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xes : en un mot, comment en rejettant peu-à-peu les dogmes qui s’opposent à la raison, & en ne retenant que ceux qui s’accordent avec elle, & avec leurs hypothèses, ils sont parvenus à se faire insensiblement une religion à leur mode, qui n’est au fond, comme je l’ai déjà insinué, qu’un pur déisme assez artificieusement déguisé.

On peut rapporter à sept principaux chefs les opinions théologiques des Unitaires : 1o. sur l’Eglise : 2o. sur le péché originel, la grace, & la prédestination : 3o. sur l’homme & les sacremens : 4o. sur l’éternité des peines & la résurrection : 5o. sur le mystere de la trinité : 6o. sur celui de l’incarnation, ou la personne de Jesus-Christ : 7o. sur la discipline ecclésiastique, la politique, & la morale. Ce sont autant de tiges dont chacune embrasse une infinité de branches & de rejettons de principes hétérodoxes.

I. Sur l’Eglise. Les Unitaires disent :

Que celle qu’on nomme église visible, n’a pas toujours subsisté, & qu’elle ne subsistera pas toujours.

Qu’il n’y a pas de marques distinctes & certaines qui puissent nous désigner la véritable église.

Qu’on ne doit pas attendre de l’Eglise la doctrine de la vérité divine, & que personne n’est obligé de chercher & d’examiner quelle est cette église véritable.

Que l’Eglise est entierement tombée, mais qu’on peut la rétablir par les écrits des apôtres.

Que ce n’est point le caractere de la véritable Eglise, de condamner tous ceux qui ne sont point de son sentiment, ou d’assurer que hors d’elle il n’y a point de salut.

Que l’Eglise apostolique est celle qui n’erre en rien quant aux choses nécessaires au salut, quoiqu’elle puisse errer dans les autres points de la doctrine.

Qu’il n’y a que la parole de Dieu interpretée par la saine raison, qui puisse nous déterminer les points fondamentaux du salut.

Que l’Antechrist a commencé à régner dès que les pontifes romains ont commencé leur regne, & que c’est alors que les lois de Christ ont commencé à déchoir.

Que quand Jesus-Christ a dit à S. Pierre, vous êtes Pierre, & sur cette pierre je bâtirai mon église : il n’a rien promis & donné à S. Pierre, que ce qu’il a promis & donné aux autres apôtres.

Qu’il est inutile & ridicule de vouloir assurer sur ces paroles de Jésus Christ, que les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre elle ; qu’elle ne peut être séduite & renversée par les artifices du démon.

Que le sens de cette promesse est que l’enfer, ou la puissance de l’enfer ne prévaudra jamais sur ceux qui sont véritablement chrétiens, c’est-à-dire qu’ils ne demeureront pas dans la condition des morts.

Que les clés que Jesus-Christ a données à S. Pierre, ne sont autre chose qu’un pouvoir qu’il lui a laissé de déclarer & de prononcer qui sont ceux qui appartiennent au royaume des cieux, & ceux qui n’y appartiennent pas, c’est-à-dire qui sont ceux qui appartiennent à la condition des chrétiens, & chez qui Dieu veut demeurer en cette vie par sa grace, & dans l’autre par sa gloire éternelle, dont il les comblera. « C’est donc en-vain, ajoutent-ils, que les docteurs de la communion romaine s’appuient sur ce passage, pour prouver que S. Pierre a été établi chef de l’église catholique. En effet, quand ils auroient prouvé clairement cette thèse, ils n’auroient encore rien fait, s’ils ne montroient que les promesses faites à S. Pierre, regardent aussi ses successeurs ; au-lieu que la plûpart des peres ont cru que c’étoient des privileges personnels, comme Tertullien dans son livre de la chasteré, (chap. xxj.) qui parle ainsi au pape Zéphirin : si parce que la Seigneur a dit à Pierre, sur cette pierre

je bâtirai mon église, & je te donnerai les clés du royaume du ciel, & tout ce que tu lieras ou délieras sur la terre, sera lié ou délié dans le ciel : si, dis-je, à cause de cela, vous vous imaginez que la puissance de délier ou de lier est passée à vous, c’est-à-dire à toutes les églises fondées par Pierre : qui êtes-vous, qui renversez & changez l’intention claire du Seigneur, qui a conferé cela personnellement à Pierre ? sur toi, dit-il, j’édifierai mon Eglise, & je te donnerai les clés, & non à l’Eglise, & tout ce que tu délieras, & non ce qu’ils délieront.

» Après avoir montré que ces privileges ne sont pas personnels, il faudroit prouver :

» 1o. Qu’ils ne regardent que les évêques de Rome, à l’exclusion de ceux d’Antioche.

» 2o. Qu’ils les regardent tous sans exception & sans condition, c’est-à-dire que tous & un chacun des papes sont infaillibles, tant dans le fait que dans le droit, contre l’expérience & le sentiment de la plûpart des théologiens catholiques romains.

» 3o. Il faudroit définir ce que c’est que l’église catholique, & montrer par des passages formels, que ces termes marquent le corps des pasteurs, qu’on appelle l’église représentative, ce qui est impossible, au-lieu qu’il est très-facile de faire voir que l’Eglise ne signifie jamais dans l’Ecriture que le peuple & les simples fideles, par opposition aux pasteurs : & dans ce sens il n’est rien de plus absurde que tout ce qu’on dit du pouvoir de l’église & de ses privileges, puisqu’elle n’est que le corps des sujets du pape & du clergé romain, & que des sujets bien loin de faire des décisions n’ont que la soumission & l’obéissance en partage.

» 4o. Après tout cela il faudroit encore prouver que les privileges donnés à S. Pierre & aux évêques de Rome ses successeurs, n’emportent pas simplement une primauté d’ordre, & quelque autorité dans les choses qui regardent la discipline & le gouvernement de l’église ; ce que les Protestans pourroient accorder sans faire préjudice à leur cause ; mais qu’ils marquent de plus une primauté de jurisdiction, de souveraineté & d’infaillibilité dans les matieres de foi, ce qui est impossible à prouver par l’Ecriture, & par tous les monumens qui nous restent de l’antiquité ; ce qui est même contradictoire, puisque la créance d’un fait ou d’un dogme se persuade & ne se force pas. A quoi pensent donc les Catholiques romains d’accuser les Protestans d’opiniâtreté, sur ce qu’ils refusent d’embrasser une hypothèse qui suppose tant de principes douteux, dont la plûpart sont contestés même entre les théologiens de Rome ; & de leur demander qu’ils obéissent à l’église, sans leur dire distinctement qui est cette église, ni en quoi consiste la soumission qu’on leur demande, ni jusqu’où il la faut étendre[1] ? »

C’est par ces argumens & d’autres semblables, que les Sociniens anéantissent la visibilité, l’indéfectibilité, l’infaillibilité, & les autres caracteres ou prérogatives de l’église, la primauté du pape, &c. Tel est le premier pas qu’ils ont fait dans l’erreur ; mais ce qui est plus triste pour eux, c’est que ce premier pas a décidé dans la suite de leur foi : aussi nous ne croirons pas rendre un service peu important à la religion chrétienne en général, & au catholicisme en particulier, en faisant voir au lecteur attentif, & sur-tout à ceux qui sont foibles & chancelans dans leur foi, où l’on va se perdre insensiblement lorsqu’on s’écarte une fois de la créance pure & inaltérable de l’Eglise, & qu’on refuse de reconnoître un juge souverain & infaillible des contro-

  1. Voyez le livre d’Episcopius contre Guillaume Bom, prêtre catholique romain.