Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cement à la digestion : aussi conviennent-ils mieux aux vieillards. Il y a des vins qui ont une odeur de fut ; d’autres qui sentent le poussé ; d’autres le bas, tous vins mal-faisans.

4°. Pour ce qui est de la saveur, les uns sont doux, les autres austeres ; les autres participent de l’un & de l’autre : il y en a enfin qui sont acides ; d’autres qui sont âcres.

Les vins doux sont tels, parce que dans le tems qu’ils ont fermenté, leurs parties sulphureuses ont été moins subtilisées par l’action des sels ; en sorte que ces soufres grossiers embarrassant les pointes de ces mêmes sels, les empêchent de piquer fortement la langue ; c’est pourquoi les vins doux causent moins d’irritation, & conviennent par conséquent à ceux qui sont sujets à tousser, ou qui ont des chaleurs de reins. Ils nourrissent beaucoup ; ils humectent, & ils lâchent ; mais il en faut boire peu ; sans quoi ils font des obstructions par leurs parties grossieres ; le vin bouru sur-tout, est de cette nature. Ces sortes de vins au reste n’enivrent guere ; ce qui vient de ce que les esprits en sont trop concentrés ; mais il y en a qui avec cette douceur, autrement appellée liqueur du vin, ont beaucoup de piquant ; & ceux-là sont plus apéritifs, parce que leurs soufres ont été plus coupés, & plus divisés par les pointes des sels.

Les vins rudes & austeres ont des sels grossiers, plus capables d’embarrasser les parties où ils sont portés, que de les pénétrer ; ce qui est cause qu’ils sont fort astringens, & qu’ils resserrent l’estomac & les intestins. Ces vins nourrissent peu, & n’attaquent guere la tête ; mais comme ils sont extrèmement stiptiques, il y a peu de constitutions auxquelles ils conviennent.

Les vins qui tiennent le milieu entre le doux & l’austere, sont les plus agréables, & en même tems les plus sains ; ils fortifient l’estomac & se distribuent aisément.

Il y a des vins qui n’ont que du piquant, & dont ce piquant tire sur l’amertume ; ceux-là sont à craindre aux bilieux, & à tous les tempéramens secs.

5°. Par rapport à l’âge, le vin est vieux ou nouveau, ou de moyen âge. Le nouveau parmi nous, est celui qui n’a pas encore passé deux ou trois mois ; le vieux, celui qui a passé un an ; & le vin de moyen âge, celui qui ayant passé le quatrieme mois, n’a pas encore atteint la fin de l’année.

Le vin nouveau est de deux sortes, ou tout nouvellement fait, ou fait depuis un mois ou deux. Le premier étant encore verd, & se digérant à peine, produit des diarrhées & quelquefois des vomissemens, & peut donner lieu à la génération de la pierre ; le second a les qualités du premier dans un moindre degré.

Les vins de moyen âge, c’est-à-dire, qui ayant plus de quatre mois, n’ont pas encore un an, sont bons, parce que leurs principes ont eu assez de tems pour se mêler intimement les uns avec les autres, & n’en ont pas eu assez pour se désunir ; c’est en cela que consiste leur point de maturité.

Le vin vieux qui avance dans la deuxieme année, commence à dégénérer : plus il vieillit alors, & plus généralement il perd de sa bonté. Celui d’un an, autrement dit d’une feuille, est encore dans sa vigueur, mais les vins de quatre & cinq feuilles, que quelques personnes vantent tant, sont des vins usés, dont les uns sont insipides, les autres amers, ou aigres ; ce qui dépend de la qualité qu’ils avoient auparavant : car les vins forts deviennent amers en vieillissant, & les foibles s’aigrissent.

Chez les anciens, un vin passoit pour nouveau les cinq premieres années ; il étoit de moyen âge les cinq autres, & on ne le regardoit comme vieux que

lorsqu’il avoit dix ans ; encore s’en buvoit-il qui ne commençoit à être de moyen âge qu’à quinze ans. Quelques auteurs font même mention de vins qui avoient cent & deux cens feuilles. Mais il faut remarquer que les anciens pour conserver leurs vins si long-tems, les faisoient épaissir jusqu’à consistance de miel, quelquefois même jusqu’à leur laisser prendre une telle dureté, en les exposant à la fumée dans des outres ou peaux de boucs, qu’on étoit obligé pour se servir de ces vins, de les raper avec un couteau. Souvent aussi par une certaine façon qu’on leur donnoit pour les empêcher de se gâter, quand ils étoient encore assez clairs, on les laissoit s’épaissir d’eux-mêmes avec le tems. Tous ces vins épais contractoient dans la suite une amertume insupportable ; mais comme en s’épaississant ils se réduisoient à une fort petite quantité, & qu’en même tems ils étoient si forts, qu’on s’en servoit pour donner goût aux autres ; ils se vendoient extremement cher. Leur amertume & leur épaisseur étoient cause qu’il falloit employer beaucoup d’eau, tant pour les délayer que pour rendre leur goût supportable.

Il est facile de juger qu’une once de ces vins délayée dans une pinte d’eau y conservoit encore de sa vertu ; aussi y en avoit-il dans lesquels il falloit mettre vingt parties d’eau sur une de vin.

6°. Quant à la seve qui est ce qui fait la force du vin, on distingue le vin en vineux & en aqueux. Le premier est celui qui porte bien de l’eau, & le second celui qu’un peu d’eau affoiblit. Le vin vineux nourrit davantage ; l’aqueux nourrit moins. Le premier est sujet à troubler la tête ; le second est plus ami du cerveau, & convient mieux aux gens de lettres.

A l’égard du pays, nous avons les vins de Grece, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne & de France.

Des vins de Grece, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne & de France. Les vins de Crete & de Chypre sont les deux vins de Grece le plus généralement estimés.

Le meilleur vin d’Italie est celui qui croît au pié du mont Vésuve, & qui est vulgairement appellé lacrima Christi. Il est d’un rouge vif, d’une odeur agréable, d’une saveur un peu douce, & il passe aisément par les urines.

Un des plus renommés après celui-là, est le vin d’Albano : il y en a de rouge & de blanc. Ils conviennent l’un & l’autre aux sains & aux infirmes ; ils facilitent la respiration, & excitent les urines.

Le vin de Monte-Fiascone ne cede point à celui d’Albano pour l’excellence du goût.

Le vin de Vicence, capitale d’un petit pays appellé le Vicentin dans l’état de Venise, est un vin innocent dont les goutteux boivent sans en ressentir aucune incommodité.

Les vins de Rhétie, qui croissent dans la vallée Télivienne, sont riches & délicieux, ils sont rouges comme du sang, doux, & laissent un goût quelque peu austere sur la langue.

Les vins qu’on nous envoie d’Espagne, sont non seulement différens des autres par la qualité qu’ils tiennent du climat, mais encore par la maniere dont on les fait ; car on met bouillir sur un peu de feu le suc des raisins dès qu’il a été tiré, puis on le verse dans des tonneaux, où on le laisse fermenter ; mais comme il a été dépouillé par le feu d’une partie considérable de son phlegme, ce qui a empeché les sels de se développer assez par la fermentation pour pouvoir diviser exactement les parties sulphureuses, il arrive que les soufres n’en sont qu’à demi raréfiés, & qu’embarrassant les pointes des sels, ils ne leur laissent que la liberté de chatouiller doucement la langue : ce qui est cause que ces sortes de vins ont une consistance de sirop & un goût fort doux ; mais l’usage fréquent en est dangereux. Ces vins ne se doivent boire qu’en passant & en fort petite quantité,