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VESTALE, s. f. (Hist. rom.) vestalis ; perpetuos servans ignes, & canæ colens penetralia vestæ ; fille vierge romaine, qui chez les Romains, étoit consacrée toute jeune au service de Vesta, & à l’entretien perpétuel du feu de son temple.

Celui de tous les législateurs qui donna le plus d’éclat à la religion dont il jetta les fondemens, & qui jugea que le sacerdoce étoit inséparable de la royauté, fut Numa Pompilius. Il tint d’une main ferme le sceptre & l’encensoir, porta l’un dans le palais des rois, & posa l’autre dans le temple des dieux. Mais entre ses établissemens religieux, le plus digne de nos regards, est sans doute celui de l’ordre des vestales. Il m’est aisé d’en tracer l’histoire, au-moins d’après l’abbé Nadal, & de contenter sur ce sujet la curiosité d’un grand nombre de lecteurs.

L’ordre des vestales venoit originairement d’Albe, & n’étoit point étranger au fondateur de Rome. Amulius après avoir dépouillé son frere Numitor de ses états, crut à la maniere des tyrans, que pour jouir en liberté de son usurpation, il n’avoit pas d’autre parti à prendre que de sacrifier toute sa race. Il commença par Egeste, le fils de ce malheureux roi, qu’il fit assassiner dans une partie de chasse, où il pensa qu’il lui seroit facile de couvrir son crime. Il se contenta cependant de mettre Rhéa Silvia, ou Ilie, sa niece, au nombre des vestales, ce qu’il entreprit de faire d’autant plus volontiers, que non-seulement il ôtoit à cette princesse, les moyens de contracter aucune alliance dont il pût craindre les suites, mais que d’ailleurs sur le pié que l’ordre des vestales se trouvoit à Albe, c’étoit placer d’une maniere convenable une princesse même de son sang.

Cette distinction que l’ordre des vestales avoit eu dans son origine, le rendit encore plus vénérable aux Romains, dont les yeux se portoient avec un respect tout particulier sur l’établissement d’un culte, qui avoit long-tems subsisté chez leurs voisins avec une grande dignité.

Il ne faut donc pas envisager l’ordre des vestales romaines, comme un établissement ordinaire qui n’a eu que de ces foibles commencemens, que la piété hazarde quelquefois, & qui ne doivent leur succès qu’aux caprices des hommes, & aux progrès de la religion. Il ne se montra à Rome qu’avec un appareil auguste. Numa Pompilius, s’il en faut croire quelques auteurs, recueillit & logea les vestales dans son palais. Quoi qu’il en soit, il dota cet ordre des deniers publics, & le rendit extrèmement respectable au peuple, par les cérémonies dont il chargea les vestales, & par le vœu de virginité qu’il exigea d’elles. Il fit plus, il leur confia la garde du palladium, & l’entretien du feu sacré qui devoit toujours brûler dans le temple de Vesta, & étoit le symbole de la conservation de l’empire.

Il crut, selon Plutarque, ne pouvoir déposer la substance du feu qui est pure & incorruptible, qu’entre les mains de personnes extrèmement chastes, & que cet élément qui est stérile par sa nature, n’avoit point d’image plus sensible que la virginité. Ciceron a dit, que le culte de Vesta ne convenoit qu’à des filles dégagées des passions & des embarras du monde. Numa défendit qu’on reçût aucune vestale au-dessous de six ans, ni au-dessus de dix, afin que les prenant dans un âge si tendre, l’innocence n’en pût être soupçonnée, ni le sacrifice équivoque.

Quelque distinction qui fût attachée à cet ordre, on auroit peut-être eu de la peine à trouver des sujets pour le remplir, si l’on n’eût pas été appuyé de l’autorité & de la loi. La démarche devenoit délicate pour les parens, & outre qu’il pouvoit y entrer de la tendresse & de la compassion, le supplice d’une vestale qui violoit ses engagemens, déshonoroit toute une famille. Lors donc qu’il s’agissoit d’en

remplacer quelqu’une, tout Rome étoit en émotion, & l’on tâchoit de détourner un choix où étoient attachés de si étranges inconvéniens.

