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ou bien avec une laque particuliere, tirée du raisin de teinte. (Le chevalier de Jaucourt.)

Vin musté, (Chimie.) on nomme ainsi le moût qu’on clarifie en le laissant quelque tems en repos ; on le soutire ensuite ; après quoi on le verse dans des tonneaux soufrés, c’est-à dire imprégnés de la vapeur du soufre brûlé ; par ce procédé on conserve le moût sans craindre qu’il se gâte & qu’il puisse entrer en fermentation. C’est une belle chose que la fermentation qu’éprouve le moût, c’est à-dire le suc du raisin, avant que d’être changé en vin ; l’auteur du discours préliminaire des leçons de chimie du docteur Shaw, a peint ce phénomene avec des couleurs agréables & brillantes, ce qui n’est pas ordinaire en Chimie.

Le suc grossier des raisins, dit il, s’affine & se subtilise par un mouvement qui s’excite de lui-même dans toutes les molécules de la liqueur fermentante. Ce mouvement les divise chacune en particulier, les recombine ensemble, & les sépare ensuite pour les réunir de nouveau. Dans ce choc, & dans cette union réciproque, les diverses parties du tout empruntent mutuellement les unes des autres, ce qui leur manque, & forment enfin un nouveau composé, dont les principes & les produits different entierement du premier. Un suc épais & trouble se change en une liqueur claire & transparente. Sa couleur louche & indécise, prend de l’éclat & du brillant. Son goût fade & doucereux se tourne en force, & de presque inodore qu’il étoit, il acquiert le parfum le plus exquis. C’est ainsi que le moût transformé en vin, produit cet esprit subtil & inflammable, dont on n’appercevoit même aucun vestige, avant que la nature lui eût imprimé le mouvement, qui seul pourroit lui donner son dernier de gré de perfection.

Cette liqueur, toute admirable qu’elle est, est capable de se conserver sans se corrompre pendant plusieurs années, pourvû qu’on la tienne dans un vaisseau fermé, & dans un endroit frais ; abandonnée à elle même, & exposée à l’air extérieur, elle perd cependant bien-tôt tous les avantages qu’elle avoit reçus de la nature ; sa couleur brillante, son odeur suave, sa saveur agréable, & sur-tout cet esprit inflammable qui formoient son caractere distinctif. Elle pâlit, elle se trouble, elle prend un goût & une odeur acides, & si on la laisse en cet état sans y apporter de remede, elle passe à la putréfaction. Il semble que la nature ait épuisé tout son pouvoir dans la fermentation spiritueuse, & qu’elle n’ait plus rien à offrir aux hommes après un tel présent. Impuissante & fatiguée, elle ne fait plus que décroître, & nous donne dans une de ses opérations les plus parfaites, l’image de la vie humaine. (D. J.)

Vin, (Littérat.) les Romains dans le tems de leurs richesses, étoient très-curieux des grands vins du monde. Les noms des meilleurs vins de leur pays, après ceux de la Campanie, se tiroient du cru des vignobles ; tel étoit le vin de Setines, de Gaurano de Faustianum, d’Albe, de Sorrento, qui du tems de Pline, étoient des vins recherchés.

Entre les vins Grecs, ils estimoient sur-tout le vin de Maronée, de Thase, de Cos, de Chio, de Lesbos, d’Icare, de Smyrne, &c. Leur luxe les porta jusqu’à rechercher les vins d’Asie, de la Palestine, du mont-Liban, & autres pays éloignés.

