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il se mêloit dans des hordes d’autres cerfs, à ne s’y pas tromper.

Salnove, ch. ix. dit que la meute du roi étoit de chiens blancs, qui étoient d’une sagesse & hardiesse admirables ; que dans les forêts de S. Germain, de Fontainebleau & de Mouceaux, où il y avoit une quantité de cerfs innombrable ; ils chassoient un cerf quatre ou cinq heures. Quand il se mêloit avec 5 ou 600 cerfs, ils le séparoient, le maintenoient parmi tout ce change jusqu’à ce qu’ils l’eussent porté par terre.

Aucun auteur n’a écrit avec tant de détail pour former de bons veneurs & dresser les meutes, que M. de Ligniville : ce qu’il en dit est très-instructif.

Pour faire une bonne meute, il observoit de n’avoir que 50 à 60 chiens, tous du même pié. Quand il avoit un chien qui étoit-trop vîte, qui avoit toujours la tête bien loin devant les autres, il lui faisoit mettre un collier avec trois plates longes traînantes, sur lesquelles le chien en courant mettoit les piés de derriere ; il lui faisoit baisser le col, & arrêtoit sa grande vîtesse, & le faisoit aller du même pié que les autres. Il y en a eu à qui l’on a mis des colliers de plomb de trois à quatre livres ; mais cela fatigue trop un chien (j’adopterois plutôt la plate longe). Quand un chien coupoit par ambition pour être à la tête, il ne le gardoit pas dans sa meute ; il vouloit que ses chiens chassassent toujours ensemble : pour peu qu’il remarquât qu’ils fissent une file, il faisoit arrêter la tête, & attendoit les autres jusqu’au dernier, cela arrive souvent dans la chasse, comme quand le maître étoit éloigné, ou à attendre un relais qui avançoit. Il vouloit que ses veneurs fussent toujours collés aux chiens, sans les presser ; quand les chiens étoient à bout de voie à un retour, ils remarquassent s’il n’y en avoit pas quelqu’un qui trouvât le retour plutôt que le gros de la meute, & qui s’en allât, pour lors il envoyoit l’arrêter jusqu’à ce que tous fussent ralliés. Il y a des chiens qui sentent la voie double, qui ne se donnent pas la peine d’aller jusqu’au bout du retour, qui abregent par ce moyen, & s’en vont seuls. Mais pour faire de belles chasses il faut que tous les chiens soient ensemble, ils en chassent bien mieux & à plus grand bruit ; & jamais ne chassent si bien quand ils sentent la voie foulée par d’autres qui sont devant eux, cela les décourage. Le veneur étant bien à ses chiens, remarque quand le cerf est accompagné, les bons chiens balancent, les timides demeurent ; c’est pour lors qu’il doit les laisser faire, sans trop les échauffer, ni intimider, jusqu’à ce que le cerf soit séparé du change, ce qu’il remarquera à ses bons chiens qui renouvellent de gaieté, & crient bien mieux.

Si le cerf étant accompagné, pousse le change & fait un retour, les chiens qui ne sont point encore sages percent en avant, & emmenent les autres ; mais le veneur attentif au mouvement de ses chiens, observera que les bons chiens tâtent les branches, pissent contre, si on ne les anime pas trop, croyant que le cerf perce ; vous les verrez revenir chercher la voie de leur cerf. Pour lors il faut envoyer rompre les chiens qui s’en vont en avant après le change. Pendant ce tems vous retournez dans vos voies juste, jusqu’à ce qu’avec vos bons chiens vous ayez trouvé la voie, ou ayez relancé. Quand vos chiens sont bien juste dans le droit, vous les arrêtez pour attendre qu’on vous rallie ceux qui ont tourné au change ; & quand tout est bien rallié, vous laissez chasser vos chiens bien ensemble ; on les appuie ; on parle aux bons ; on sonne : cela fait la chasse belle, & accoutume les chiens à chasser ensemble, les rend obéissans, les fait sages, & les dresse. Les vieux & les bons apprennent aux jeunes, à bout de voie, à retourner dans les chemins, routes ou plaines ; à

