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tion ne peut produire qu’un très-bon effet, principalement si le tout est fortifié par un peu d’huile essentielle de vin, qui n’est jamais parfaite dans les vins qui sont trop aqueux. Cette maladie étant une des principales dans les vins, ou du-moins celle à laquelle toutes les autres doivent leur origine, il peut être à propos de donner ici un procédé qu’on a trouvé très-propre pour remédier à cet accident.

Prenez une once d’huile essentielle de vin très parfaite ; mêlez-la par la trituration avec une livre de sucre bien sec, pour en faire un oleo-saccharum ; dissolvez ensuite cet oleo-saccharum dans huit pintes de vin le plus fort, auquel vous ajouterez huit pintes de l’esprit-de-vin le mieux rectifié, de maniere qu’ils puissent être bien incorporés ensemble : la dose de ce mêlange doit être proportionnée au besoin qu’en a le vin qu’on veut rétablir dans son premier état ; mais ordinairement la moitié de la dose exprimée plus haut, suffit pour un muid & demi de vin.

Il y a encore une autre maladie des vins, qui est l’opposée de celle que nous venons de décrire, c’est lorsqu’on les a trop privés de leur humidité aqueuse. Ce manque d’eau les rend, pour ainsi dire, secs & même brûlés, si l’on peut se servir de ce terme. Il est vrai que cet accident ne sauroit arriver que lorsqu’on fait concentrer le vin : cette opération rapproche en effet ses parties essentielles à un tel degré qu’il n’est plus propre à boire, jusqu’à ce qu’on les ait séparées en les délayant dans quelqu’autre liquide, mais l’eau ne doit pas être employée seule, de crainte de rendre le vin fade & plat. La meilleure façon dans ce cas est de prendre du vin foible & sans goût, auquel on communique le degré de force qu’on veut.

Une maladie des vins fort commune, c’est de s’aigrir, mais voici la méthode pour raccommoder les vins aigres.

Prenez une bouteille de vin rouge de Portugal qui commence à s’aigrir : jettez dedans une demi-once ou environ d’esprit-de vin tartarisé ; secouez ensuite la bouteille pour bien mêler l’esprit-de-vin dans la liqueur, après quoi vous la laisserez reposer pendant quelques jours, & vous la trouverez au bout de ce tems évidemment adoucie.

Cette expérience dépend entierement de la connoissance des acides & des alkalis ; les meilleurs vins ont naturellement un peu d’acidité, quand elle prévaut, ils sont piquans, & tendent à devenir dans l’état de vinaigre ; mais en y introduisant avec prudence de bon sel alkali, tel que celui dont on a imbibé l’esprit-de-vin, en le faisant digérer sur du sel de tartre ; suivant la méthode de préparer l’esprit-de-vin tartarisé, il a le pouvoir par lui-même, d’ôter au vin sa trop grande acidité quoique l’esprit-de-vin y contribue aussi, & à d’autres égards, il sert beaucoup à la conservation des vins ; si on faisoit cette opération avec grand soin, les vins qui tournent à l’aigre pourroient se rétablir tout-à-fait, & rester dans cet état pendant quelque tems, de maniere à pouvoir les débiter. On peut se servir de la même méthode pour les liqueurs faites avec le malt lorsqu’elles sont trop âpres, ou qu’elles tournent à l’aigre, & qu’elles sont sur le point de se convertir en vinaigre.

On fait souvent usage d’un expédient de la même nature, à-peu-près pour rétablir les petites bieres qui sont devenues aigres. On y ajoute un peu de chaux, ou de coquille d’huitre mise en poudre, parce que la chaux & les coquilles d’huitres étant des alkalis terreux, ôtent immédiatement la trop grande acidité de la liqueur, & font avec elle une effervescence qui lui donne une force & une vivacité considérable, si on la boit avant que l’effervescence soit totalement finie ; mais pour la faire durer plus long-

tems, il vaut mieux jetter la chaux on les coquilles

d’huitres dans le tonneau où est la liqueur, & la boire d’abord, sans quoi elle se gâteroit infailliblement si on la gardoit long-tems.

Dans les cas où les vins ne se clarifient pas promptement d’eux-mêmes, l’addition d’un peu d’esprit-de-vin tartarisé en accélere l’effet, ou bien on peut faire usage d’un remede généralement bon pour tous les vins qui sont trop foibles & trop aqueux. Pour cet effet, prenez un esprit inflammable pur & sans goût, tiré du sucre ; faites-le digerer sur une dixieme partie de sel de tartre bien par & bien sec pendant trois jours ; après cela, vous décanterez la liqueur, & vous la verserez sur dix fois sa quantité d’un vin assez fort pour fermenter de nouveau : ensuite en versant six ou huit pintes de cette liqueur, elle perfectionnera & clarifiera en peu de tems un muid & demi de vin ordinaire.

Axiomes & conséquences de ce discours. 1°. Il est possible de rapprocher tous les vins & tous les vinaigres à la consistance d’un syrop épais, puisque leur matiere premiere qui n’est que du sucre est sous une forme solide, & qu’on peut les condenser par la gelée à un degré considérable de force & d’épaississement.

2°. On pourroit introduire un nouvel art pour fournir les pays étrangers d’un syrop fort chargé, ou d’un extrait en petit volume pour en faire des vins, des bieres, des vinaigres, & des esprits inflammables dans tous les pays du monde avec un très-grand avantage. Cette observation mérite toute l’attention des colonies qui cultivent le sucre, & celle de leurs souverains.

3°. Tous leurs sucs doux & aigres, tels que ceux des fruits d’été, comme les cerises, les groseilles, &c. consistent en une substance sucrée & tartareuse, ou pour parler en termes plus positifs, en un sucre actuel, & un tartre fluide effectif. Cette observation peut nous servir de regle pour perfectionner ces sucs naturels dans les mauvaises années, & même les imiter par le moyen de l’art, comme aussi de produire des vins, des vinaigres, & des eaux-de-vie sans leurs secours, par-tout où l’on pourra avoir du suc & du tartre.

4°. Il y a une grande affinité entre le sucre & le tartre, puisque non-seulement ils existent ensemble, & sont mêlés intimement dans tous les sucs doux & aigres des végétaux, mais paroissent aussi se convertir très-promptement l’un en l’autre réciproquement ; en effet, les sucs acides & aigres des fruits qui sont encore verds, deviennent sucrés en murissant.

5°. On fait les différentes especes de vins & d’eau-de-vie sans nombre que nous connoissons, en ajoutant simplement quelque plante odorante, ou l’huile essentielle de ces vins au moût, naturel ou artificiel, pendant le tems de la fermentation. Il en est de même, proportion gardée, de la couleur des vins, qu’on peut, avec des matieres colorantes, teindre en bleu, en verd, en jaune, ou en toute autre couleur, s’il est nécessaire, aussi-bien qu’en blanc ou en rouge.

6°. L’agent physique dans la clarification des vins & des autres liqueurs fermentées, est une substance visqueuse qui se saisit des particules grossieres & les fait couler à fond, ou les éleve à la surface du liquide : par ce moyen, elles se séparent, & ne se mêlent point avec le reste de la liqueur. C’est sur ce fondement qu’on pourroit peut-être découvrir quelques méthodes plus parfaites pour clarifier, que celles qui sont connues jusqu’ici.

7°. La méthode de colorer des vins rouges artificiels, peut être perfectionnée, par l’usage prudent d’une teinture de tournesol sans drapeau, ou d’un extrait de laque ordinaire, &c. mais particulierement par une teinture faite avec de la peau de raisin rouge,