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dans le vinaigre, même le plus fort ou le plus concentré, n’est point admis dans la formation des sels acéteux ; & que leur eau de crystallisation pouvant être d’ailleurs facilement dissipée, avant qu’on procede à la diécrise réelle de ces sels, il est clair qu’il est possible d’obtenir par ce procédé un acide de vinaigre très-concentré.

Vinaigre, (Art méchaniq.) la maniere de faire le vinaigre a été long-tems un secret parmi les marchands qui font profession de le faire & de le vendre : on dit que ceux qui étoient reçus dans ce corps s’obligeoient par serment de ne point révéler le secret : ce qui n’a point empêché que les Transactions philosophiques, & d’autres écrits modernes n’en aient parlé très-savamment.

Maniere de faire le vinaigre de cidre. Le cidre qu’on destine à cette opération, pour laquelle on peut prendre le plus mauvais, doit être tiré d’abord au clair dans un autre vaisseau sur lequel on jette ensuite une certaine quantité de moût.

On expose le tout au soleil, si le tems le permet, & au bout de sept ou de neuf jours on peut l’ôter du soleil. Voyez Cidre.

Maniere de faire le vinaigre de biere. Prenez une sorte de biere moyenne, bien ou mal houblonnée, & après qu’elle a bien fermenté, & qu’elle s’est éclaircie, mettez-y un peu de rapé, ou de calotes de raisins, que l’on garde ordinairement pour cette opération ; mêlez le tout ensemble dans une cuve, attendez que le rapé soit au fond ; tirez la liqueur au clair ; versez-la dans un tonneau, & exposez-le au plus fort du soleil, en couvrant seulement le trou du bondon d’une tuile ou pierre platte ; au bout de trente ou quarante jours vous aurez de bon vinaigre, dont on pourra se servir aussi-bien que de celui qui est fait du vin, pourvu qu’il soit bien rafiné, & qu’il ne sente point le relent.

Autre maniere. Sur chaque gallon d’eau de source mettez trois livres de raisin de Malaga, jettez le tout dans une jarre, que vous exposerez à la plus forte chaleur du soleil depuis le mois de Mai jusqu’à la saint Michel. Ensuite pressurez bien le tout, & versez la liqueur dans un tonneau relié de cerceaux de fer, pour empêcher qu’il ne creve : immédiatement après le pressurage, la liqueur paroîtra extrémement épaisse & trouble ; mais elle s’éclaircira dans le tonneau, & deviendra aussi transparente que le vin : laissez-la dans cet état pendant trois mois, avant de la soutirer, & vous aurez un vinaigre excellent.

Maniere de faire le vinaigre de vin. Mettez dans une liqueur vineuse une certaine quantité de ses propres lies, fleurs, ou levures, avec le tartre réduit auparavant en poudre, ou bien avec les rafles ou tiges du corps végétable dont on a tiré le vin, lesquels ont presque la même vertu que son tartre ; mettez, & remuez souvent, le tout dans un vaisseau qui a renfermé auparavant du vinaigre, ou qui a été du tems dans une place chaude & remplie de l’odeur du vinaigre ; la liqueur commencera à fermenter de nouveau, concevra de la chaleur, s’aigrira par degrés, & tournera bientôt après en vinaigre.

Les sujets éloignés de la fermentation acétique, sont les mêmes que ceux de la fermentation vineuse ; mais ses sujets immédiats sont toutes sortes de jus végétables, après qu’ils ont une fois subi la fermentation qui les a réduits en vin : car il est absolument impossible de faire du vinaigre de la plûpart des jus cruds de raisins ou d’autres fruits mûrs, sans qu’ils aient passé auparavant par la fermentation vineuse.

