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Celui qui s’en chargea fut Aquila, juif prosélyte, natif de Sinope ville du Pont. Il avoit été élevé dans le paganisme, & dans les chimeres de la magie & de l’astrologie. Frappé des miracles que faisoient de son tems les chrétiens, il embrassa le christianisme, par le même motif que Simon le magicien, dans l’espérance de parvenir à en faire aussi ; mais voyant qu’il n’y réussissoit pas, il reprit la magie & l’astrologie, afin de passer à son tour pour un grand homme. Ceux qui gouvernoient l’église, lui remontrerent sa faute ; mais il ne voulut pas se rendre à leurs remontrances : on l’excommunia. Là-dessus il prit feu, & renonçant au christianisme, il embrassa le judaïsme, fut circoncis, & alla étudier sous le rabin Akiba, le plus fameux docteur de la loi de ce tems-là ; il fit de si grands progrès dans la langue hébraïque & dans la connoissance des livres sacrés, qu’on le trouva capable d’exécuter la version de l’Ecriture ; il l’entreprit effectivement, & en donna deux éditions.

La premiere parut la 12e année de l’empire d’Adrien, l’an de J. C. 128. Ensuite il la retoucha, & publia sa seconde édition qui étoit plus correcte. Ce fut cette derniere que les juifs hellénistes reçurent ; & ils s’en servirent par-tout dans la suite, au-lieu de celle des septante. De-là vient qu’il est souvent parlé de cette version dans le talmud, & jamais de celle des septante.

Ensuite on s’alla mettre en tête, qu’il ne falloit plus lire l’Ecriture dans les synagogues, que conformément à l’ancien usage, c’est-à-dire, l’hébreu premierement, & puis l’explication en chaldéen ; & l’on allégua les decrets des docteurs en faveur de cet usage. Mais comme il n’étoit pas aisé de ramener les juifs hellénistes à des langues qu’ils n’entendoient point, après avoir eu si longtems l’Ecriture dans une langue qui leur étoit en quelque maniere naturelle.

Cette affaire causa tant de fracas, que les empereurs furent obligés de s’en mêler. Justinien publia une ordonnance, qui se trouve encore parmi les nouvelles constitutions, portant permission aux juifs de lire l’Ecriture dans leurs synagogues dans la version greque des septante, dans celle d’Aquila, ou dans quelle autre langue il leur plairoit, selon les pays de leur demeure. Mais les docteurs juifs ayant réglé la chose autrement, l’ordonnance de l’empereur ne servit de rien, ou de fort peu de chose ; car bientôt après les septante & Aquila furent abandonnés, & depuis ce tems là, la lecture de l’Ecriture s’est toujours faite dans leurs assemblées en hébreu & en chaldéen.

Peu de tems après Aquila, il parut deux autres versions du vieux Testament : l’une par Théodotion, qui florissoit sous l’empereur Commode, & la seconde par Symmaque qui vivoit sous Severe & Caracalla. Le premier, selon quelques-uns, étoit de Sinope dans le Pont, & selon d’autres d’Ephese. Ceux qui tâchent de concilier ces contradictions, prétendent qu’il étoit né dans la premiere de ces villes, & qu’il demeuroit dans la seconde.

Pour Symmaque, il étoit samaritain, & avoit été élevé dans cette secte ; mais il se fit chrétien de la secte des Ebionites, & Théodotion l’ayant été aussi, on a dit de tous deux qu’ils étoient prosélytes juifs. Car les Ebionites approchoient de la religion des juifs, & se croyoient toujours obligés de garder la loi de Moïse ; de sorte qu’ils se faisoient circoncire, & observoient toutes les autres cérémonies de la religion judaïque. Aussi les chrétiens orthodoxes leur donnoient ordinairement le nom de juifs. De-là vient que les deux traducteurs dont il s’agit, sont quelquefois traités de juifs par les anciens auteurs ecclésiastiques, mais ils n’étoient qu’ébionites.

