Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si les françois imitoient les anglois, qui font nourrir tous leurs jeunes chiens ensemble, & dès l’âge de six mois, les menent à la campagne pour leur apprendre à être obéissans, ne leur permettant pas que jamais ils se séparent les uns des autres ; ils auroient des chiens sages & obéissans, qui chasseroient toujours ensemble ; car les chiens françois ont des qualités plus relevées que les chiens anglois. Ils ont les voix plus hautaines, chassent plus gaiement, la queue plus haute, tournent mieux, requêtent incomparablement mieux, rentrent mieux dans les voies, trouvent mieux les retours, & se font plus entendre de deux lieues, qu’une meute angloise ne feroit d’un quart de lieue, parce qu’ils chassent le nez haut à plus d’un pié de terre ; au lieu que les anglois chassent le nez bas & d’une voix étouffée contre terre. Tous les avantages des chiens françois s’évavanouissent par la mauvaise nourriture qu’on leur donne, les faisant nourrir séparément ; les uns par des laboureurs, & les autres par des bouchers, en plein libertinage jusqu’à un an ou quinze mois ; pendant lequel temps ils acquierent des qualités si vicieuses, qu’avant d’entrer au chenil, ils sont incorrigibles, & que l’obéissance & la crainte ne peuvent plus rien sur leurs vicieuses habitudes, & que ce n’est qu’à force de coups qu’on les peut réduire, encore n’en peut-on venir à bout : si bien qu’une meute ne devient sage qu’à force de vieillir.

La Briffardiere, nouveau traité de vénerie, c. xxxvj. dit peu de chose sur les races de chiens courans : il donne aux chiens blancs la préférence sur tous les autres poils, & sur ceux d’une taille médiocre, qui sont plus vigoureux & courent plus long-temps que les chiens élancés & de haute taille : ces derniers n’ont que le premier feu, & après le premier relais, ils ne sauroient plus suivre les autres : il propose, quand on a une meute de chiens blancs, de les faire chasser le lievre deux fois la semaine, & que les piqueurs n’épargnent pas les coups de fouet, pour les rendre attentifs & dociles, pour leur apprendre à s’ameuter avec les autres, s’y rallier & tourner où l’on voudra : après, leur faire chasser le cerf ou le chevreuil, & en peu de temps ils seront formés : quand les lices deviennent en chaleur, les faire couvrir par les meilleurs chiens, comme il est dit ci-devant ; les séparer de la meute douze jours avant de mettre bas, &c.

Phœbus, dans son chapitre xxiij. du Chenil, dit comme les chiens doivent demeurer & comme ils doivent être tenus. De son temps il y avoit un préau qui étoit construit exprès, avec une porte de derriere, pour que les chiens allassent au soleil, qui y donnoit tout le jour ; les chiens pouvoient y aller quand ils vouloient : il prétend que cette construction de chenil avec un préau, les empêchoit de devenir galeux si souvent ; (je serois bien de son sentiment, que le grand air ne peut faire que du bien aux chiens, sur-tout dans les beaux jours.) Il faisoit ficher des bâtons en terre, environnés de paille, hors les bancs où ils se couchoient, pour que les chiens y vinssent pisser ; il en faisoit mettre jusqu’à six. Si l’on frottoit quelqu’un de ces bâtons avec du galbanum, tous les chiens iroient pisser contre. La méthode n’étoit que très-bonne ; cela les empêchoit de pisser sur les bancs où ils se couchoient, ce qui faisoit que leurs lits étoient toujours secs : l’on n’a plus cette habitude ; prétendant que des chiens, en jouant ou en se battant, ou en sortant de vitesse pour l’ébat ou pour manger la mouée, qu’ils pourroient s’étrufler, se blesser de différentes façons ; je laisse la chose à décider. Il y avoit de son tems, des cheminées dans les chenils, pour les réchauffer dans l’hiver & quand ils revenoient de la chasse, ayant eu la pluie quelquefois toute la journée sur le

