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jarret : le cerf culbuta de haut en bas, & se tua. Le roi & toute la cour y étoit.

Dans la forêt de Fontainebleau, à la fin de Septembre 1750, on y prit un cerf dix corps, qui avoit la tête velue comme un cerf qui n’a pas touché au bois au commencement de Juillet. Après la mort il fut examiné, il n’avoit point de dintier ni dehors ni dedans : apparemment que des loups, ou un chicot, ou une balle de braconnier en avoit fait l’opération avant qu’il eût touché au bois, puisqu’il n’y a point touché après.

Chiens courans. Les auteurs anciens ne disent rien sur l’origine des chiens courans. Phæbus, dans son chapitre xjx. rapporte qu’il y en avoit de son tems de très-bons en Espagne ; mais qu’ils ne chassoient bien que quand ils avoient un animal près d’eux : il parle d’une autre espece qui chassoit lentement & pesamment, mais tout le jour ; & d’une troisieme qu’il nomme beaux, à qui le vent, ni la pluie, ni la chaleur ne faisoient quitter la voie de ce qu’ils avoient attaqué. Il cite encore une autre qualité de chiens qu’il nomme cerfs beaux, muz cerfs, parce qu’ils étoient beaux, bons & sages pour le cerf qu’ils chassoient toujours quoiqu’il fût mêlé avec le change ; ils ne disoient mot jusqu’à ce que l’animal fût séparé du change & pris. Le même auteur fait mention d’une autre espece de chiens sages qu’il appelle chiens beaux restis, lesquels ne vouloient chasser que le cerf. Le nom de restis leur étoit donné parce que quand un cerf étoit accompagné, ils demeuroient tout court, & n’alloient pas plus loin, s’ils n’étoient avec le veneur. Les mêmes chiens ne chassoient pas si-bien dans le tems du rut, & ne gardoient pas si-bien le change, les animaux étant tous échauffés ; de même ils chassoient les biches dans la saison où elles mettent bas, comme si c’eût été des cerfs échauffés ; ils ne chassoient pas si-bien depuis le commencement de Mai jusqu’à la S. Jean, à cause de l’odeur des herbes. Enfin il dit qu’il préfere les chiens courans aux levriers, allans & autres, parce que les premiers chassent tout le jour, &c. ibid.

Fouilloux s’étend davantage sur l’origine des chiens courans. Il tire de bien plus loin leur généalogie. Il dit qu’un certain Brutus descendant d’un roi des Latins, étant à la chasse, tua son pere croyant tuer un cerf. Son peuple voulut se soulever contre lui, ce qui l’obligea à s’enfuir dans la Grece d’où il vint en Bretagne avec son fils Turnus & un bon nombre de chiens courans. Ce sont les premiers qui aient paru en France. Le premier chien blanc fut donné par un pauvre gentilhomme à Louis XII. qui en fit peu de cas, les chiens dont sa meute étoit composée, étant gris ; il le donna au sénéchal Gaston qui en fit présent à son tour au grand sénéchal de Normandie, lequel le donna en garde à un veneur nommé Jacques Bresé ; celui-ci lui fit couvrir des lices & en tira race. L’année d’après Anne de Bourbon, qui aimoit fort la vénerie, envoya une lice appellée bande, pour être couverte par ce chien nommé souillard ; l’on en tira deux ou trois portées dont il sortit quinze ou seize chiens. cleraud, joubard, miraud, marteau, briffaud, hoise, &c. depuis la race s’en est toujours augmentée ; & elle fut renforcée par François I. qui fit couvrir les lices qui en étoient sorties, par un chien fauve nommé miraud, que l’amiral d’Annebaud lui avoit donné, &c. Les chiens fauves descendent de la meute d’un seigneur breton appellé Huet de Nantes… Suivant Charles IX. les chiens gris dont se servoient anciennement les rois de France & les ducs d’Alençon, étoient connus sous le regne de S. Louis. Il y a trois sortes de chiens courans, selon le rapport de Charles IX. dans son livre de la chasse royale, ch. vij. Les premiers qui aient été en notre Europe ont été la race des chiens noirs, & celle des blancs ; mais cette derniere

