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monie, à dessein de s’établir dans la nouvelle ville, & on mêloit le tout ensemble.

La fosse qui se faisoit du côté de la campagne à l’endroit même où l’on commençoit à tracer l’enceinte, s’appelloit chez les Grecs ὄλυμπος, à cause de sa figure ronde, & chez les Latins mundus, pour la même raison. Les prémices & les différentes especes de terre que l’on jettoit dans cette fosse, apprenoient quel étoit le devoir de ceux qui devoient avoir le commandement dans la ville. Ils étoient engagés à donner toute leur attention à procurer aux citoyens les secours de la vie, à les maintenir en paix avec toutes les nations dont on avoit rassemblé la terre dans cette fosse, ou à n’en faire qu’un seul peuple.

On consultoit en même tems les dieux pour savoir si l’entreprise leur seroit agréable, & s’ils approuveroient le jour que l’on choisissoit pour la mettre à exécution. Après toutes ces précautions, on traçoit l’enceinte de la nouvelle ville par une traînée de terre blanche qu’ils honoroient du nom de terre pure. Nous lisons dans Strabon, qu’au défaut de cette espece de terre, Alexandre le grand traça avec de la farine, l’enceinte de la ville de son nom qu’il fit bâtir en Egypte. Cette premiere opération achevée, les Etruriens faisoient ouvrir un sillon aussi profond qu’il étoit possible avec une charrue dont le soc étoit d’airain. On atteloit à cette charrue un taureau blanc & une génisse de même poil. La génisse étoit sous la main du laboureur qui étoit lui-même à côté de la ville, afin de renverser de ce même côté les mottes de terre que le soc de la charrue tourneroit du côté de la campagne. Tout l’espace que la charrue avoit ouvert étoit inviolable, sanctum. On élevoit de terre la charrue aux endroits qui étoient destinés à mettre les portes de la ville, pour n’en point ouvrir le terrein.

Voici ce que ces cérémonies avoient de mystérieux. La profondeur du sillon marquoit avec quelle solidité on devoit travailler à la fondation des murs pour en assurer la stabilité & la durée. Le soc de la charrue étoit d’airain, pour indiquer l’abondance & la fertilité que l’on desiroit procurer à la nouvelle habitation. Ceux qui sont initiés aux mysteres de la cabale, savent à quel titre les descendans des freres de la Rose-Croix ont consacré l’airain à la déesse Vénus. On atteloit à la charrue une génisse & un taureau : la génisse étoit du côté de la ville, pour signifier que les soins du ménage étoient sur le compte des femmes, dont la fécondité contribue à l’agrandissement de la république ; & le taureau, symbole du travail & de l’abondance, qui étoit tourné du côté de la campagne, apprenoit aux hommes que c’étoit à eux de cultiver les terres, & de procurer la sureté publique par leur application à ce qui se pouvoit passer au-dehors. L’un & l’autre de ces animaux devoit être blanc, pour engager les citoyens à vivre dans l’innocence & dans la simplicité des mœurs, dont cette couleur a toujours été le symbole. Tout le terrein où le sillon étoit creusé passoit pour être inviolable, & les citoyens étoient dans l’obligation de combattre jusqu’à la mort pour défendre ce que nous appellons ses murailles ; & il n’étoit permis à personne de se faire un passage par cet endroit-là. Le prétendre, c’étoit un acte d’hostilité ; & ce fut peut-être sous le spécieux prétexte de cette profanation, que Romulus se défit de son frere, qu’il ne croyoit pas homme à lui passer la ruse dont il s’étoit servi, lorsqu’ils consulterent les dieux l’un & l’autre, pour savoir sous les auspices duquel des deux la ville seroit fondée.

Les sacrifices se renouvelloient encore en différens endroits, & l’on marquoit les lieux où ils s’étoient faits, par des pierres que l’on y élevoit, cippi ;

il y a apparence que c’étoit à ces endroits-là même que l’on bâtissoit ensuite les tours. On y invoquoit les dieux sous la protection desquels on mettoit la nouvelle ville, & les dieux du pays, patrii indigetes, connus chez les Grecs sous le nom de χθόνιοι, ἐπίγειοι, ἐπιχώριοι, πάφωοι, &c. Le nom particulier de ces dieux tutélaires devoit être inconnu au vulgaire.

Ovide nous a conservé en termes magnifiques la formule de la priere que Romulus adressa aux dieux qu’il vouloit intéresser dans son entreprise :

Vox fuit hæc regis : condenti, Jupiter, urbem,
Et genitor Mavors, Vestaque mater ades.
Quosque pium est adhibere deos, advertite cuncti.
Auspicibus vobis hoc mihi surgat opus.
Longa sit huic ætas, dominæque potentia terræ :
Sitque sub hác oriens occiduusque dies.

Lorsque la charrue étoit arrivée au terrein qui étoit marqué pour les portes, on élevoit le soc, comme s’il y eût eu quelque chose de mystérieux & de sacré dans l’ouverture du sillon qui eût pu être profané. Ainsi les portes n’étoient point regardées comme saintes, parce qu’elles étoient destinées au passage des choses nécessaires à la vie, & au transport même de ce qui ne devoit pas rester dans la ville.

Les lois ne permettoient pas que les morts fussent enterrés dans l’enceinte des villes. Sulpicius écrit à Cicéron qu’il n’a pu obtenir des Athéniens que Marcellus fût inhumé dans leur ville ; & cette seule considération suffisoit alors pour faire regarder les portes comme funestes. Cet usage ayant changé, les portes de ville dans la suite furent regardées comme saintes, même dans le tems que l’on enterroit encore les morts hors des villes.

On a déja observé que l’on avoit soin de renverser du côté de la ville, les mottes que le soc de la charrue pouvoit avoir tournées du côté de la campagne : ce qui se pratiquoit pour apprendre aux nouveaux citoyens qu’ils devoient s’appliquer à faire entrer dans leur ville tout ce qu’ils trouveroient au-dehors qui pourroit contribuer à les rendre heureux, & à les faire respecter des peuples voisins, sans rien communiquer aux étrangers de ces choses, dont la privation pourroit apporter quelque dommage à leur patrie. Voyez Pomærum.

Après les cérémonies pratiquées à la fondation des murailles des villes, on tiroit dans leur enceinte toutes les rues au cordeau : ce que les Latins appelloient degrumare vias. Le milieu du terrein renfermé dans l’enceinte de la ville étoit destiné pour la place publique, & toutes les rues y aboutissoient. On marquoit les emplacemens pour les édifices publics, comme les temples, les portiques, les palais, &c.

Il faut observer encore que les Romains célébroient tous les ans la fête de la fondation de leur ville le 11 des calendes de Mai, qui est le tems auquel on célébroit la fête de Palès. C’est sous l’empereur Hadrien que nous trouvons la premiere médaille précieuse qui en fut frappée, comme la légende le prouve l’an 874 de la fondation de Rome, c’est-à-dire la 121° année de l’ere chrétienne, & qui sert d’époque aux jeux plébéiens du cirque institués en cette même année là par ce prince. On ne peut mieux orner cet article que par les vers d’Ovide, qui décrivent toute la cérémonie dont on vient de parler en prose.

Opta dies legitur, quâ mænia signet aratro.
Sacra Palis suberant : inde movetur opus.
Fossa fit ad solidum, friges jaciuntur in ima
Et de vicino terra petita solo.
Fossa repletur humo, plenæque imponitur aræ.
Et novus accenso finditur igne focus.
Indè premens stivam designat mænia sulco :
Alba jugum niveo cum bove vacca tulit.