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Nous avons fait voir aussi que le serment de cet empereur n’est pas d’un grand poids ; on sent donc aisément que les argumens tirés des médailles perdent toute leur force.

La premiere que cite le p. Grainville, est de petit bronze. On y voit le buste de Constantin couronné de pierreries, avec ces mots : Constantinus Max. Aug. au revers, gloria exercitus, deux figures militaires debout, tenant d’une main un bouclier appuyé contre terre, & de l’autre une pique, entr’eux deux une croix assez grande. Cette croix est, selon le p. Grainville, celle que Constantin avoit apperçue dans le ciel ; mais ne peut-ce pas être celle qu’il prétendoit avoir vue en songe ?

La seconde médaille aussi de petit bronze, représente le buste de Constantin couvert d’un casque, couronné de rayons, avec cette inscription : Imp. Constantinus Aug. au revers, Victoriæ loetæ Princ. Perp. Deux victoires debout, soutenant sur une espece d’autel, un bouclier, sur lequel est une croix. Cette croix est encore, selon le savant p. Grainville, celle que Constantin avoit vue de jour, & à laquelle il étoit redevable des victoires qu’il remporta sur Maxence. Mais ne peut-on pas répondre que cette croix est une preuve que Constantin vouloit répandre par-tout le bruit de son prétendu songe ? Ne pourroit-on pas conjecturer même que cette croix que désigne le nombre de X. marque les vœux décennaux ? Peut-être n’indique-t-elle que la valeur de la piece : ce qui pourtant n’est qu’une conjecture sur laquelle nous n’insistons pas, parce qu’on ne trouve point ce X. sur les médailles de cuivre.

Il n’y a rien dans la troisieme médaille qui mérite quelque attention, ni qui forme la moindre preuve.

La quatrieme encore de petit bronze, représente le buste de Constantin avec un voile sur la tête, & ces mots, Divo Constantino P. au revers, Æterna Pietas ; une figure militaire debout un casque sur la tête, s’appuyant de la main droite sur une pique, & tenant à la main gauche un globe, sur lequel est le monogramme de Jesus-Christ. Ici le p. Grainville fait diverses remarques qui ne concluent rien sur la question dont il s’agit ; il semble même qu’il se trompe en attribuant à Constantin la piété éternelle marquée sur la médaille ; c’est plutôt celle de ses fils qui honoroient la mémoire de leur pere par cette monnoie.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur les médailles rapportées par le p. Grainville ; c’est assez de dire qu’il n’en est aucune qui prouve ce qu’il falloit prouver ; j’entends la réalité de la vision, ou la réalité même du songe.

La dissertation dont on vient de lire l’extrait, peut servir de modele dans toutes les discussions critiques de faits extraordinaires que rapportent les historiens. Ici la lumiere perce brillamment à-travers les nuages des préjugés ; il faut que tout cede à son éclat. (Le chevalier de Jaucourt.)

VISIR grand, (Hist. turq.) premier ministre de la Porte ottomane ; voici ce qu’en dit Tournefort.

Le sultan met à la tête de ses ministres d’état le grand-visir, qui est comme son lieutenant général, avec lequel il partage, ou plutôt à qui il laisse toute l’administration de l’empire. Non-seulement le grand visir est chargé des finances, des affaires étrangeres & du soin de rendre la justice pour les affaires civiles & criminelles, mais il a encore le département de la guerre & le commandement des armées. Un homme capable de soutenir dignement un si grand fardeau, est bien rare & bien extraordinaire. Cependant il s’en est trouvé qui ont rempli cette charge avec tant d’éclat, qu’ils ont fait l’admiration de leur siecle. Les Cuperlis pere & fils, ont triomphé dans la paix & dans la guerre, & par une politique presque incon-

nue jusqu’alors, ils sont morts tranquillement dans

leurs lits.

Quand le sultan nomme un grand-visir, il lui met entre les mains le sceau de l’empire, sur lequel est gravé son nom : c’est la marque qui caractérise le premier ministre ; aussi le porte-t-il toujours dans son sein. Il expédie avec ce sceau tous ses ordres, sans consulter & sans rendre compte à personne. Son pouvoir est sans bornes, si ce n’est à l’égard des troupes, qu’il ne sauroit faire punir sans la participation de leurs chefs. A cela près, il faut s’adresser à lui pour toutes sortes d’affaires, & en passer par son jugement. Il dispose de tous les honneurs & de toutes les charges de l’empire, excepté de celles de judicature. L’entrée de son palais est libre à tout le monde, & il donne audience jusqu’au dernier des pauvres. Si quelqu’un pourtant croit qu’on lui ait fait quelque injustice criante, il peut se présenter devant le grand-seigneur avec du feu sur la tête, ou mettre sa requête au haut d’un roseau, & porter ses plaintes à sa hautesse.

Le grand-visir soutient l’éclat de sa charge avec beaucoup de magnificence ; il a plus de deux mille officiers ou domestiques dans son palais, & ne se montre en public qu’avec un turban garni de deux aigrettes chargées de diamans & de pierreries ; le harnois de son cheval est semé de rubis & de turquoises, la housse brodée d’or & de perles. Sa garde est composée d’environ quatre cens bosniens ou albanois, qui ont de paie depuis 12 jusqu’à 15 aspres par jour ; quelques uns de ses soldats l’accompagnent à pié quand il va au divan ; mais quand il marche en campagne, ils sont bien montés, & portent une lance, une épée, une hache & des pistolets. On les appelle délis, c’est-à-dire, fous, à cause de leurs fanfaronades & de leur habit qui est ridicule ; car ils ont un capot, comme les matelots.

La marche du grand-visir est précédée par trois queues de cheval, terminées chacune par une pomme dorée : c’est le signe militaire des Ottomans qu’ils appellent thou ou thouy. On dit qu’un général de cette nation ne sachant comment rallier ses troupes, qui avoient perdu leurs étendards, s’avisa de couper la queue d’un cheval, & de l’attacher au bout d’une lance ; les soldats coururent à ce nouveau signal, & remporterent la victoire.

Quand le sultan honore le grand-visir du commandement d’une de ses armées, il détache à la tête des troupes une des aigrettes de son turban, & la lui donne pour la placer sur le sien : ce n’est qu’après cette marque de distinction que l’armée le reconnoit pour général, & il a le pouvoir de conférer toutes les charges vacantes, même les vice-royautés & les gouvernemens, aux officiers qui servent sous lui. Pendant la paix, quoique le sultan dispose des premiers emplois, le grand-visir ne laisse pas de contribuer beaucoup à les faire donner à qui il veut ; car il écrit au grand-seigneur, & reçoit sa réponse sur le champ ; c’est de cette maniere qu’il avance ses créatures, ou qu’il se venge de ses ennemis ; il peut faire étrangler ceux-ci, sur la simple relation qu’il fait à l’empereur de leur mauvaise conduite. Il va quelquefois dans la nuit visiter les prisons, & mene toujours avec lui un bourreau pour faire mourir ceux qu’il juge coupables.

Quoique les appointemens de la charge de grandvisir ne soient que de quarante mille écus (monnoie de nos jours), il ne laisse pas de jouir d’un revenu immense. Il n’y a point d’officier dans ce vaste empire qui ne lui fasse des présens considérables pour obtenir un emploi, ou pour se conserver dans sa charge : c’est une espece de tribut indispensable.

Les plus grands ennemis du grand-visir sont ceux qui commandent dans le serrail après le sultan, com-