Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouve des exemples dans presque toutes les langues, eram, j’étois, laudabam, je louois, mirabar, j’admirois ; l’autre, qui n’est connu que dans quelques langues modernes de l’Europe, l’italien, l’espagnol & le françois, je fus, je louai, j’admirai.

1°. Voici sur la premiere espece, comment s’explique le plus célebre des grammairiens philosophes, en parlant des tems que j’appelle définis, & qu’il nomme composés dans le sens. « Le premier, dit-il, (gramm. gén. part. II. ch. xiv. édit. de 1660, ch. xv. édit. de 1756), est celui qui marque le passé avec rapport au présent, & on l’a nommé prétérit imparfait, parce qu’il ne marque pas la chose simplement & proprement comme faite, mais comme présente à l’égard d’une chose qui est déja néanmoins passée. Ainsi quand je dis, cum intravit, cæabam, je soupois, lorsqu’il est entré, l’action de souper est bien passée au regard du tems auquel je parle, mais je la marque comme présente au regard de la chose dont je parle, qui est l’entrée d’un tel ».

De l’aveu même de cet auteur, ce tems qu’il nomme prétérit, marque donc la chose comme présente à l’égard d’une autre qui est déja passée. Or quoique cette chose en soi doive être réputée passée à l’égard du tems où l’on parle, vû que ce n’est pas-là le point de vue indiqué par la forme du verbe dont il est question ; il falloit conclure que cette forme marque le présent avec rapport au passé, plutôt que de dire au contraire qu’elle marque le passé avec rapport au présent. Cette inconséquence est dûe à l’habitude de donner à ce tems, sans examen & sur la foi des Grammairiens, le nom abusif de prétérit ; on y trouve aisément une idée d’antériorité que l’on prend pour l’idée principale, & qui semble en effet fixer ce tems dans la classe des prétérits ; on y apperçoit ensuite confusément une idée de simultanéité que l’on croit sécondaire & modificative de la premiere : c’est une méprise, qui à parler exactement, renverse l’ordre des idées, & on le sent bien par l’embarras qui naît de ce désordre ; mais que faire ? Le préjugé prononce que le tems en question est prétérit ; la raison réclame, on la laisse dire, mais on lui donne, pour ainsi dire, acte de son opposition, en donnant à ce prétendu prétérit le nom d’imparfait : dénomination qui caractérise moins l’idée qu’il faut prendre de ce tems, que la maniere dont on l’a envisagé.

2°. Le préjugé paroît encore plus fort sur la seconde espece de présent antérieur ; mais dépouillons-nous de toute préoccupation, & jugeons de la véritable destination de ce tems par les usages des langues qui l’admettent, plutôt que par les dénominations hazardées & peu réfléchies des Grammairiens. Leur unanimité même déja prise en défaut sur le prétendu prétérit imparfait & sur bien d’autres points, a encore ici des caracteres d’incertitude qui la rendent justement suspecte de méprise. En s’accordant pour placer au rang des prétérits je fus, je louai, j’admirai, les uns veulent que ce prétendu prétérit soit défini, & les autres qu’il soit indéfini ou aoriste, termes qui avec un sens très-clair ne paroissent pas appliqués ici d’une maniere trop précise. Laissons-les disputer sur ce qui les divise, & profitons de ce dont ils conviennent sur l’emploi de ce tems ; ils sont à cet égard des témoins irrécusables de sa valeur usuelle. Or en le regardant comme un prétérit, tous les Grammairiens conviennent qu’il n’exprime que les choses passées dans un période de tems antérieur à celui dans lequel on parle.

