fait frémir. Voilà les principales merveilles de la voix, il nous reste à répondre à quelques questions qu’on fait à son sujet.

On demande ce qui cause la différence de la voix pleine & de la voix de fausset qui commence au plus haut ton de la voix pleine, & ne lui ajoute que trois tons au plus. M. Dodart a observé que dans tous ceux qui chantent en fausset, le larynx s’éleve sensiblement, & par conséquent, le canal de la trachée s’alonge & se retrécit, ce qui donne une plus grande vitesse à l’air qui y coule. Cela seul suffiroit pour hausser le ton ; mais d’ailleurs il est très-vraissemblable que la glotte se resserre encore, & plus que pour les tons naturels. Peut-être aussi le musicien pousse l’air avec une plus grande force, & par-là le ton devient plus aigu, comme il le devient dans une flûte sur un même trou lorsque le souffle est plus fort. Mais comme la disposition du larynx qui est élevé, ne permet à l’air que d’enfiler la route du nez, & non pas celle de la bouche, cela fait que la voix n’est pas désagréable, mais elle est toujours plus foible, & n’est, pour ainsi dire, qu’une demi-voix.

La voix fausse est différente du fausset ; c’est celle qui ne peut entonner juste le ton qu’elle voudroit. M. Dodart en rapporte la cause à l’inégale constitution des deux levres de la glotte, soit en épaisseur, soit en grandeur, soit en tension. L’une fait, pour

ainsi dire, la moitié d’un ton, l’autre la moitié d’un autre, & l’effet total n’est ni l’un, ni l’autre ; mais M. de Buffon ayant remarqué dans plusieurs personnes qui avoient l’oreille & la voix fausse, qu’elles entendoient mieux d’une oreille que d’une autre, l’analogie l’a conduit à faire quelques épreuves sur des personnes qui avoient la voix fausse, il a trouvé qu’elles avoient en effet une oreille meilleure que l’autre ; elles reçoivent donc à-la-fois par les deux oreilles deux sensations inégales, ce qui doit produire une discordance dans le résultat total de la sensation ; & c’est par cette raison qu’entendant toujours faux, elles chantent faux nécessairement, & sans pouvoir même s’en appercevoir. Ces personnes dont les oreilles sont inégales en sensibilité, se trompent souvent sur le côté d’où vient le son si leur bonne oreille est à droite, le son leur paroîtra venir plus souvent du côté droit que du gauche. Au reste, il ne s’agit ici que des personnes nées avec ce défaut ; ce n’est que dans ce cas que l’inégalité de sensibilité des deux oreilles, leur rend l’oreille & la voix fausses. Or ceux auxquels cette différence n’arrive que par accident, & qui viennent avec l’âge à avoir une des oreilles plus dure que l’autre, n’auront pas pour cela l’oreille & la voix fausses, parce qu’ils avoient auparavant les oreilles également sensibles, qu’ils ont commencé par entendre & chanter juste, & que si dans la suite leurs oreilles deviennent inégalement sensibles, & produisent une sensation de faux, ils la rectifient sur le champ par l’habitude où ils ont toujours été d’entendre juste, & de juger en conséquence.

On demande enfin pourquoi des personnes qui ont le son de la voix agréable en parlant, l’ont désagréable en chantant, ou au contraire. Premierement le chant est un mouvement général de toute la région vocale, & la parole est le seul mouvement de la glotte ; or puisque ces deux mouvemens sont différens, l’agrément ou le désagrément qui résulte de l’un par rapport à l’oreille, ne tire point à conséquence pour l’autre. Secondement, on peut conjecturer que le chant est une ondulation, un balancement, un tremblement continuel, non pas ce tremblement des cadences qui se fait quelquefois seulement dans l’étendue d’un ton, mais un tremblement qui paroît égal & uniforme, & ne change point le ton, du-moins sensiblement : semblable en quelque sorte au vol des oiseaux qui planent, dont les aîles ne laissent pas de faire incessamment des vibrations, mais si courtes & si promptes qu’elles sont imperceptibles. Le tremblement des cadences se fait par des changemens très-prestes & très-délicats de l’ouverture de la glotte ; mais le tremblement qui regne dans tout le chant, est celui du larynx même. Le larynx est le canal de la voix, mais un canal mobile, dont les balancemens contribuent à la voix de chant. Cela posé, on voit assez que si les tremblemens qui ne doivent pas être sensibles le sont ; ils choqueront l’oreille, tandis que dans la même personne la voix, qui n’est que le simple mouvement de la glotte, pourra faire un effet qui plaise.

Ce détail nous a conduits plus loin que nous ne croyons en le commençant, mais il amuse, & d’ailleurs le sujet sur lequel il roule est un des plus curieux de la Physiologie.

Nous avons suivi pour l’explication des phénomenes de la voix, le système de M M. Dodart & Perrault, par préférence à tout autre, & nous pensons qu’il le mérite. Nous n’ignorons pas cependant que M. Ferrein est d’une opinion différente, comme on peut le voir par son mémoire sur cette matiere, inséré dans le recueil de l’académie des Sciences, année 1741. Selon lui, l’organe de la voix est un instrument à corde & à vent, & beaucoup plus à corde qu’à vent ; l’air qui vient des poumons, & qui passe