mettre le nez à terre pour être juste à la voie. Je dis que les vieux apprennent aux jeunes, c’est quand la meute est à bout de voie, les vieux retournent la chercher dans les chemins, mettent le nez à terre & crient, les jeunes vont à eux ; apprennent que quand on est à bout de voie il faut retourner pour la retrouver, l’ayant vu faire aux bons chiens, & dans les routes ou chemins qu’un cerf aura longé, les vieux s’en rabattent, chassent & crient, les jeunes mettent aussi le nez à terre, & s’accoutument à chasser dans tous les endroits, & se forment ainsi.

Il faut une distance convenable pour parler & appuyer les chiens, les tenir en obéissance, les faire chasser ensemble ; ne jamais attendre qu’ils soient trop éloignés ; il les faut tenir dans la justesse de vénerie ; ne les pas trop presser ; les appuyer à côté de la voie. Si les veneurs vont dans la voie du cerf, ils courent risque de passer sur le corps des derniers chiens, de les rouler & de les estropier (ce que j’ai vu arriver) ; & les chiens qui viennent derriere dans la voie, ne chassent plus avec le même plaisir, sentant la voie foulée par les cavaliers.

Il faut observer que quand on découple la meute dans la voie du cerf, il y faut être bien juste ; car au-dessus ou au-dessous, les chiens s’en vont de fougue, sans voie, & attaquent tout ce qui leur part, & l’on a de la peine à les y remettre. Cela fait le commencement d’une vilaine chasse, les veneurs ne se doivent mettre à la queue de leurs chiens qu’après que le dernier sera découplé.

Ligniville dit qu’il a été plus de dix ans à avoir peu de plaisir à la chasse, pour trop mettre de jeunes chiens dans sa meute, & qu’il s’en revenoit souvent sans rien prendre. Le tems, l’expérience & l’exercice lui ont dessillé les yeux ; depuis il n’en a mis que ce que la nécessité exige, & lesquels ont été mieux dressés & ajustés à ceux du petit nombre : la quantité nuit beaucoup.

Il en mettoit tous les ans la sixieme partie de sa meute ; dans une meute composée de 60 chiens, il en mettoit 10 de la même taille, même race & même vîtesse.

Il dit encore que pour forcer un cerf il falloit science de veneur & force de chiens ; qu’il ne faut pas laisser soustraire sa meute en donnant par trop ses chiens, sous espérance d’avoir force jeunesse à mettre au chenil ; ne jamais se défaire de la tête de la meute, ni des chiens de confiance : il faut peu de chose pour mettre une meute en désordre. Il faut l’âge, la vie, le soin & le travail d’un vrai bon veneur pour la rendre excellente.

Il ajoute qu’il faut exercer les chiens deux ou trois fois la semaine ; que ceux qui ont besoin de repos doivent être à la discrétion du veneur ; combien de jours de repos il leur faut pour être en corps raisonnable, pour avoir force, haleine & sentiment dans les chaleurs. S’ils sont par trop défaits, ils n’ont pas assez de force ; s’ils sont trop pleins, ils manquent d’haleine & de sentiment.

Des lices ouvertes pour en tirer race. Si vous voulez avoir de beaux chiens, dit Fouilloux, ch. vij. ayez une bonne lice qui soit de bonne race, forte & proportionnée de ses membres, ayant les côtés & les flancs grands & larges. Pour la faire venir en chaleur ; prenez deux têtes d’aulx, un demi rognon du dehors d’un castor, avec du jus de cresson alénois, une douzaine de mouches cantharides ; faites bouillir le tout ensemble dans un pot tenant une pinte, avec de la chair de mouton, & faites-en boire deux ou trois fois en potage à la lice, elle deviendra en peu de tems en chaleur, & faites-en autant au chien pour le réchauffer ; il faut tâcher de la faire couvrir s’il est possible, dans le pleins cours de la lune. Le même auteur prétend, que si l’on donne pendant neuf