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Tandem virgineam fastidit Vesta senectam.

On s’attacha à chercher aux vestales des dédommagemens de leur continence ; on leur abandonna une infinité d’honneurs, de graces & de plaisirs, dans le dessein d’adoucir leur état & d’illustrer leur profession ; on se reposa pour leur chasteté sur la crainte des châtimens, qui quelqu’effrayans qu’ils soient, ne sont pas toujours le plus sûr remede contre l’emportement des passions. Elles vivoient dans le luxe & dans la mollesse ; elles se trouvoient aux spectacles dans les théatres & dans le cirque ; les hommes avoient la liberté d’entrer le jour chez elles, & les femmes à toute heure ; elles alloient souvent manger dans leur famille. Une vestale fut violée, en rentrant le soir dans sa maison, par de jeunes libertins qui ignoroient, ou prétendirent ignorer qui elle étoit. De-là vint la coutume de faire marcher devant elles un licteur avec des faisceaux pour les distinguer par cette dignité, & pouvoir prévenir de semblables désordres.

Sous prétexte de travailler à la réconciliation des familles, elles entroient sans distinction dans toutes les affaires ; c’étoit la plus sûre & la derniere ressource des malheureux. Toute l’autorité de Narcisse ne put écarter la vestale Vibidia, ni l’empêcher d’obtenir de Claude que sa femme fût ouïe dans ses défenses ; ni les débauches de l’impératrice, ni son mariage avec Silius, du vivant même de César, n’empêcherent point la vestale de prendre fait & cause pour elle ; en un mot, une prêtresse de Vesta ne craignit point de parler pour Messaline.

Leur habillement n’avoit rien de triste, ni qui pût voiler leurs attraits, tel au moins que nous le voyons sur quelques médailles. Elles portoient une coëffe ou espece de turban, qui ne descendoit pas plus bas que l’oreille, & qui leur découvroit le visage ; elles y attachoient des rubans que quelques-unes nouoient par-dessous la gorge ; leurs cheveux que l’on coupoit d’abord, & que l’on consacroit aux dieux, se laisserent croître dans la suite, & reçurent toutes les façons & tous les ornemens que purent inventer l’art & l’envie de plaire.

Elles avoient sur leur habit un rochet de toile fine & d’une extrème blancheur, & par-dessus une mante de pourpre ample & longue, qui ne portant ordinairement que sur une épaule, leur laissoit un bras libre retroussé fort haut.

Elles avoient quelques ornemens particuliers les jours de fête & de sacrifices, qui pouvoient donner à leur habit plus de dignité, sans lui ôter son agrément. Il ne manquoit pas de vestales qui n’étoient occupées que de leur parure, & qui se piquoient de goût, de propreté & de magnificence. Minutia donna lieu à d’étranges soupçons par ses airs, & par ses ajustemens profanes. On reprochoit à d’autres l’enjouement & l’indiscrétion des discours. Quelques-unes s’oublioient jusqu’à composer des vers tendres & passionnés.

Sans toutes ces vanités & ces dissipations, il étoit difficile que des filles à qui l’espérance de se marier n’étoit pas interdite, & que les lois favorisoient en tant de manieres, qui malgré les engagemens de leur état recueilloient quelquefois toute la fortune de leur maison, prissent le goût de la retraite, qui seul étoit capable de les maintenir dans le genre de vie qu’elles avoient embrassé sans le connoître. Tout cela cependant n’empêchoit pas que leurs fautes ne tirassent à d’extrêmes conséquences.

La négligence du feu sacré devenoit un présage funeste pour les affaires de l’empire ; d’éclatans & de malheureux événemens que la fortune avoit placés à-peu-près dans le tems que le feu s’étoit éteint, établirent sur cela une superstition qui surprit les plus sages. Dans ces cas, elles étoient exposées à l’espece de châtiment dont parle Tite-Live, cæsa flagro est vestalis, par les mains mêmes du souverain pontife.

