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Les François, à qui les langues latine & italienne sont inconnues, peuvent lire Amelot de la Houssaye, histoire du gouvernement de Venise ; S. Disdier, description de la république de Venise ; l’abbé Laugier, histoire de Venise, depuis sa fondation jusqu’à nos jours. Paris, 1762. en cinq vol. in-12. (Le chevalier de Jaucourt.)

Venise, gouvernement de, (Droit polit.) ce gouvernement dont les Vénitiens cachent aux etrangers le régime avec tant de soin, commença en 709 par se mettre en république avec un chef auquel on donna le nom de duc ou doge. Ces princes de la république ayant sans cesse augmenté leur puissance, les principaux citoyens résolurent enfin de la modérer. S’étant assemblés dans l’église de S. Marc, ils établirent en 1172 un conseil indépendant, & créerent douze tribuns qui pourroient s’opposer aux ordonnances du prince. Ces tribuns eurent encore le droit d’élire chaque année quarante personnes par quartier, pour composer le grand conseil qu’on venoit de créer, de sorte qu’il étoit de deux cens quarante citoyens, la ville de Venise étant divisée en six quartiers ; & comme ce conseil se renouvelloit tous les ans, chacun avoit espérance d’y entrer.

L’ordre de ce gouvernement dura cent dix-sept ans, c’est-à-dire jusqu’en 1289, que le doge Pierre Gradenigo entreprit de changer entierement la face de la république, & d’établir une véritable aristocratie, en fixant à perpétuité le grand conseil à un nombre de citoyens & à leurs descendans. Il fit passer à la Quarantie criminelle, qui est une chambre souveraine de quarante juges, un decret portant que tous ceux qui avoient composé le grand conseil des quatre années précédentes, seroient balotés dans cette chambre, & que ceux qui auroient douze balles favorables, composeroient eux & leurs descendans le grand conseil à perpétuité.

La noblesse vénitienne est divisée en différentes classes. La premiere comprend les familles des douze tribuns qui furent les électeurs du premier doge, & qui se sont presque toutes conservées jusqu’à présent. A ces douze maisons qu’on appelle électorales, on en a joint douze autres, dont l’ancienneté va presque de pair avec les douze premieres ; mais toutes sont extremèment déchues de leur ancien éclat par le luxe & la pauvreté.

La seconde classe de la noblesse vénitienne se trouve composée des nobles qui ont pour titre le tems de la fixation du grand conseil, & dont les noms étoient écrits des ce tems-là dans le livre d’or, qui est le catalogue qu’on fit alors de toutes les familles de la noblesse vénitienne. On met au rang de cette noblesse du second ordre les trente familles qui furent aggrégées à la noblesse en 1380, parce qu’elles avoient secouru la république de sommes considérables pendant la guerre contre les Génois.

Dans la troisieme classe de la noblesse vénitienne on comprend environ quatre-vingt familles qui ont acheté la noblesse moyennant cent mille ducats, dans le besoin d’argent où la république se trouva réduite par la derniere guerre de Candie. On ne fit aucune distinction entre les personnes qui se présenterent, c’est-à-dire, depuis le gentil-homme de terre-ferme jusqu’à l’artisan. Cette troisieme sorte de noblesse vénitienne ne fut point d’abord employée dans les grandes charges de la république. On lui préféroit les nobles d’ancienne origine.

Les citadins qui sont les bonnes familles des citoyens vénitiens, composent un second état entre la noblesse & le peuple. On distingue deux sortes de citadins : les premiers le sont de naissance, étant issus de ces familles, qui avant la fixation du grand-conseil avoient la même part au gouvernement qu’y a présentement la noblesse vénitienne. Le

second ordre des citadins est composé de ceux qui ont par mérite ou par argent obtenu ce rang dans la république. Les uns & les autres jouissent des mêmes privileges. La république fait semblant d’honorer les vrais citadins, & leur donne toutes les charges qu’on tient au-dessous d’un noble vénitien. La dignité de grand-chancelier est le plus haut degré d’élévation où puisse prétendre un citadin. Le rang & la grandeur de cette charge en rendroit la fonction digne d’un des premiers sénateurs, si la république jalouse de son autorité, n’avoit réduit cet emploi au seul exercice des choses où la charge l’oblige, sans lui donner ni voix, ni crédit, dans les tribunaux où il a la liberté d’entrer.

La dignité de grand-chancelier, celle de procurateur de S. Marc & celle du doge sont les seules qui se donnent à vie. Voyez les mots Doge & Procurateur de S. Marc.

Comme la république a voulu conserver dans l’ordre extérieur de son gouvernement une image de la monarchie, de l’aristocratie & de la démocratie, elle a représenté un prince souverain dans la personne de son doge : une aristocratie dans le prégadi ou le sénat, & une espece de démocratie dans le grand-conseil, où les plus puissans sont obligés de briguer les suffrages ; cependant le tout ne forme qu’une pure aristocratie.

Une des choses à quoi le sénat s’est appliqué avec grand soin, a été d’empêcher que les princes étrangers n’eussent aucune connoissance de ses délibérations ni de ses maximes particulieres ; & comme il eût été plus facile à la cour de Rome qu’à aucune autre d’en venir à-bout, & même de former un parti considérable dans le sénat, par le moyen des ecclésiastiques, la république ne s’est pas seulement contentée de leur en interdire l’entrée, elle n’a même jamais souffert que la jurisdiction ecclésiastique ordinaire se soit établie dans ses états avec la même autorité que la plûpart des princes lui ont laissé prendre, & elle a exclu tous les ecclésiastiques, quand même ils seroient nobles vénitiens, de tous les conseils & de tous les emplois du gouvernement.

Le sénat ne nomme aucun vénitien au pape pour le cardinalat, afin de ne tenter aucun de ses sujets à trahir les intérêts de la république, par l’espérance du chapeau. Il est vrai que l’ambassadeur de Venise propose au pape les sujets de l’état qui méritent cet honneur, mais il fait ses sollicitations comme simple particulier, & ne forme aucune demande au nom du sénat. Aussi le cardinalat n’est pas à Venise en aussi grande considération qu’il l’est ailleurs.

Le patriarche de Venise est élu par le sénat ; il ne met à la tête de ses mandemens, que N… divinâ miseratione Venetiarum patriarcha, sans ajouter, comme les autres prélats d’Italie, sanctæ sedis apostolicæ gratiâ.

Soit encore que la république ait eu dessein d’ôter aux ecclésiastiques les moyens d’avoir obligation à d’autres supérieurs qu’au sénat, soit qu’elle n’ait eu d’autre vue que de maintenir l’ancien usage de l’église, elle a laissé l’élection des curés à la disposition des paroissiens, qui doivent choisir celui des prêtres habitués de la même paroisse qui leur paroît le plus digne. Tous ceux qui possedent des maisons en propre dans l’étendue de la paroisse, nobles, citadins & artisans, s’assemblent dans l’église, dans le terme de trois jours après la mort du curé, & procedent à l’élection par la pluralité des voix, faute de quoi la république nomme un curé d’office.

Il est vrai que l’inquisition est établie à Venise ; mais elle y est du-moins sous des conditions qui diminuent l’atrocité de sa puissance. Elle est composée à Venise du nonce du pape, du patriarche de Venise toujours noble vénitien, du pere inquisiteur toujours de l’or-