Mais il faut remarquer que les Romains tiroient leurs vins les plus précieux de la Campanie, aujourd’hui la terre de Labour, province du royaume de Naples : tous les autres vins d’Italie n’approchoient point de la bonté de ces derniers. Le Falerne & le Massique venoient de vignobles plantés sur des collines tout-au-tour de Mondragon, au pié duquel passe le Garigliano, anciennement nommé Iris. Mais Athé-

née remarque qu’il y avoit deux sortes de vins de Falerne ; l’un étoit doux & avoit beaucoup de liqueur ;

l’autre étoit rude & gros. Pline, liv. XIV. ch. viij. fait la même observation sur le vin d’Albe, auquel il donne le troisieme rang parmi les grands vins d’Italie ; il y avoit, dit-il, un vin d’Albe douçâtre & l’autre rude ; en vieillissant, le premier acquéroit de la fermeté, & l’autre de la douceur, alors ils étoient excellens. Le vin de Cæcube, aussi prisé que le bon Falerne, croissoit dans la terre de Labour, ainsi que le vin d’Amiela & de Fundi, près de Gaïete ; le vin de Suessa tiroit son nom d’un terroir maritime du royaume de Naples ; le Calenum, d’une ville de la terre de Labour ; il en étoit ainsi de plusieurs autres que cette province fournissoit à la ville de Rome.

Ces vins qui étoient excellens de leur nature, acquéroient encore en vieillissant un degré de perfection auquel aucun autre vin d’Italie ne pouvoit atteindre. Ces derniers vins nommés par les Grecs oligophora, & par les Latins paucifera, se conservoient aisément dans les lieux frais. Pareillement ceux que les Grecs nommoient polyphora & les Latins vinosa, devenoient plus vigoureux & plus spiritueux par la chaleur. Les vins qui se conservoient par le froid abondoient en flegme, & les derniers vins en esprits. C’est pour cela qu’ils acquéroient de la force par la chaleur, & qu’on les préparoit d’une maniere particuliere.

Les Romains mettoient leurs tonneaux pleins de vin aqueux dans des endroits exposés au nord, tels que ce que nous appellons aujourd’hui des caves. Ils mettoient au-contraire les tonneaux pleins de vins spiritueux dans des endroits découverts exposés à la pluie, au soleil, & à toutes les injures du tems. La premiere espece de vins se conservoit seulement deux ou trois ans dans ces endroits frais ; & pour les garder plus long-tems, il falloit les porter dans des endroits plus chauds. Nous apprenons de Pline, que plus le vin est fort, plus il s’épaissit par la vieillesse. C’est en effet ce que nous voyons arriver de nos jours aux vins d’Espagne.

Galien parle de vins d’Asie, qui mis dans de grandes bouteilles, qu’on pendoit au coin des cheminées, acqueroient par l’évaporation & par la fumée, la dureté du sel. Aristote dit que les vins d’Arcadie se séchoient tellement dans les outres, qu’on les en tiroit par morceaux qu’il falloit fondre dans l’eau pour la boisson.

Voici la maniere dont les Romains faisoient leurs vins. Ils mettoient dans une cuve de bois le moût qui couloit des grappes de raisin après qu’elles avoient été bien foulées auparavant. Dès que ce vin avoit fermenté quelque tems dans la cuve, ils en remplissoient des tonneaux, dans lesquels il continuoit sa fermentation ; pour aider sa dépuration, ils y jettoient du plâtre, de la craie, de la poussiere de marbre, du sel, de la résine, de la lie de nouveau vin, de l’eau salée, de la myrrhe, des herbes aromatiques, &c. chaque pays ayant son mélange particulier, & c’est-là ce que les Latins appelloient conditura vinorum.

Ils laissoient ce vin ainsi préparé dans les tonneaux jusqu’à l’année suivante, quelque fois même deux ou trois ans, suivant la nature du vin & du crû ; ensuite ils le soutiroient dans de grandes jarres de terre vernissées en-dedans de poix fondue ; on marquoit sur le dehors de la cruche le nom du vignoble & celui du consulat sous lequel le vin avoit été fait. Les Latins appelloient le soutirage du vin de leurs tonneaux dans des vaisseaux de terre, diffusio vinorum.

Ils avoient deux sortes de vaisseaux pour leurs vins ; l’un se nommoit amphore, & l’autre cade ; l’amphore étoit de forme quarrée ou cubique à deux anses, & contenoit deux urnes, environ quatre-vingt pintes de liqueur ; ce vaisseau se terminoit en un cou étroit,