Les levains propres à faire du vinaigre, sont 1°. les lies de tous les vins acides ; 2°. les lies de vinaigres ; 3°. du tartre pulvérisé, & sur-tout celui de vin du Rhin, ou sa crême ou son crystal ; 4°. e vinaigre lui-même ; 5°. un vaisseau de bois que l’on a bien

rinsé avec du vinaigre, ou qui en a renfermé pendant long-tems ; 6°. du vin qui a été souvent mêlé avec sa propre lie ; 7°. les rejettons des vignes, & les rafles des grapes de raisins, de groseilles, de cerises, ou d’autres fruits d’un goût piquant & acide ; 8°. du levain de boulanger, après qu’il s’est aigri ; 9°. toutes sortes de levures composées de celles ci-dessus mentionnées.

Le vinaigre n’est point une production de la nature, mais une créature de l’art ; car le verjus, les jus de citrons, limons, & autres semblables acides naturels, ne s’appellent que fort improprement des vinaigres naturels, puisqu’en les distillant, on n’en tire que de l’eau insipide ; au-lieu qu’en distillant le vinaigre, on en tire un esprit acide.

Maniere de faire le vinaigre en France, qui est différente de celle ci-dessus. On prend deux tonneaux de bois de chêne, les plus grands sont les meilleurs : on les ouvre par le fond d’en-haut, & on place dans l’un & dans l’autre une grille de bois, environ à un pié de distance du fond d’en-bas : sur ces grilles on met d’abord des rejettons ou des coupures de vignes, & ensuite les tiges des branches sans grappes ni pepins, jusqu’à ce que la pile vienne à un pié de distance du bord supérieur du tonneau : alors on emplit de vin un des deux tonneaux jusqu’au bord, & on n’emplit l’autre qu’à moitié : ensuite on puise de la liqueur dans le tonneau plein, pour remplir celui qui n’étoit plein qu’à moitié : on repete tous les jours la même opération, en versant la liqueur d’un tonneau dans l’autre, de sorte que chacun se trouve alternativement plein jusqu’au bout, & plein à moitié ; après avoir continué cette opération pendant deux ou trois jours, il s’éleve un degré de chaleur dans le tonneau qui pour lors n’est plein qu’à moitié, & cette chaleur s’augmente successivement pendant plusieurs jours, sans que dans tout cet intervalle, la même chose arrive dans le tonneau qui est plein, & dont la liqueur reste toujours froide : dès que la chaleur vient à cesser dans le tonneau qui n’est plein qu’à moitié, c’est une marque que le vinaigre est fait ; ce qui dans l’été arrive au bout de quatorze ou quinze jours, à compter de celui que l’on a commencé l’opération ; mais en hiver la fermentation est plus lente, de sorte qu’on est obligé de l’avancer par les poëles, ou par d’autres chaleurs artificielles.

Quand le tems est excessivement chaud, il faut verser la liqueur du tonneau plein, dans l’autre deux fois par jour, autrement elle s’échaufferoit trop, & la fermentation seroit trop violente, de sorte que ses parties spiritueuses viendroient à s’évaporer, & qu’au lieu de vinaigre, on ne trouveroit que du vin éventé.

Il faut que le vaisseau plein demeure toujours ouvert, mais on doit mettre sur l’autre un couvercle de bois, afin de mieux arrêter & fixer les parties spiritueuses dans le corps de la liqueur ; car autrement elles s’échapperoient aisément dans la chaleur de la fermentation. Le tonneau qui n’est qu’à moitié plein paroît s’échauffer plutôt que l’autre, parce que la liqueur y étant en plus petite quantité, elle participe davantage à l’effet ou fermentation que produisent les tiges & rejettons de vigne, outre que la pile étant montée fort haut, & se trouvant à sec, elle conçoit plus aisément de la chaleur que celle qui trempe, & communique cette chaleur au vin qui est au fond du tonneau.

Vinaigre, (Médecine.) le vinaigre est très-utile, il résiste à la putréfaction, il ne peut nuire par son âcreté qui est émoussée par les huiles ; c’est une liqueur si pénétrante qu’elle se fraie un passage à travers les corps les plus épais, il agit avec efficacité sur nos humeurs & nos vaisseaux, sur-tout lorsqu’il est aidé par la chaleur naturelle & par le mouvement