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penses en quelque façon. Ce qu’ils prouvent par des passages de[1] la Genese, de l’Exode & du Lévitique, où Dieu ordonne des peines contre les bêtes.

Quelque hardie que soit cette pensée, elle ne tient point au fond de l’hérésie socinienne. En raisonnant conséquemment, les Unitaires dont nous ne sommes que les historiens, devoient dire avec Salomon : « Les hommes meurent comme les bêtes, & leur sort est égal ; comme l’homme meurt, les bêtes meurent aussi. Les uns & les autres respirent de même, & l’homme n’a rien de plus que la bête, tout est soumis à la vanité. Ils s’en vont tous au même lieu, & comme ils ont tous été formés de la terre, ils s’en retournent tous également en terre. Qui sait si l’ame des enfans d’Adam monte en-haut, & si l’ame des bêtes descend en-bas » ? Ecclésiast. c. iij. ℣. 19. & suiv. Cet aveu devoit leur coûter d’autant moins qu’ils soutiennent la mortalité des ames, ou leur dormir jusqu’au jour du jugement, & l’anéantissement de celles des méchans, &c.

Voila ce que j’ai trouvé de plus curieux & de plus digne de l’attention des philosophes, dans les écrits des Unitaires. J’ai tâché de donner à cet extrait analytique toute la clarté dont les matieres qui y sont traitées sont susceptibles ; & je n’ai pas craint de mettre la doctrine de ces sectaires à la portée de tous mes lecteurs ; elle est si impie & si infectée d’hérésie, qu’elle porte sûrement avec elle son antidote & sa réfutation. D’ailleurs j’ai eu soin pour mieux terrasser l’erreur, de renvoyer aux articles de ce Dictionnaire, où toutes les hétérodoxies des Unitaires doivent avoir été solidement réfutées, & où les vérités de la religion, & les dogmes de la véritable église ont pu être éclaircis & mis par nos théologiens dans un si haut degré d’évidence & de certitude, qu’il faudroit se faire illusion pour n’en être pas frappé, & pour n’en pas augurer l’entiere destruction de l’incrédulité. Par le moyen de ces renvois, des esprits foibles, ou qui ne s’étant pas appliqués à sonder les profondeurs de la métaphysique, pourroient se laisser éblouir par des argumens captieux, seront à l’abri des séductions, & auront une regle sûre & infaillible pour juger du vrai & du faux.

Je finirai cet article par une réflexion dont la vérité se fera sentir à tout lecteur intelligent.

La religion catholique, apostolique & romaine est incontestablement la seule bonne, la seule sûre, & la seule vraie ; mais cette religion exige en même tems de ceux qui l’embrassent, la soumission la plus entiere de la raison. Lorsqu’il se trouve dans cette communion un homme d’un esprit inquiet, remuant, & difficile à contenter, il commence d’abord par s’établir juge de la vérité des dogmes qu’on lui propose à croire, & ne trouvant point dans ces objets de sa foi un degré d’évidence que leur nature ne comporte pas, il se fait protestant ; s’appercevant bientôt de l’incohérence des principes qui caractérisent le protestantisme, il cherche dans le socinianisme une solution à ses doutes & à ses difficultés, & il devient socinien : du socinianisme au déïsme il n’y a qu’une nuance très-imperceptible, & un pas à faire, il le fait : mais comme le déïsme n’est lui même, ainsi que nous l’avons déja dit, qu’une religion inconséquente, il se précipite insensiblement dans le pyrrhonisme, état violent & aussi humiliant pour l’amour propre, qu’incompatible avec la nature de l’esprit humain : enfin il finit par tomber dans l’athéïsme, état vraiment cruel, & qui assure à l’homme

une malheureuse tranquillité à laquelle on ne peut guere espérer de le voir renoncer.

Au reste quoique le but de l’Encyclopédie ne soit pas de donner l’histoire des hérétiques, mais celle de leurs opinions, nous rapporterons cependant quelques anecdotes historiques sur ce qui concerne la personne & les avantures des principaux chefs des Unitaires. Ces sectaires ont fait trop de bruit dans le monde, & s’y sont rendus trop célebres par la hardiesse de leurs sentimens, pour ne pas faire en leur faveur une exception.