On ne voit rien dans les anciens monumens, dit Aulugelle, touchant la maniere de les choisir, & sur les cérémonies qui s’observoient à leur élection, si ce n’est que la premiere vestale fut enlevée par Numa. Nous lisons que la loi papia ordonnoit au grand pontife, au défaut de vestales volontaires, de choisir vingt jeunes filles romaines, telles que bon lui sembleroit, de les faire toutes tirer au sort en pleine assemblée, & de saisir celle sur qui le sort tomberoit. Le pontife la prenoit ordinairement des mains de son pere, de l’autorité duquel il l’affranchissoit, & l’emmenoit alors comme prise de bonne guerre, veluti bello abducitur.

Numa avoit d’abord fait les premieres cérémonies de la réception des vestales, & en avoit laissé ses successeurs en possession ; mais après l’expulsion des rois, cela passa naturellement aux pontifes. Les choses changerent dans la suite : le pontife recevoit des vestales sur la présentation des parens sans autre cérémonie, pourvû que les statuts de la religion n’y fussent point blessés. Voici la formule dont usoit le grand pontife à leur réception, conservée par Aulugelle, qui l’avoit tirée des annales de Fabius Pictor : Sacerdotem. vestalem. quæ. sacra. faciat. quæ. Jovi. fiet. sacerdotem. vestalem. facere. pro. populo. Romano. quiritibusque. sit. ei. quæ. optuma. lege. fovit. ità. te. Amata. capio. Le pontife se servoit de cette expression amata, à l’égard de toutes celles qu’il recevoit, parce que selon Aulugelle, celle qui avoit été la premiere enlevée à sa famille, portoit ce nom.

Si-tôt qu’on avoit reçu une vestale, on lui coupoit les cheveux, & on attachoit sa chevelure à cette plante si renommée par les fictions d’Homere appellée lotos, ce qui dans une cérémonie religieuse où tout devoit être mystérieux, étoit regardé comme une marque d’affranchissement & de liberté.

Numa Pompilius n’institua que quatre vestales. Servius Tullius en ajouta deux, selon Plutarque. Denis d’Halycarnasse & Valere Maxime, prétendent que ce fut Tarquinius Priscus qui fit cette augmentation. Ce nombre ne s’accrut, ni ne diminua pendant toute la durée de l’empire : Plutarque qui vivoit sous Trajan, ne compte que six vestales. Sur les médailles de Faustine la jeune, & de Julie, femme de Severe, on n’en représente que six. Ainsi le témoignage de S. Ambroise qui fait mention de sept vestales, ne doit point prescrire contre les preuves contraires à son récit.

Les prêtresses de Vesta établies à Albe, faisoient vœu de garder leur virginité pendant toute leur vie. Amulius, dit Tite-Live, sous prétexte d’honorer sa niece, la consacra à la déesse Vesta, & lui ôta toute espérance de postérité par les engagemens d’une virginité perpétuelle. Numa n’exigea au contraire des vestales qu’une continence de trente années, dont elles passeroient les dix premieres à apprendre leurs obligations, les dix suivantes à les pratiquer, & le reste à instruire les autres, après quoi elles avoient liberté de se marier ; & quelques-unes prirent ce parti.

Au bout des trente années de réception, les vestalet pouvoient encore rester dans l’ordre, & elles y jouissoient des privileges & de la considération qui y étoient attachés ; mais elles n’avoient plus la même part au ministere. Le culte de Vesta avoit ses bienséances aussi bien que ses lois ; une vieille vestale séoit mal dans les fonctions du sacerdoce ; la glace des années n’avoit nulle des convenances requises avec le feu sacré ; il falloit proprement de jeunes vierges, & même capables de toute la vivacité des passions, qui pussent faire honneur aux mysteres.