corps, avoir battu l’eau dans des étangs ou des rivieres, la boue, la crotte. Fouilloux parle de l’usage des cheminées. Il faisoit bouchonner les chiens après la chasse, pour faire tomber la boue & la crotte. L’on avoit conservé cet usage jusqu’au regne de Louis XIV. j’ai vu de grandes cheminées, environnées de grillages de fer, dans les chenils de Versailles ; je crois que c’est la peur du feu qui les a fait détruire ; je les approuverois cependant, pour le bien & la conservation des chiens : à l’égard du feu, on peut prendre des précautions comme on les prenoit dans ce tems-là, où il n’est point mention qu’il soit arrivé d’accident.

Phœbus, dans son chap. xxiv. dit, qu’il faisoit mener ses chiens à l’ébat deux fois le jour, le matin & le soir, au soleil, en beau & grand pré ; on les y peignoit & bouchonnoit tous les matins, on les menoit dans des lieux où il y avoit des herbes tendres ou blé verd, pour qu’ils se purgeassent ; on leur donnoit de la paille fraiche une fois le jour, & celle de dessus les bancs on la mettoit dessous les piés. Charles IX. leur faisoit donner de l’eau fraiche deux fois le jour, les faisoit rendre obéissans à l’ébat ; il vouloit qu’on ne les laissât pas écarter, qu’on les fît rentrer dans la meute, en les corrigeant & les nommant par leurs noms, qu’on les tînt en crainte & obéissance le plus qu’on pourroit ; qu’on les pansât deux fois le jour : c’étoit la méthode du regne de Charles IX. & de Salnove ; ils ajoutent, sans y manquer, si on les veut avoir beaux, vigoureux, & toujours en bon corps. Il y avoit deux petits valets de chiens ordinaires, qui couchoient au chenil. Ligniville dit qu’il faut des planches le long des murailles où couchent les chiens, pour les garantir de l’humidité des murs contre lesquels ils s’appuient. La précaution est très bonne ; on les faisoit panser le matin à six heures en été, & à cinq le soir, en hiver à huit heures du matin & à trois du soir ; on les faisoit promener & mener à l’ébat après leurs pansemens, les y laissant une heure dehors. M. de Selincourt recommande la même chose, disant que si les chiens ne sont bien pansés & tenus proprement, qu’il en arrive toujours deux accidens fort grands & fâcheux, qui sont la galle & la rage ; il recommande de même des cheminées dans les chenils & grand feu au retour des chasses froides & humides en hiver.

On ne peut rien ajouter pour la propreté des chiens à l’usage que les anciens en avoient ; je suivrois avec plaisir leur méthode ; aujourd’hui on s’est relâché sur bien des bonnes choses qu’on a abolies pour en introduire d’autres qui ne les valent pas, comme de laver les chiens le lendemain des chasses en hiver avec de l’eau glacée dans un grand chenil qui n’a de chaleur que ce que les chiens lui en donnent ; cela doit leur être bien contraire. On ne les panse plus, ou on ne le fait que très-rarement ; quand ils ont été lavés, en voilà jusqu’à la prochaine chasse sans qu’on les peigne ni qu’on les brosse ; je ne desaprouverai pas qu’on les lave dans l’été, dans les jours de chaleur le lendemain des chasses : cela les délasse, & ne peut que leur faire du bien ; mais cela n’empêcheroit point qu’ils ne fussent pansés avec le peigne & la brosse tous les jours une fois jusqu’au jour de la chasse. En lavant les chiens en hiver avec de l’eau froide, vos vieux chiens qui à peine sont réchauffés de la veille, se mettent les uns sur les autres pour trouver de la chaleur, se sallissent autant qu’ils l’étoient auparavant, ne peuvent se réchauffer qu’avec bien de la peine, ils maigrissent à vue-d’œil, & ne durent pas long-tems. Les auteurs anciens disent que leurs chiens courans duroient en bonté & force neuf ans dans leurs meutes ; aujourd’hui quand ils en durent six, c’est beaucoup.

Si les chiens, dit Fouilloux, avoient des poux &