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toient pas, si par le mot de pavées on entend une construction de quelques lits de pierres sur la surface. On avoit soin que celles qui n’étoient point pavées fussent dégarnies de tout ce qui les pouvoit priver du soleil & du vent ; & dans les forêts qui étoient sur ces sortes de voies, on abattoit des arbres à droite & à gauche, afin de donner un libre passage à l’air ; on y faisoit de chaque côté un fossé en bordure pour l’écoulement des eaux ; & d’ailleurs pour n’être point pavées, il falloit qu’elles fussent d’une terre préparée, & qu’on rendoit très-dure.

Tous les voies militaires étoient pavées sans exception, mais différemment, selon le pays. Il y avoit en quelques endroits quatre couches l’une sur l’autre. La premiere, statumen, étoit comme le fondement qui devoit porter toute la masse. C’est pourquoi avant que de la poser, on enlevoit tout ce qu’il y avoit de sable ou de terre molle.

La seconde, nommée en latin ruderatio, étoit un lit de tests de post, de tuiles, de briques cassées, liées ensemble avec du ciment.

La troisieme, nucleus, ou le noyau, étoit un lit de mortier que les Romains appelloient du même nom que la bouillie, puls, parce qu’on le mettoit assez mou pour lui donner la forme qu’on vouloit, après quoi on couvroit le dos de toute cette masse ou de cailloux, ou de pierres plates, ou de grosses briques, ou de pierrailles de différentes sortes, selon le pays. Cette derniere couche étoit nommée summa crusta, ou summum dorsum. Ces couches n’étoient pas les mêmes partout, on en changeoit l’ordre ou le nombre, selon la nature du terrein.

Bergier qui a épuisé dans un savant traité tout ce qui regarde cette matiere, a fait creuser une ancienne voie romaine de la province de Champagne, près de Rheims, pour en examiner la construction. Il y trouva premierement une couche de l’épaisseur d’un pouce d’un mortier mêlé de sable & de chaux. Secondement, dix pouces de pierres larges & plates qui formoient une espece de maçonnerie faite en bain de ciment très-dur, où les pierres étoient posées les unes sur les autres. En troisieme lieu, huit pouces de maçonnerie de pierres à-peu-près rondes & mêlées avec des morceaux de briques, le tout lié si fortement, que le meilleur ouvrier n’en pouvoit rompre sa charge en une heure. En quatrieme lieu, une autre couche d’un ciment blanchâtre & dur, qui ressembloit à de la craie gluante ; & enfin une couche de cailloux de six pouces d’épaisseur.

On est surpris quand on lit dans Vitruve, les lits de pavés qui étoient rangés l’un sur l’autre dans les appartemens de Rome. Si on bâtissoit si solidement le plancher d’une chambre qui n’avoit à porter qu’un poids léger, quelles précautions ne prenoit-on pas pour des voies exposées jour & nuit à toutes les injures de l’air, & qui devoient être continuellement ébranlées par la pesanteur & la rapidité des voitures ?

Tout ce maçonnage étoit pour le milieu de la voie, & c’est proprement la chaussée, agger. Il y avoit de chaque côté une lisiere, margo, faite des plus grosses pierres & de blocailles, pour empêcher la chaussée de s’ébouler ou de s’affaisser, en s’étendant par le pié. Dans quelques endroits, comme dans la voie appienne, les bordages étoient de deux piés de largeur, faits de pierres de taille, de maniere que les voyageurs pouvoient y marcher en tout tems & à pié sec ; & de dix piés en dix piés, joignant les bordages, il y avoit des pierres qui servoient à monter à cheval ou en chariot.

On plaçoit de mille en mille des pierres qui marquoient la distance du lieu où elles étoient placées, à la ville d’où on venoit, ou à la ville où l’on alloit. C’étoit une invention utile de Caius Gracchus, que l’on imita dans la suite.