fut depuis confondue avec celle des chiens greffiers blancs. Toutes les deux sont venues de S. Hubert. Dans la suite S. Louis qui aimoit fort la chasse, étant allé à la conquête de la Terre-sainte, envoya acheter en Tartarie une meute de chiens qu’on disoit excellens pour la chasse du cerf ; il les amena à son retour en France ; c’est la race des chiens gris, la vieille & ancienne race de cette couronne. On dit que la rage ne les prend jamais. Les chiens gris sont grands, hauts sur jambes & d’oreilles. Ceux de la vraie race sont de couleur de poil de lievre, ils ont l’échine large & forte, le jarret droit, le pié bien formé ; mais ils n’ont pas le nez si bon que les chiens noirs, ce qui fait que leur façon de chasser est toute différente ; car les autres chassent dans la voie juste ; ceux-ci au-contraire étant extrèmement vîtes chassent à grandes randonnées, loin des voies & à la vue les uns des autres. Le plus souvent au partir de la couple, ils s’en vont comme s’ils chassoient sans avoir rien devant eux, & leur furie seule les transporte. Comme ils n’ont pas le nez excellent, ils ne chassent que quand l’animal est près d’eux, & rarement ils sont sages dans le change ; s’ils y tournent on ne peut pas les rompre, il faut se rompre le cou & les jambes pour les tenir. Si un cerf s’enfuit droit devant lui sans retour ni change, ils le prendront bien vîte ; mais s’il ruse, on peut les coupler & les ramener au chenil.

Voici ce que dit Salnove, ch. ij. des chiens gris. Ils formoient les premieres meutes de nos rois depuis S. Louis. Ils étoient fort considérés des nobles, pourvu qu’ils fussent vrais chiens courans & non corneaux, c’est-à-dire chiens engendrés d’un mâtin & d’une chienne courante, ou d’une mâtine & d’un chien courant. Ceux-ci sont plus vîtes que les autres, ils coupent, ne retournent point, ne requêtent, ne crient que rarement, & sont très-nuisibles dans une meute. Les chiens gris peuvent chasser plus souvent que les autres, ils s’entretiennent en bon corps, sont peu pillars, moins sujets aux maladies que les autres chiens, ils chassent tout ce qu’on veut sans se rebuter dans l’hiver comme dans l’été, n’appréhendant ni le chaud ni le froid, & criant bien. La derniere meute des chiens gris dont Salnove parle, appartenoit à M. le comte de Soissons, sous Louis XIII. Depuis ce tems il n’est plus fait mention de cette espece de chiens. Il nous est venu dans l’équipage de Louis XV. des chiens de Normandie à poil gris ; ce sont des limiers qui ont le nez excellent ; ils sont vigoureux, mais pillars comme des mâtins, & s’étranglant souvent les uns les autres ; peut-être est ce un reste de cette ancienne race de chiens gris que S. Louis fit venir de Tartarie ; mais ceux-ci ont des qualités & des défauts que les autres n’avoient pas : il n’est pas possible de trouver de meilleurs limiers.

Les chiens blancs greffiers, selon le rapport de Charles IX. ch. x. ont tant de bonté, qu’on n’en sauroit dire assez de bien : ils réunissent toutes les qualités des chiens noirs & des gris, sans tenir rien de ce qu’ils ont de mauvais ; ils ont le chasser brave & en vrais chiens courans ; ils sont plus vîtes que les gris, & plus sages que les noirs ; ils n’appellent jamais qu’ils n’aient le nez dans les voies ; quand le change bondit, c’est alors qu’ils se glorifient en leur chasser, s’ils sont bien conduits ; ce sont vrais chiens de roi. On les nomme greffiers, parce que sous le regne de Louis XII. on fit couvrir par un chien blanc de la race de S. Hubert une braque d’Italie qui appartenoit à un secrétaire du roi, que dans ce tems on appelloit greffier. Le premier chien qui en sortit fut tout blanc, hors une tache fauve qu’il avoit sur l’épaule ; ce chien étoit si bon qu’il se sauvoit peu de cerfs devant lui ; il fit treize petits tous aussi excellens que leur pere, & peu-à-peu la race s’éleva, de sorte que quand Fran-