On les conduisoit donc pour les punir dans un lieu secret où elles se dépouilloient nues. Les pontifes à la vérité prenoient toutes les précautions pour les soustraire dans cet état à tous autres regards qu’aux leurs.

Après la punition de la vestale, on songeoit à rallumer le feu ; mais il n’étoit pas permis de se servir pour cela d’un feu matériel, comme si ce feu nouveau ne pouvoit être qu’un présent du ciel : du-moins, selon Plutarque, n’étoit-il permis de le tirer que des rayons mêmes du soleil à l’aide d’un vase d’airain, au centre duquel les rayons venant à se réunir, subtilisoient si fort l’air qu’ils l’enflammoient, & que par le moyen de la réverbération, la matiere seche & aride dont on se servoit, s’allumoit aussi-tôt.

Le soin principal des vestales étoit de garder le feu jour & nuit ; d’où il paroît que toutes les heures étoient distribuées, & que les vestales se relevoient les unes après les autres. Chez les Grecs le feu sacré se conservoit dans des lampes où on ne mettoit de l’huile qu’une fois l’an ; mais les vestales se servoient de foyers & de rechaux ou vases de terre, qui étoient placés sur l’autel de Vesta.

Outre la garde du feu sacré, les vestales étoient obligées à quelques prieres ; & à quelques sacrifices particuliers, même pendant la nuit. Elles étoient chargées des vœux de tout l’empire, & leurs prieres étoient la ressource publique.

Elles avoient leurs jours solemnels. Le jour de la fète de Vesta, le temple étoit ouvert extraordinairement, & on pouvoit pénétrer jusqu’au lieu même où reposoient les choses sacrées, que les vestales n’exposoient qu’après les avoir voilées, c’est-à-dire, ces gages ou symboles de la durée & de la félicité de l’empire romain, sur lesquels les auteurs se sont expliqués si diversement. Quelques-uns veulent que ce soit l’image des grands dieux. D’autres croyent que ce pouvoit être Castor & Pollux, & d’autres Apollon & Neptune. Pline parle d’un dieu particulierement révéré des vestales, qui étoit le gardien des enfans & des généraux d’armées. Plusieurs, selon Plutarque, affectant de paroître plus instruits des choses de la religion que le commun du peuple, estimoient que les vestales conservoient dans l’intérieur du temple, deux petits tonneaux, dont l’un étoit vuide & ouvert, l’autre fermé & plein, & qu’il n’y avoit qu’elles seules à qui il étoit permis de les voir : ce qui a quelque rapport avec ceux dont parle Homere, qui étoient à l’entrée du palais de Jupiter, dont l’un étoit plein de maux, & l’autre de biens. Disons mieux que tout cela, c’étoit le palladium même que les vestales avoient sous leur garde.

Il suffisoit pour être reçue vestale, que d’un côté ni d’un autre, on ne fût point sorti de condition servile, ou de parens qui eussent fait une profession basse. Mais quoique la loi se fût relâchée jusque-là, il y a toujours lieu de penser que le pontife avoit plus en vue les filles d’une certaine naissance, comme sujets plus susceptibles de tous les honneurs attachés à un ordre qui étoit, pour ainsi dire, à la tête de la religion. Une fille patricienne qui joignoit à son caractere de vestale la considération de sa famille, devenoit plus propre pour une société de filles, chargées non-seulement des sacrifices de Vesta, mais qui jouoient le plus grand rôle dans les affaires de l’état.

Elles jouissoient de la plus haute considération. Auguste lui-même jura que si quelqu’une de ses nieces étoit d’un âge convenable, il la présenteroit volontiers pour être reçue vestale. Il faut regarder comme un effet de l’estime des Romains pour la condition de vestale, l’ordonnance dont nous parle Capito Atéius, qui en excluoit toute autre qu’une romaine.

Dès que le choix de la vestale étoit fait, qu’elle avoit mis le pié dans le parvis du temple, & étoit livrée aux pontifes, elle entroit dès-lors dans tous