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ques branches de l’arbre, mais qui tenoient toujours au tronc ; tandis qu’il falloit les considérer comme une secte de philosophes, qui, pour ne point choquer trop directement le culte & les opinions vraies ou fausses reçues alors, ne vouloient point afficher ouvertement le déisme pur, ni rejetter formellement & sans détours toute espece de révélation ; mais qui faisoient continuellement à l’égard de l’ancien & du nouveau Testament, ce qu’Epicure faisoit à l’égard des dieux qu’il admettoit verbalement, & qu’il détruisoit réellement. En effet, les Unitaires ne recevoient des Ecritures, que ce qu’ils trouvoient conforme aux lumieres naturelles de la raison, & ce qui pouvoit servir à étayer, & à confirmer les systèmes qu’ils avoient embrassés. Comme ils ne regardoient ces ouvrages que comme des livres purement humains, qu’un concours bisarre & imprévu de circonstances indifférentes, & qui pouvoient fort bien ne jamais arriver, avoit rendu l’objet de la foi & de la vénération de certains hommes dans une certaine partie du monde, ils n’y attribuoient pas plus d’autorité qu’aux livres de Platon & d’Aristote, & ils les traitoient en conséquence, sans paroître néanmoins cesser de les respecter, au-moins publiquement.

Les sociniens étoient donc une secte de déistes cachés, comme il y en a dans tous les pays chrétiens, qui, pour philosopher tranquillement & librement sans avoir à craindre la poursuite des lois & le glaive des magistrats, employoient toute leur sagacité, leur dialectique & leur subtilité à concilier avec plus ou moins de science, d’habileté & de vraissemblance, les hypothèses théologiques & métaphysiques exposées dans les Ecritures avec celles qu’ils avoient choisies.

Voilà, si je ne me trompe, le point de vue sous lequel il faut envisager le socinianisme, & c’est, faute d’avoir fait ces observations, qu’on l’a combattu jusqu’à présent avec si peu d’avantage ; que peut-on gagner en effet, en opposant perpétuellement aux Unitaires la révélation ? N’est-il pas évident qu’ils la rejettoient, quoiqu’ils ne se soient jamais expliqués formellement sur cet article ? S’ils l’eussent admise, auroient-ils parlé avec tant d’irrévérence de tous les mysteres que les théologiens ont découverts dans le nouveau Testament ? Auroient-ils fait voir avec toute la force de raisonnement dont ils ont été capables, l’opposition perpétuelle qu’il y a entre les premiers principes de la raison, & certains dogmes de l’Evangile ? En un mot l’auroient-ils exposée si souvent aux railleries des profanes par le ridicule dont ils prenoient plaisir à en charger la plûpart des dogmes & des principes moraux, conformément à ce précepte d’Horace.

Ridiculum acri
Fortius & melius magnas plerumque secat res.

Telles sont les réflexions que j’ai cru devoir faire avant d’entrer en matiere ; faisons connoître présentement les sentimens des Unitaires ; & pour le faire avec plus d’ordre, de précision, d’impartialité, & de clarté, présentons aux lecteurs par voie d’analyse un plan général de leur système extrait de leurs propres écrits. Cela est d’autant plus équitable, qu’il y a eu parmi eux, comme parmi tous les hérétiques, des transfuges qui, soit par esprit de vengeance, soit pour des raisons d’intérêt, ce mobile si puissant & si universel, soit par ces causes réunies, & par quelques autres motifs secrets aussi pervers, ont noirci, décrié & calomnié la secte pour tâcher de la rendre odieuse, & d’attirer sur elle les persécutions, l’anathème & les proscriptions. Afin donc d’éviter les pieges que ces esprits prévenus & aveuglés par la haine, pourroient tendre a notre bonne foi, quelques efforts que nous fissions d’ailleurs pour découvrir la vérité, & pour ne rien imputer aux sociniens qu’ils n’aient expressé-

ment enseigné, soit comme principes, soit comme

conséquences, nous nous bornerons à faire ici un extrait analytique des ouvrages de Socin, de Crellius, de Volkelius, & des autres savans unitaires, tant anciens que modernes ; & pour mieux développer leur système, dont l’enchaînure est difficile à saisir, nous rassemblerons avec autant de choix que d’exactitude tout ce qu’ils ont écrit de plus intéressant & de plus profond en matiere de religion ; de toutes ces parties inactives & éparses dans différens écrits fort diffus, & fort abstraits, nous tâcherons de former une chaîne non interrompue de propositions tantôt distinctes, & tantôt dépendantes, qui toutes seront comme autant de portions élémentaires & essentielles d’un tout. Mais pour réussir dans cette entreprise aussi pénible que délicate, au gré des lecteurs philosophes, les seuls hommes sur la terre desquels le sage doive être jaloux de mériter le suffrage & les éloges, nous aurons soin de bannir de notre exposé toutes ces discussions de controverse qui n’ont jamais fait découvrir une vérité, & qui d’ailleurs sentent l’école, & décélent le pédant : pour cet effet, sans nous attacher à réfuter pié-à-pié tous les paradoxes & toutes les impiétés que les auteurs que nous allons analyser pourront débiter dans les paragraphes suivans ; nous nous contenterons de renvoyer exactement aux articles de ce Dictionnaire, où l’on a répondu aux difficultés des Unitaires d’une maniere à satisfaire tout esprit non prévenu, & où l’on trouvera sur les points contestes les véritables principes de l’orthodoxie actuelle posés de la maniere la plus solide.

Toutes les hérésies des Unitaires découlent d’une même source : ce sont autant de conséquences nécessaires des principes sur lesquels Socin bâtit toute sa théologie. Ces principes, qui sont aussi ceux des calvinistes, desquels il les emprunta, établissent 1°. que la divinité des Ecritures ne peut être prouvée que par la raison.

2°. Que chacun a droit, & qu’il lui est même expédient de suivre son esprit particulier dans l’interprétation de ces mêmes Ecritures, sans s’arrêter ni à l’autorité de l’Eglise, ni à celle de la tradition.

3°. Que tous les jugemens de l’antiquité, le consentement de tous les peres, les décisions des anciens conciles, ne font aucune preuve de la vérité d’une opinion ; d’où il suit qu’on ne doit pas se mettre en peine, si celles qu’on propose en matiere de religion, ont eu ou non des sectateurs dans l’antiquité.

Pour peu qu’on veuille réfléchir sur l’énoncé de ces propositions, & sur la nature de l’esprit humain, on reconnoîtra sans peine que des principes semblables sont capables de mener bien loin un esprit malheureusement conséquent, & que ce premier pas une fois fait, on ne peut plus savoir où l’on s’arrêtera. C’est aussi ce qui est arrivé aux Unitaires, comme la suite de cet article le prouvera invinciblement : on y verra l’usage & l’application qu’ils ont fait de ces principes dans leurs disputes polémiques avec les protestans, & jusqu’où ces principes les ont conduits. Ce sera, je pense, un spectacle assez intéressant pour les lecteurs qui se plaisent à ces sortes de matieres, de voir avec quelle subtilité ces sectaires expliquent en leur faveur les divers passages de l’Ecriture que les catholiques & les protestans leur opposent : avec quel art ils échappent à ceux dont on les presse ; avec quelle force ils attaquent à leur tour ; avec quelle adresse ils savent, à l’aide d’une dialectique très-fine, compliquer une question simple en apparence, multiplier les difficultés qui l’environnent, découvrir le foible des argumens de leurs adversaires, en retorquer une partie contre eux, & faire évanouir ainsi les distances immenses qui les séparent des orthodo-