Lélie Socin naquit à Sienne en 1525, & s’étant laissé infecter du poison des nouvelles erreurs que Luther & Calvin répandoient alors comme à l’envi, il quitta sa patrie en 1547, voyagea pendant quatre ans tant en France & en Angleterre que dans les Pays-bas & en Pologne ; s’étant enfin fixé à Zurich, il commença à y répandre les sémences de l’hérésie arienne & photinienne, qu’il vouloit introduire ; & mourut en cette ville à l’âge de 37 ans, l’an 1562, laissant ses écrits à Fauste Socin son neveu.

Celui-ci né à Sienne en 1539, & déja séduit par les lettres de son oncle, sortit de l’Italie pour éviter les poursuites de l’Inquisition, & se hâta de se mettre en possession des écrits de Lélius, qu’il négligea pourtant après les avoir recueillis ; étant repassé en Italie, où il demeura douze ans à la cour du duc de Florence, mais l’ayant quitté tout-à-coup, il se retira à Bâle où il s’appliqua à l’étude, revit les ouvrages de son oncle, & y composa en 1578, son livre de Jesu Christo servatore, qui ne fut pourtant imprimé qu’en 1595. De Suisse il fut appellé par George Blaudrata, autre anti-trinitaire, en Transilvanie, où il eut des disputes fort vives avec François David, hérésiarque encore plus décidé que Socin & Blaudrata, contre la divinité de Jesus-Christ. De-là il passa en Pologne, où les nouveaux ariens étoient en grand nombre, & souhaita d’entrer dans la communion des Unitaires ; mais comme il différoit d’eux sur quelques points, & qu’il ne vouloit pas garder le silence, on le rejetta assez durement : il ne laissa pas d’écrire en leur faveur contre ceux qui les attaquoient, & vit enfin ses sentimens approuvés par plusieurs ministres ; mais il éprouva de la part des catholiques des persécutions fort cruelles ; pour s’en délivrer il se retira à un petit village éloigné d’environ neuf milles de Cracovie. Ce fut là que suivi d’un assez petit nombre de disciples, & protégé par quelques grands seigneurs, il employa vingt-cinq ans à composer un grand nombre de petits traités, d’opuscules, de remarques, de relations de ses différentes disputes, &c. imprimés en différens tems, soit de son vivant, soit après sa mort, & qu’on trouve recueillis en deux tomes in-fol. à la tête de la bibliotheque des freres Polonois.

Ce patriarche des Unitaires mourut en 1604. « Sa secte, comme le dit très-bien Bayle, bien-loin de mourir avec lui, se multiplia dans la suite considérablement ; mais depuis qu’elle fut chassée de Pologne, l’an 1658, elle est fort déchue & fort diminuée quant à son état visible : car d’ailleurs, il n’y a guere de gens qui ne soient persuadés qu’elle s’est multipliée invisiblement, & qu’elle devient plus nombreuse de jour en jour : & l’on croit qu’en l’état où sont les choses, l’Europe s’étonneroit de se trouver socinienne dans peu de tems, si de puissans princes embrassoient publiquement cette hérésie, ou si seulement ils donnoient ordre que la profession en fût déchargée de tous les desavantages temporels qui l’accompagnent ». Voyez notre introduction à la tête de cet article.

Ce qu’il y a de sûr c’est que les Unitaires étoient autrefois fort répandus en Pologne ; mais en ayant été chassés par un arrêt public de la diete générale

  1. Voyez la Genèse ch. ix. v. 5. Exod. xij. v. 28. Levitique xx. v. 15. 16. & notez ces paroles de Franzius. Quari autem posset an non ponenda sit rationalis anima in brutis… cum, Genes. 9. 5. Deus ipse velit vindicare sanguinem hominis in brutis sequando effuderunt sanguinem humanum, hist. animal. sacra, part. I. cap. ij. p. 16.