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plus belle & plus sûre, augmente encore la perfection de ce genre d’étoffe.

Il n’est pas surprenant si les velours qui sont fabriqués en France, ne sont pas aussi beaux que ceux qui se fabriquent à Turin, Gènes & autres villes d’Italie ; la raison de leur défectuosité ne vient que de ce qu’un velours fabriqué en France & marqué pour quatre poils, contenant quatre fils par boucle d’organsin à deux brins, il ne se trouve que huit brins au lieu de douze que contient chaque boucle de ceux qui sont fabriqués chez les étrangers.

Le velours de France à quatre poils contenant 80 portées d’organsin à deux brins, composé de 6400 fils ; chaque coup de fer contient par conséquent 12800 fils, attendu la jonction des fils sur le même coup, qui se trouvent élevés, de façon qu’a chaque coup de fer il se trouve 25600 brins, lorsque l’organsin est monté à deux bouts ou brins.

Les velours d’Italie de même à quatre poils contiennent après la coupe 12800 fils ; mais l’organsin étant à trois brins, cette quantité compose un total de 38400 brins : ce qui fait une différence de 12800 brins de plus que ceux de France, à quoi il faut ajouter encore que les velours d’Italie étant plus étroits d’un pouce que ceux de France, il n’est pas difficile de croire qu’ayant plus de couverture (c’est le terme), & étant plus garnis, ils ne soient plus parfaits. C’est pour cela que les velours de France ne paroissent pas aussi garnis, quant à ceux en couleur, que ceux d’Italie, ni aussi beaux quant à ceux qui sont noirs. La raison de cette différence n’est autre que celle de la quantité supérieure des brins qui forment le velours, laquelle étant tirée d’un organsin plus tendre & plus fin, reçoit plus facilement les impressions de la belle teinture, puisque les organsins qui sont employés dans les poils des velours d’Italie, sont infiniment plus légers que ceux qu’on emploie en France.

A la qualité plus belle d’organsin il faut encore ajouter la façon de teindre les soies pour les velours & autres étoffes, dont les étrangers se servent pour les noirs.

C’est un usage établi principalement à Gènes, Florence, Naples, &c. que les teinturiers de soie ne peuvent teindre chez eux ou dans leurs ouvroirs, aucune soie en noir ; ils ont seulement la liberté de les faire cuire, de les engaler, & enfin de leur donner toutes les préparations usitées pour les passer sur les bains, cuves ou piés de noirs ; les vaisseaux destinés pour leur donner cette couleur, sont dans des lieux qui appartiennent aux villes où ces opérations sont en pratique ; on les nomme ordinairement seraglio. Ces vaisseaux ou cuves sont entretenus aux dépens de la ville, & l’endroit ou le lieu où ils sont placés, n’est ouvert qu’une fois par semaine, & dans un jour régulierement fixé. Les teinturiers instruits du jour de l’ouverture du seraglio, tiennent leurs soies préparées pour les passer sur les cuves ou bains, & payent une rétribution fixée pour chaque livre de soie qu’ils passent. Cette rétribution sert à l’entretien des cuves, & lorsqu’il arrive que l’entretien est au-dessus de la rétribution ordonnée, la ville fait le surplus des frais ; & dans le cas où la rétribution ordonnée excede la dépense (ce qui arrive rarement), le bénéfice demeure à la ville ; c’est à la fin de chaque année que cette vérification est faite.

Cette façon de tenir les cuves ou bains de noir dans des lieux cachés est tellement nécessaire, qu’il n’est pas un teinturier qui ne sache qu’ils sont extrèmement délicats, & que peu de chose peut les troubler, même que l’entrée du seraglio est interdite à toutes les femmes, crainte de bouleversement dans des tems critiques de la part de ce sexe. Une raison plus importante encore donne lieu à cet usage, parce qu’il est peu de personnes qui ne sachent que plus un

bain de noir est vieux, meilleur il est : ce qui fait qu’il se trouve des cuves dans les seraglio qui sont posées depuis quatre cens années & plus ; ces cuves d’ailleurs sont presque toutes de cuivre ; il y en a quelques-unes de fer : cette matiere soit cuivre, soit fer, contribue à la bonté du noir, puisque l’une & l’autre ne peuvent produire dans l’humide que du verd-de-gris ou de la rouille, que le verd de-gris ou verdet forme une partie de la composition du noir, & que la rouille ne sauroit produire d’autre effet que celui de faire mordre la couleur à la matiere préparée pour la recevoir.

Tout ce qui vient d’être dit touchant la matiere qui entre dans la composition du velours uni, doit faire connoître qu’il n’est pas possible que tous les velours, principalement les noirs, ne soient plus beaux que ceux qui se font en France ; il ne reste plus à démontrer que l’imperfection qui se trouve dans la main-d’œuvre de ceux qui se font à Lyon, bien différente de ceux d’Italie ; ce qui occasionne des défauts si sensibles, qu’il n’est pas besoin d’être fabriquant pour les concevoir.

Tous les velours de Lyon étoient fabriqués anciennement avec des peignes composés de dents tirées du dos ou écorce de roseaux, ce qui a fait donner le nom de rot aux peignes dont on se sort dans les manufactures de draperie & toilerie. Depuis 25 années environ, on ne se sert que de peignes composés de dents de fer qui sont polies & disposées de façon que l’étoffe puisse être fabriquée comme il faut, & que la dent ne coupe pas le fil de la chaîne ; ces peignes qui sont communément appellés peignes d’acier, sont excellens pour les étoffes riches ; mais ils ne valent rien pour le velours ni aucune autre étoffe unie ; ils occasionnent trois défauts essentiels auxquels il n’est pas possible de parer ; peut-être même que les fabricateurs du réglement de 1744 ne les ont pas mieux prévus que ceux qu’entraîne après soi l’éxécution de l’article 7 du titre 8. Il faut en donner l’explication.

Le premier défaut du peigne d’acier dans le velours uni, est que la dent du peigne ayant plus de consistance, & étant plus dure que celle du roseau, il n’est pas possible que le mouvement continuel du battant qui se fait tantôt en avant, tantôt en arriere, afin de serrer la trame, & faire dresser le fer, ne lisse & racle le poil, & ne détache une partie du noir qui couvre le fil, lequel n’est pas déjà assez beau, & qui par ce moyen devenant plus luisant, lui fait perdre une partie de la couleur foncée que le teinturier lui a donnée ; ce qui ne sçauroit arriver avec une dent aussi douce que celle du roseau.

Le second défaut, aussi essentiel que le premier, est qu’étant moralement impossible de faire un peigne avec cette égalité qu’exige un ouvrage de cette espece, sur-tout dans l’arrangement des dents, cette inégalité forme des rayeures dans le velours, auxquelles il est impossible de parer, & qui ne se trouvent pas, quand on se sert de peignes de roseau. La raison en est sensible ; l’inégalité de la dent du peigne d’acier cause une semblable inégalité dans l’étoffe fabriquée, parce que la dent d’acier ayant plus de force & de consistance que celle de roseau, en vain donne-t-on une certaine extension à la chaîne qui fait la toile, elle ne sçauroit ranger la dent trop serrée sur celle qui ne l’est pas autant ; au lieu que la dent de roseau étant plus flexible, cette même extension de la chaîne la range dans sa juste place ; & il s’ensuit de-là que la dent d’acier conduit la chaîne, & que celle de roseau est conduite par cette même chaîne, ce qui est un des plus grands avantages, parce que dans toutes les étoffes unies la chaîne doit commander à la dent pour qu’elles soient parfaites ; au lieu que dans le cas où la dent commande