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Cela fait, on peut tirer la tringle de bois attachée aux estases, & qui soutenoit les mailles de corps ; elles tiennent maintenant aux arcades, les arcades aux ficelles du rame, & les cordes du rame au bâton de rame, le bâton de rame aux cramailleres, & les cramailleres à leur bâton, leur bâton à deux cordes, & ces cordes à un point fixe.

Il faut observer qu’en attachant les mailles de corps aux arcades, & les arcades aux cordes de rames, on a fait d’abord des boucles & non des nœuds, afin de pouvoir mettre toutes les ficelles de longueur convenable, tenir les maillons à-peu-près de niveau les uns aux autres, partant les nœuds des mailles de corps tous dans un même plan horisontal, de même que les nœuds des arcades & des cordes de rame.

C’est ici le lieu d’apprendre à faire un nœud fort commode, à l’aide duquel sans rien dénouer en tirant l’un ou l’autre des côtés du nœud, on fait descendre ou monter un objet. Voici comment on s’y prendra : prenez un bout de ficelle de telle longueur qu’il vous plaira ; attachez-en un bout à un objet fixe ; faites une boucle à un pouce de cet objet ; que cette boucle ne soit ni grande ni petite ; prenez le bout qui reste de la ficelle après la boucle faite ; passez-le dans la boucle, en sorte que cela forme une seconde boucle : prenez l’extrémité du bout passé dans la premiere boucle ; passez ce bout dans la seconde boucle, de maniere que vous en ayez même une troisieme ; vous arrêterez cette troisieme boucle, en nouant le bout de la ficelle, avec la partie qui forme la troisieme boucle, & laissant subsister cette troisieme boucle.

Cela fait, on prend l’ensuple de derriere sur laquelle est disposée la soie croisée sur le dévidoir, & tenue croisée par le moyen d’un petit cordon de soie dont on passe un des bouts le long des angles que font les fils croisés, ramenant le même bout le long des autres angles opposés au sommet des mêmes fils croisés, & nouant ensuite les deux bouts ensemble.

L’ensuple de derriere est un rouleau de bois auquel on a pratiqué à chaque extrémité, une moulure dans laquelle s’applique les deux tasseaux échancrés attachés aux piliers de derriere du métier. On dispose la soie sur l’ensuple, en la faisant passer à-travers un rateau ou une espece de peigne : au sortir des dents du peigne, on prend les bouts de soie ; on a deux petites baguettes rondes, entre lesquelles on les serre ; on enveloppe d’un tour ou deux ces baguettes avec la soie ; il y a une rainure dans l’ensuple ; on enferme ces deux baguettes dans la rainure ; on continue d’envelopper ensuite la soie sur l’ensuple, à mesure qu’elle sort du peigne, jusqu’à ce qu’on soit à la fin.

C’est dans cet état qu’est l’ensuple, lorsqu’on la met sur les tasseaux échancrés.

Pour achever le montage du métier.

On est deux : l’un entre le corps de mailles & l’ensuple de derriere, & l’autre entre l’ensuple de devant ou les deux piliers de devant, & le corps.

On commence par substituer des enverjures à la ficelle, qui passoit par les angles opposés au sommet formé par les fils.

Ces enverjures sont des bâtons percés par leur longueur ; lorsqu’ils sont à la place du cordon, & qu’ils tiennent les fils de soie croisés, on les arrête chacun d’un petit cordon de soie qu’on noue, afin que s’ils venoient à s’échapper d’entre les soies, elles ne se mêlassent point, mais qu’on pût toujours replacer les bâtons, les séparer, & les tenir croisés.

Cela fait, celui qui est entre l’ensuple de derriere & les mailles de corps, divise les fils de soie par berlins qu’il tient de la main gauche ; de la droite, il sé-

pare les fils avec le doigt par le moyen des enverjures.

Pour concevoir cette séparation, imaginez deux fils croisés & formant deux angles opposés au sommet où ils sont appliqués l’un contre l’autre. Il est évident que si ces deux fils sont tenus croisés par deux bâtons passés entre les deux côtés d’un angle d’un côté, & les deux côtés d’un angle de l’autre, le sommet de l’angle se trouvera entre les bâtons ; de plus que si la partie d’un des fils qui forme un côté d’un des angles, passe dessus un des bâtons, la partie qui forme le côté de l’autre angle passera dessous, & qu’en supposant que la partie du fil que l’ouvrier a de son côté qui forme le côté de l’angle qui est à gauche, passe sous le bâton qui est à gauche, l’autre passera dessous le bâton qui est à droite, & qu’en pressant du doigt cette derniere partie, on séparera très-distinctement un des fils de l’autre ; & que s’il y en avoit un troisieme qui croisât le dernier, c’est-à-dire, dont la partie qui fait le côté de l’angle qui est à gauche, passât sur le bâton, & l’autre dessous, en pressant du doigt la premiere partie de ce fil, on la feroit sortir ou l’écarteroit du second fil.

Il est encore évident qu’on fait sortir de cette maniere les fils les uns après les autres, selon leur vraie disposition, & que s’il en manquoit un qui se fût rompu, on connoîtroit toujours sa place.

Car il faut pour faire sortir les fils presser du doigt alternativement la partie de fils qui passent dessus & qui passent dessous les bâtons ; au lieu que s’il manquoit un fil, il faudroit presser deux fois du même côté. S’il manquoit un fil, il s’en trouveroit deux sur une même verge ; ce qui s’appelle en terme de l’art soraire.

L’ouvrier qui tient la chaîne de la main gauche, sépare les fils les uns après les autres, par le moyen de leur encroisement & des enverjures, avec l’un des doigts de la droite ; observant bien de ne pas prendre un brin pour un fil, cela est fort facile.

Comme il y a beaucoup plus de fils à la chaîne que de fils de poil ou de roquetins, ou de mailles de corps, & que l’opération que je décris consiste à distribuer également tous les fils de la chaîne entre les mailles de corps, il est évident qu’il passera entre chaque maille de corps un nombre plus ou moins grands de fils de chaîne, qu’il y aura moins de roquetins & plus de fils de chaîne.

Ici nous avons supposé deux cens roquetins, & par conséquent deux cens mailles de corps ; nous allons maintenant supposer douze cens fils à la chaîne, sans compter ceux de la lisiere qu’on fait ordinairement d’une autre couleur. Pour savoir combien il faut placer de fils de chaîne entre chaque fil de roquetin ou maille de corps, il n’y a qu’à diviser le nombre des fils de chaîne par celui des mailles de corps, & dire par conséquent ici, en 1200 combien de fois 200, ou en 12 combien de fois deux ; on trouve 6, c’est-à-dire, qu’il faut distribuer entre chaque maille de corps, six fils de chaîne.

Mais en distribuant entre chaque maille de corps six fils de chaîne, il y aura une maille de corps qui se trouvera libre, que la chaîne n’embrassera pas ; mais la chaîne faisant le fond de l’étoffe, & les mailles de corps ne servant qu’au mouvement des fils de roquetins qui sont destinés à figurer sur le fond de l’étoffe ; il faut que tous ces fils de roquetins soient embrassés par les fils de chaîne.

Comment donc faire ? car voici deux conditions qui semblent se contredire ; l’une que les mailles de corps soient toutes prises dans la chaîne, & l’autre que la chaîne soit également distribuée entre les mailles de corps.

Voici comment on s’y prend. Par exemple dans le cas présent on commence par mettre trois fils de chaine sur la premiere maille de corps, ou hors du corps,