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Mais pour bien entendre ceci, il faut savoir ce que c’est qu’une lisse.

Il faut distinguer dans la lisse plusieurs parties : les premieres sont deux petits morceaux de bois plats, d’environ un pouce & demi de largeur, sur quatre à cinq lignes d’épaisseur.

Ces petits morceaux sont façonnés en queue d’aronde à leur extrémité, & percés selon leur épaisseur d’un trou à chaque extrémité, à quelque distance de la queue d’aronde : on appelle ces petits morceaux de bois lisserons : il y a deux lisserons à chaque lisses.

On a ensuite une ficelle assez longue pour aller d’un bout à l’autre du lisseron, & pour pouvoir s’attacher fermement aux trous des deux queues d’aronde du lisseron, & se tenir couchée sur l’épaisseur du lisseron : on prend sur cette ficelle une distance égale à celle de l’intervalle des deux trous qui traversent l’épaisseur du lisseron, ou même égale à la distance entiere du lisseron, excepté les queues d’aronde.

On fixe sur cette partie de la ficelle des bouts de fils pliés en deux, & formant une boucle : on a dans cet intervalle au-moins autant de boucles qu’il y a d’unités au quotient du nombre des fils de la chaîne & de la lisiere, divisés par le nombre des lisses de pieces : car les lisses de pieces augmentent ou diminuent en nombre, selon la qualité de l’étoffe que l’on veut travailler ; cette ficelle armée de ses morceaux de fils formant des boucles qui feront partie de ce qu’on appelle mailles de lisses, s’appelle la cristelle.

L’autre lisseron a sa queue d’aronde, sa cristelle, ses boucles, comme celui qui se vient de décrire, mais il faut observer que quand on a armé la cristelle de ses boucles, il a fallu les passer dans les boucles de l’autre ; ce sont ces boucles passées l’une dans l’autre, qui forment ce qu’on appelle la maille de lisse.

Les deux lisserons, les deux cristelles, avec les mailles de lisses, font ce qu’on appelle une lisse.

Lorsque les cristelles sont faites, on les finit sur l’épaisseur des lisserons, en passant le lisseron sous la cristelle, pour le lisseron d’en-haut, & sur la cristelle pour celui d’en-bas, & attachant ensuite ces cristelles aux queues d’aronde des lisserons.

Quand on a les lisses, on prend les nœuds coulans qui descendent des aleirons, on les passe dans les trous percés dans l’épaisseur des lisserons, & on fait un nœud qui les empêche d’en sortir, & les lisses sont suspendues.

On commence par suspendre les lisses de pieces. Il doit y avoir dans l’exemple que nous avons choisi, cinq lisses de pieces ; & puisqu’il y a quatre-vingt fils de lisiere, & douze cens fils de chaîne, il faut diviser mille deux cens quatre-vingt par cinq, pour savoir combien il doit y avoir de mailles de lisses à chaque lisse : or mille deux cent quatre-vingt, divisé par cinq, donne deux cens cinquante-six, c’est-à-dire qu’il doit y avoir à chaque lisse de chaîne, deux cens cinquante-six mailles.

L’assemblage des cinq lisses de pieces, s’appelle remisse.

Dans les métiers montés comme il faut, on ne met point d’arbalête au lisseron d’en-bas, on y attache seulement à deux pouces de distance, un autre lisseron beaucoup plus court, auquel on donne le nom de faux lisseron, lequel est percé dans le milieu du dos, de la quantité de trous nécessaires pour la quantité d’estrivieres, dont chacune est passée dans un trou du faux lisseron. Cette façon de placer les estrivieres, rend la marche plus douce, & use moins de cordes.

On passe par les trous des lisserons d’en bas des lisses, de petites ficelles qu’on appelle arbalêtes, parce qu’en effet elles font avec le lisseron, la figure d’une arbalête dont la corde seroit tournée vers le manche ; on attache à chaque arbalête une ficelle qui va trou-

ver une marche à laquelle elle s’attache, & qu’elle

tient suspendue ; cette ficelle s’appelle estriviere.

D’où l’on voit qu’en appuyant le pié sur la marche ; on tire l’estriviere qui tire l’arbalête, l’arbalête tire le lisseron, le lisseron tire la lisse, la lisse tire les nœuds coulans qui font descendre les extrémité des aleirons, qui font lever leur autre extrémité, & monter les carreaux qui remettent la lisse dans son premier état, si on ôte le pié de dessus la marche.

Lorsque les cinq lisses de pieces sont suspendues, il s’agit de distribuer entr’elles les fils de poils ou de roquetins, & les fils de chaîne, de lisiere, ou de piece.

La lisiere ne se passe ordinairement que quand les autres fils sont passés.

Voici comment on s’y prend.

On commence par les fils de chaînes ou de pieces, ou plutôt par ceux de lisiere.

Afin de les passer plus commodément, & les prendre bien dans l’ordre qu’ils doivent être pris, il faut faire passer l’envergure au-delà du corps.

Voici comment on s’y prend. On approche le plus près du corps que l’on peut, les deux verges ; puis on passe sa main le long de la verge la plus proche du corps ; on écarte le plus que l’on peut les deux parties de la chaîne, de maniere qu’elles paroissent séparées au-delà du corps ; alors on insere la main gauche entre elles, observant bien de ne pas laisser à l’une un fil qui appartienne à l’autre, & de la gauche on tire la verge la plus voisine du corps, & on la met à la place de la main droite : cela fait, on presse le plus qu’on peut vers le corps, celle qui reste, & l’on éloigne le plus qu’on peut celle qu’on a déplacée ; il arrive de là que l’endroit où les fils se croisent, s’avance au-delà du corps ; lorsqu’on s’en apperçoit, on insere la main droite entre les côtés des angles opposés au sommet, on tire de la gauche l’autre verge, & l’on la substitue à la main droite. Il est évident qu’en s’y prenant ainsi, l’envergure se trouve entre le corps & les lisses.

Cela fait, on continue l’opération à deux, un des ouvriers se place à côté des lisses, l’un est placé derriere les lisses à côté de l’envergure, l’autre est placé devant.

Les berlins de la chaîne sont attachés l’un après l’autre à une corde qui prenant à un pié de devant d’un côté, vient s’attacher à un pié de devant de l’autre, & forme une espece d’arc ; l’autre est placé vis-à-vis de lui, il prend les berlins de la chaîne & de la lisiere, & il commence par séparer un fil de lisiere à l’aide de l’envergure ; il le tire ensuite du berlin, & le présente au premier qui le prend & le passe dans la premiere maille de la lisse la plus voisine des lisses de poils ; pour la passer, voici ce qu’il fait.

On sait que cette maille est composée de deux boucles qui se coupent à angles droits ; or il prend la boucle d’en bas, il y passe les doigts de la main gauche, en écarte les fils, l’éleve un peu au-dessus de l’extrémité de la boucle d’en-haut, dont il écarte pareillement les fils qui la forment, en avançant les mêmes doigts & s’aidant de la droite, & il se fait une ouverture entre ces fils, dans laquelle il passe le fil de lisiere qui lui est présenté, puis il retire ses doigts, les boucles qui forment la maille se rapprochent par le poids des lisserons & des marches ; il ne faut point de marches quand on remet, elles embarrasseroient & chargeroient trop les lisses ; le fil de lisiere se trouve pris entre les boucles ou dans la maille, & ne peut plus ni descendre ni baisser, sans que la lisse descende ou baisse, quoiqu’il puisse fort bien glisser horisontalement.

Ce fil passé, l’ouvrier qui l’a passé le met derriere la navette attaché à la tringle qui est placée à sa gau-