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seulement pour remédier à certaines indispositions d’estomac, que l’usage commun des vins ordinaires est quelquefois incapable de corriger.

On compte entre les excellens vins d’Espagne, le vin de Canarie, qui croît aux environs de Palma. Le vin de Malvoisie est fait avec de gros raisins ronds, & se conserve si long-tems, qu’on peut le transporter dans toutes les parties du monde. Le vin de Malaga est beaucoup plus gras que celui de Canarie. Le vin d’Alicante, dans le royaume de Valence, est rouge, épais, agréable au goût, & fortifie l’estomac. Celui auquel on donne communément le nom de tinto, ou de vin couvert, ne differe en rien du précédent.

L’Allemagne n’est pas également fertile en bons vins, il n’y a que la partie méridionale ; & l’on voit même en consultant la carte, que toutes les régions situées à plus de 51 degrés d’élévation du pole, sont stériles en bons vins, parce que dans les pays voisins du septentrion, l’air est moins subtil, la terre moins remplie de soufre, & le soleil trop foible.

Entre les vins d’Allemagne, ceux du Rhin & de la Moselle tiennent le premier rang. Ils renferment un soufre très-fin, & un acide très-délié, beaucoup d’esprit éthéré, une suffisante quantité de phlegme, & très-peu de terre : ce qui les rend sains & diurétiques.

On dira peut être qu’ils contiennent beaucoup d’acide tartareux, comme on le reconnoit par la distillation, & que par conséquent ils doivent être ennemis des nerfs ; mais il faut remarquer que l’acide du vin du Rhin n’est point un acide grossier, un acide fixe & corrosif, mais un acide de toute une autre nature par le mélange d’un soufre subtil qui le corrige ; car il n’y a rien qui adoucisse & qui modifie plus les acides que le soufre. D’ailleurs, s’il y a de l’acide dans le vin du Rhin, cet acide même en fait le mérite ; car il sert à en briser les soufres, qui sans cela se porteroient avec trop de violence dans le sang, & pourroient troubler les fonctions. Les vins de Hongrie contiennent au lieu d’acide tartareux, des parties extrèmement subtiles & spiritueuses, qui sont propres à rétablir les forces, & à détruire les humeurs crues du corps : ce sont des vins singulierement estimés.

Les principaux vins de France sont ceux d’Orléans, de Bourgogne, de Gascogne, de Languedoc, de Provence, d’Anjou, de Poitou, de Champagne, &c.

Les vins d’Orléans sont vineux & agréables ; ils n’ont ni trop ni trop peu de corps ; ils fortifient l’estomac ; mais ils portent à la tête, & ils enivrent aisément. Pour les boire bons, il faut qu’ils soient dans leur seconde année.

Les vins de Bourgogne sont la plûpart un peu gros, mais excellens. Ils ont pendant les premiers mois quelque chose de rude, que le tems corrige bientôt. Ils sont nourrissans ; ils fortifient l’estomac, & portent peu à la tête.

Les vins de Gascogne sont gros & couverts, peu astringens néanmoins. Ils ont du feu sans porter à la tête, comme les vins d’Orléans. Ceux de Grave qui croissent auprès de Bordeaux, & qu’on nomme ainsi à cause du gravier de leur terroir, sont fort estimés, quoiqu’ils aient un goût un peu dur. Le vin rouge de Bordeaux est austere ; il fortifie le ton de l’estomac ; il ne trouble ni la tête ni les opérations de l’esprit ; il soufre les trajets de mer, & se bonifie par le transport ; c’est peut-être le vin de l’Europe le plus salutaire.

Les vins d’Anjou sont blancs, doux & fort vineux. Ils se gardent assez long-tems, & sont meilleurs un peu vieux.

Les vins de Champagne sont très-délicats : ce qui est cause qu’ils ne portent presque point d’eau, &

nourrissent peu. Ils exhalent une odeur subtile qui réjouit le cerveau. Leur goût tient le milieu entre le doux & l’austere. Ils montent aisément à la tête, & passent facilement par les urines. Ceux de la côte d’Aï sont les plus excellens.

Les vins de Poitou ont de la réputation par le rapport qu’ils ont avec les vins du Rhin ; mais ils sont plus cruds.

Les vins de Paris sont blancs, rouges, gris, paillets, foibles & portant peu l’eau.

Les vins de Roanne flattent le goût ; ils croissent sur des côteaux, dont la plûpart regardent ou l’orient ou le midi : ce qui ne peut que les rendre excellens.

Les vins de Lyon qui croissent le long du Rhône, connus sous le nom de vins de rivage, sont vigoureux & exquis. Ceux de Condrieux sur-tout sont loués pour leur bonté.

Les vins de Frontignan, de la Cioutat, de Canteperdrix, de Rivesalte, sont comparables aux vins de Saint-Laurent & de Canarie. Ils ne conviennent point pour l’usage ordinaire, & ils ne sont bons que lorsqu’il s’agit de fortifier un estomac trop froid, ou de dissiper quelque colique causée par des matieres crues & indigestes. On en use aussi par régal, comme on use des vins d’Espagne.

Ces vins contiennent une grande quantité de sels, beaucoup de soufre & peu de phlegme : ce qui vient de la façon qu’on donne au raisin dont on les fait. On en tord la grappe avant de la cueillir, & on la laisse ainsi quelque tems se cuire à l’ardeur du soleil, qui enleve une bonne partie de l’humidité ; ensorte que leur suc trop dépouillé de son phlegme ne peut ensuite fermenter entierement ; d’où il arrive qu’il retient une douceur & une épaisseur à-peu-près semblable à celle des vins d’Espagne.

Pour ce qui est de l’année, il faut y avoir beaucoup d’égard, si l’on veut juger sainement de la qualité d’un vin. Celui de Beaune, par exemple, demande une saison tempérée, & celui de Champagne veut une saison bien chaude. Le premier est sujet à s’engraisser quand les chaleurs ont été grandes, & le second demeure verd après un été médiocre ; il en est de même des autres vins ; mais le détail en seroit inutile.

Des principes des vins. Les vins different les uns des autres par rapport au goût, à l’odeur & aux autres vertus, selon la proportion & le mélange des élemens qui les constituent. Ceux qui contiennent une grande quantité d’esprit inflammable, enivrent & échauffent ; mais ceux en qui les parties phlegmatiques ou tartareuses aigrelettes dominent, sont laxatifs & diurétiques, & n’affectent pas aisément la tête. Les vins qui contiennent une grande quantité de substance oléagineuse & sulphureuse, comme sont tous les vins vieux, sont d’un jaune extrèmement foncé, d’un goût & d’une odeur forte ; & comme ils ne transpirent pas aisément, ils restent long-tems dans le corps, & le dessechent.

On trouve encore dans les vins qui n’ont pas suffisamment fermenté ; sur-tout dans ceux de Frontignan, de Canaries & de Hongrie, un autre élement ou principe essentiel, savoir une substance douce, oléagineuse, tempérée & visqueuse, qui les rend non seulement agréables au goût, mais encore nutritifs & adoucissans.

Il y a des vins qui contiennent un soufre doux & subtil, au lieu que les autres n’ont qu’un soufre grossier moins agréable au goût. Les vins de Hongrie, par exemple, & du Rhin contiennent un esprit beaucoup plus agréable, & un soufre plus doux & plus subtil que ceux de France ; de-là vient que l’odeur seule du vin du Rhin, lorsqu’il est vieux & de bonne qualité, ranime les esprits.

Le principe tartareux varie aussi, selon les vins,