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rent chargés de tout ce qu’il y avoit de pénible au-dedans & au-dehors. On distingua les esclaves de ville des esclaves de la campagne : ceux-ci étoient pour la nécessité, ceux-là pour le luxe ; & on eut recours à des concussions pour fournir à des profusions immenses.

Les Romains ont été 450 ans sans connoître dans la journée d’autre distinction que le matin, le midi & le soir. Ils se conformerent dans la suite aux cadrans introduits par Papirius Cursor & par Martius Philippus, pour la distinction des heures, que Scipion Nasica marqua le premier par l’écoulement de l’eau. Ils avoient communément des esclaves, dont l’unique emploi étoit d’observer les heures. Il y en avoit douze au jour, tantôt plus longues, tantôt plus courtes, selon la diversité des saisons. Les six premieres étoient depuis le lever du soleil jusqu’à midi : les six dernieres depuis midi jusqu’à la nuit.

La premiere heure étoit consacrée aux devoirs de la religion.

Les temples étoient ouverts à tout le monde, & souvent même avant le jour pour les plus matineux, qui y trouvoient des flambeaux allumés. Ceux qui ne pouvoient pas aller au temple, suppléoient à ce devoir dans leur oratoire domestique, où les riches faisoient des offrandes, pendant que les pauvres s’acquittoient par de simples salutations.

Au surplus, on ne doit point s’étonner de ce que leurs prieres étant si courtes, il leur falloit cependant pour cela une heure, & quelquefois plus. Le grand nombre de besoins réels ou imaginaires, la multiplicité des dieux auxquels il falloit s’adresser séparément pour chaque besoin, les obligeoit à bien des pélérinages, dont ceux qui savoient adorer en esprit & on vérité, étoient affranchis.

Mais cette premiere heure n’étoit pas toujours pour les dieux seuls. Souvent la cupidité & l’ambition y avoient meilleure part que la piété. Elle étoit employée, ainsi que la seconde heure, à faire des visites aux gens de qui on espéroit des graces ou des bienfaits.

Pour la troisieme heure, qui répondoit à nos neuf heures du matin, elle étoit toujours employée aux affaires du barreau, excepté dans les jours que la religion avoit consacrés, ou qui étoient destinés à des choses plus importantes que les jugemens, telles que les comices. Cette occupation remplissoit les heures suivantes jusqu’à midi ou la sixieme heure, suivant leur maniere de compter.

Ceux qui ne se trouvoient point aux plaidoyeries comme juges, comme parties, comme avocats ou comme solliciteurs, y assistoient comme spectateurs & auditeurs, & pendant la république, comme juge des juges mêmes. En effet, dans les procès particuliers, comme ils se plaidoient dans les temples, il n’y avoit guere que les amis de ces particuliers qui s’y trouvassent ; mais quand c’étoit une affaire où le public étoit intéressé, par exemple, quand un homme au sortir de sa magistrature, étoit accusé d’avoir mal gouverné sa province, ou mal administré les deniers publics, d’avoir pillé les alliés, ou donné quelque atteinte à la liberté de ses concitoyens, alors la grande place où les causes se plaidoient, étoit trop petite pour contenir tous ceux que la curiosité ou l’esprit de patriotisme y attiroit.

Si ces grandes causes manquoient (ce qui arrivoit rarement depuis que les Romains furent en possession de la Sicile, de la Sardaigne, de la Grece, de la Macédoine, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Espagne & de la Gaule), on n’en passoit pas moins la troisieme, la quatrieme & la cinquieme heure du jour dans les places, & malheur alors aux magistrats dont la conduite n’étoit pas irréprochable ; la recherche les épargnoit d’autant moins, qu’il n’y avoit aucune loi qui les en mît à couvert.

Quand les nouvelles de la ville étoient épuisées, on passoit à celles des provinces, autre genre de curiosité qui n’étoit pas indifférente, puisque les Romains regardoient les provinces du même œil qu’un fils de famille regarde les terres de son pere ; & d’ailleurs elles étoient la demeure fixe d’une infinité de chevaliers romains qui y faisoient un commerce aussi avantageux au public, que lucratif pour eux particuliers.

Quoique tous les citoyens, généralement parlant, donnassent ces trois heures à la place & à ce qui se passoit, il y en avoit cependant de bien plus assidus que les autres. Horace les appelle forenses, Plaute & Priscien subbasilicani, & M. Cœlius ecrivant à Cicéron, subrostrani ou subrostrarii. Les autres moins oisifs s’occupoient suivant leur condition, leur dignité & leurs desseins. Les chevaliers faisoient la banque, tenoient registres des traités & des contrats. Les prétendans aux charges & aux honneurs mendioient les suffrages. Ceux qui avoient avec eux quelque liaison de sang, d’amitié, de patrie ou de tribu, les sénateurs mêmes de la plus hauté considération, par affection ou par complaisance pour ces candidats, les accompagnoient dans les rues, dans les places, dans les temples, & les recommandoient à tous ceux qu’ils rencontroient ; comme c’étoit une politesse chez les Romains d’appeller les gens par leur nom & par leur surnom, & qu’il étoit impossible qu’un candidat se fût mis tant de différens noms dans la tête, ils avoient a leur gauche des nomenclateurs qui leur suggéroient tous les noms des passans.

Si dans ce tems-là quelque magistrat de distinction revenoit de la province, on sortoit en foule de la ville pour aller au-devant de lui, & on l’accompagnoit jusque dans sa maison, dont on avoit pris soin d’orner les avenues de verdure & de festons. De même, si un ami partoit pour un pays étranger, on l’escortoit le plus loin qu’on pouvoit, on le mettoit dans son chemin, & l’on faisoit en sa présence des prieres & des vœux pour le succès de son voyage & pour son heureux retour.

Tout ce qu’on vient de dire, s’observoit aussi bien pendant la république que sous les Césars. Mais dans ces derniers tems il s’introduisit chez les grands seigneurs une espece de manie dont on n’avoit point encore vu d’exemple. On ne se croyoit point assez magnifique, si l’on ne se donnoit en spectacle dans tous les quartiers de la ville avec un nombreux cortege de litieres précédées & suivies d’esclaves lestement vêtus. Cette vanité coutoit cher ; & Juvenal qui en a fait une si belle description, assure qu’il y avoit des gens de qualité & des magistrats que l’avarice engageoit à grossir la troupe de ces indignes courtisans.

Enfin venoit la sixieme heure du jour, c’est-à-dire midi ; à cette heure chacun songeoit à se retirer chez soi, dinoit légérement, & faisoit la méridienne.

Le personnage que les Romains jouoient après diner, étoit aussi naturel que celui qu’ils jouoient le matin, étoit composé. C’étoit chez eux une coutume presque générale de ne rien prendre sur l’après-midi pour les affaires, comme de ne rien donner de la matinée aux plaisirs. La paume ou le ballon, la danse, la promenade à pié ou en char remplissoient leur après-midi. Ils avoient des promenoirs particuliers & de publics, dans lesquels les uns passoient quelques heures en des conversations graves ou agréables, tandis que les autres s’y donnoient en spectacle au peuple avec de nombreux corteges, & que les jeunes gens s’exerçoient dans le champ de Mars à tout ce qui pouvoit les rendre plus propres au métier de la guerre.

Vers les trois heures après-midi, chacun se rendoit en diligence aux bains publics ou particuliers.