Cet aveu combiné avec le principe fondamental de la notion des tems, suffit pour décider la question. Il faut considérer dans les tems 1°. une relation générale d’existence à un terme de comparaison, 2°. le terme même de comparaison. C’est en vertu de la relation générale d’existence qu’un tems est présent,

prétérit ou futur, selon qu’il exprime la simultanéité, l’anteriorité ou la postériorité d’existence, c’est par la maniere d’envisager le terme, ou sous un point de vue général & indéfini, ou sous un point de vue spécial & déterminé, que ce tems est indéfini ou défini, & c’est par la position déterminée du terme, qu’un tems défini est actuel, antérieur ou postérieur, selon que le terme a lui-même l’un de ces rapports au moment de l’acte de la parole.

Or le tems, dont il s’agit, a pour terme de comparaison, non une époque instantanée, mais un période de tems : ce période, dit-on, doit être antérieur à celui dans lequel on parle ; par conséquent c’est un tems qui est de la classe des définis, & entre ceux-ci il est de l’ordre des tems antérieurs. Il reste donc à déterminer l’espèce générale de rapport que ce tems exprime relativement à ce période antérieur : mais il est evident qu’il exprime la simultanéité d’existence, puisqu’il désigne la chose comme passée dans ce période, & non avant ce période ; je lus hier votre lettre, c’est-à-dire que mon action de lire étoit simultanée avec le jour d’hier. Ce tems est donc en effet un présent antérieur.

On sent bien qu’il differe assez du premier pour n’être pas confondu sous le même nom ; c’est par le terme de comparaison qu’ils different, & c’est delà qu’il convient de tirer la différence de leurs dénominations. Je disois donc que j’étois, je louois, j’admirois sont au présent antérieur simple, & que je fus, je louai j’admirai sont au présent antérieur périodique.

Je ne doute pas que plusieurs ne regardent comun paradoxe, de placer parmi les présens, ce tems que l’on a toujours regardé comme un prétérit. Cette opinion peut néanmoins compter sur le suffrage d’un grand peuple, & trouver un fondement dans une langue plus ancienne que les nôtres. La langue allemande, qui n’a point de présent antérieur périodique, se sert du présent antérieur simple pour exprimer la même idée : ichwar (j’étois ou je fus) ; c’est ainsi qu’on le trouve dans la conjugaison du verbe auxiliaire seyn (être), de la grammaire allemande de M. Gottsched par M. Quand (édit. de Paris, 1754. ch. vij. pag. 4.) ; & l’auteur prévoyant bien que cela peut surprendre, dit expressément dans une note, que l’imparfait exprime en même tems en allemand le prétérit & l’imparfait des françois. Il est aisé de s’en appercevoir dans la maniere de parler des Allemands qui ne sont pas encore assez maîtres de notre langue : presque par-tout où nous employons le présent antérieur périodique, ils se servent du présent antérieur simple, & disent, par exemple, je le trouvois hier en chemin, je lui demandois où il va, je voyois qu’il s’embarrasse, au lieu de dire, je le trouvai hier en chemin, je lui demandai où il alloit, je vis qu’il s’embarrassoit : c’est le germanisme qui perce à-travers les mots françois, & qui dépose que nos verbes je trouvai, je demandai, je vis sont en effet de la même classe que, je trouvois, je demandois, je voyois. Les Allemands, nos voisins & nos contemporains, & peut-être nos peres ou nos freres, en fait de langage, ont mieux saisi l’idée caractéristique de notre présent antérieur périodique, l’idée de simultanéité, que ceux de nos méthodistes françois qui se sont attachés servilement à la grammaire latine, plutôt que de consulter l’usage, à qui seul appartient la législation grammati ale. La langue angloise est encore dans le même cas que l’allemande ; i had (j’avois & j’eus) ; i was (j’étois & je fus). On peut voir la grammaire françoise-angloise de Mauger, pag. 69, 70 ; & la grammaire angloise-françoise de Festeau, pag. 42, 45. (in-8. Bruxelles, 1693.) Au reste je parle ici à ceux qui saisissent les preuves métaphysiques, qui les apprécient, & qui s’en contentent : ceux qui veulent des preuves de