L’un & l’autre entreprit la version par le même

motif qu’Aquila, c’est-à-dire, tous les trois pour corrompre le vieux Testament, Aquila en faveur des juifs, & les deux autres en faveur de leur secte. Tous trois s’accordent parfaitement à donner au texte le tour qu’il leur plait, & à lui faire dire ce qu’ils veulent pour les fins qu’ils se proposent. On ne convient pas tout-à-fait laquelle de ces deux versions fut faite avant l’autre. Dans les héxaples d’Origene, celle de Symmachus est placée la premiere, d’où quelques-uns concluent qu’elle est la plus ancienne. Mais si cette maniere de raisonner étoit concluante, on prouveroit aussi par-là que sa version & celle d’Aquila étoient toutes deux plus anciennes que celle des septante ; car elles sont toutes deux rangées avant celle-ci dans l’ordre des colonnes. Irénée cite Aquila & Théodotion, & ne dit rien de Symmachus ; ce qui paroît prouver qu’elle n’existoit pas de son tems.

Ces trois traducteurs ont pris des routes différentes. Aquila s’attachoit servilement à la lettre, & rendoit mot à mot autant qu’il pouvoit, soit que le génie de la langue dans laquelle il traduisoit, ou le sens du texte le souffrissent, ou ne le souffrissent pas. Delà vient qu’on a dit de cette version que c’étoit plutôt un bon dictionnaire, pour trouver la signification d’un mot hébreu, qu’une explication qui découvre le sens du texte. Aussi S. Jérome le loue souvent pour le premier, & le blâme pour le moins aussi souvent pour le second.

Symmachus prit la route opposée, & donna dans l’autre extrémité ; il ne songeoit qu’à exprimer ce qu’il regardoit comme le sens du texte, sans avoir aucun égard aux mots ; & ainsi il fit plutôt une paraphrase qu’une version exacte.

Théodotion prit le milieu, & ne se rendit pas esclave des mots, ni ne s’en écarta par trop non plus. Il tâchoit de donner le sens du texte par des mots grecs qui répondissent aux hébreux, autant que le génie des deux langues le lui permettoit. C’est, à mon avis, ce qui a fait croire à quelques savans, qu’il avoit vécu après les deux autres ; parce qu’il évite les deux défauts dans lesquels ils étoient tombés. Mais pour cela il n’est pas besoin qu’il les ait vûs, le bon sens seul peut lui avoir donné cette idée juste d’une bonne version. La sienne a été la plus estimée de tout le monde, hormis des juifs qui s’en sont toujours tenus à celle d’Aquila, tant qu’ils se sont servis d’une version greque.

Cette estime fit que quand les anciens chrétiens s’apperçurent que la version de Daniel des septante étoit trop pleine de fautes pour s’en servir dans l’église, ils adopterent pour ce livre celle de Théodotion ; & elle y est toujours demeurée. Et par la même raison, quand Origene dans son héxaple est obligé de suppléer ce qui manque aux septante, qui se trouve dans l’original hébreu, il le prend ordinairement de la version de Théodotion. Le même Origene l’a mise dans sa tétraple, avec la version d’Aquila, celle de Symmaque & les septante. (Le chevalier de Jaucourt.)

Version syriaque de l’Ecriture, (Critique sacrée.) c’est une des versions orientales des plus précieuses de l’Ecriture sainte : ce qui m’engage de lui donner un article particulier.

Cette version fut faite ou du tems même des apôtres, ou fort peu de tems après, pour les églises de Syrie où elle est encore en usage, ainsi qu’une seconde version syriaque faite environ six cens ans après la premiere.

Les Maronites & les autres chrétiens de Syrie vantent beaucoup l’antiquité de la vieille ; ils prétendent qu’une partie a été faite par ordre de Salomon, pour Hiram, roi de Tyr, & le reste qui contient tous les livres écrits depuis Salomon, par ordre d’Ab-