Toutes les voies militaires du cœur de l’Italie, ne se terminoient pas aux portes de Rome, mais au marché forum, au milieu duquel étoit la colonne milliaire qui étoit dorée, d’où lui venoit le nom de milliarium aureum. Pline, & les autres écrivains de la bonne antiquité, prennent de cette colonne le terme & l’origine de toutes les voies. Pline, l. III. c. v. dit : ejusdem spatii mensura currente à milliario in capite fori Romani statuto. C’est de là que se comptoient les milles ; & comme ces milles étoient distingués par des pierres, il s’en forma l’habitude de dire ad tertium lapidem, ad duodecimum, ad vigesimum, &c. pour dire à trois milles, à douze milles, à vingt milles, &c. On ne voit point que les Romains aient compté au-delà de cent, ad centesimum, lorsqu’il s’agissoit de donner à quelque lieu un nom pris de sa distance. Bergier croit que c’est parce que la jurisdiction du vicaire de la ville ne s’étendoit pas plus loin.

Quoi qu’il en soit, il y avoit de ces colonnes milliaires dans toute l’étendue de l’empire romain, & sans parler d’un grand nombre d’autres, on en voit encore une debout à une lieue de la Haye, avec le nom de l’empereur Antonin. Les colonnes, sous les empereurs, portoient d’ordinaire les noms des empereurs, des Césars, des villes, ou des particuliers qui avoient fait faire ou réparer les voies ; quelquefois aussi l’étendue du travail qu’on y avoit fait ; & enfin la distance du lieu où elle étoit à l’endroit du départ, ou au terme auquel cet e voie menoit.

Tout ce que je viens de marque, ne regarde que les voies militaires. Les Romains avoient encore des voies d’une autre espece ; leur mot iter, qui est générique, comprenoit sous lui diverses especes, comme le sentier, semita, pour les hommes à pié ; le sentier pour un homme à cheval, callis ; les traverses, tramites ; les voies particulieres, par exemple, avoient huit piés de largeur pour deux chariots venant l’un contre l’autre. La voie pour un simple chariot, actus, n’avoit que quatre piés ; la voie nommée proprement iter, pour le passage d’un homme à pié ou à cheval, n’en avoit que deux ; le sentier qui n’avoit qu’un pié, semita, semble être comme si on disoit semi-iter ; le sentier pour les animaux, callis, n’avoit qu’un demi-pié ; la largeur des voies militaires étoit de soixante piés romains, savoir vingt pour le milieu de la chaussée, & vingt pour la pente de chaque côté.

Toutes les voies militaires, & même quelques-unes des voies vicinales ont été conservées dans un détail très précieux, dans l’itinéraire d’Antonin, ouvrage commencé dès le tems de la république romaine, continué sous les empereurs, & malheureusement altéré en quelques endroits par l’ignorance, ou par la hardiesse des copistes. L’autre est la table théodosienne, faite du tems de l’empereur Théodose, plus connue sous le nom de table de Peutinger, ou table d’Augsbourg, parce qu’elle a appartenu aux Peutingers d’Ausbourg ; Velser a travaillé à l’éclaircir, mais il a laissé une matiere à supplément & à correction.

Les voies militaires étoient droites & uniformes dans tout l’empire, je veux dire qu’elles avoient cinq piés pour un pas, mille pas pour un mille, une colonne ou une pierre avec une inscription à chaque mille. Les altérations arrivées naturellement dans l’espace de plusieurs siecles, & les réparations modernes que l’on a faites en divers endroits, n’ont pu empêcher qu’il ne restât des indications propres à nous faire reconnoître les voies romaines. Elles sont élevées, plus ordinairement construites de sable établi sur des lits de cailloux, toujours bordées par des fossés de chaque côté, au point même que quelque coupées qu’elles fussent sur le talus d’une montagne, elles étoient séparées de cette même montagne par un fossé destiné à les rendre séches, en donnant aux