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Temple, (terme de Tisserand.) ce sont deux barres de bois attachées l’une à l’autre par une ficelle, & dont les extrémités sont garnies de petites pointes de fer. On accroche les deux bouts du temple aux deux lisieres de la toile auprès de l’endroit que l’ouvrier travaille. Le temple est garni dans le milieu de petits crans, pour pouvoir en éloigner ou écarter les deux barres, selon la largeur de la toile. Il a outre cela une espece d’anneau de cuir mobile, appellé le cuiret, pour embrasser les deux barres à-la-fois & les empêcher de s’écarter.

TEMPLET, s. m. (terme de Relieurs.) sorte de petite tringle, ou de bâton quarré, qu’on leve du cousoir, & dont on se sert pour tenir les chevillettes, quand on coud quelques livres. (D. J.)

TEMPLIER, s. m. (Hist. des ordr. relig. & milit.) chevalier de la milice du temple.

L’ordre des Templiers est le premier de tous les ordres militaires religieux ; il commença vers l’an 1118 à Jérusalem. Hugues de Paganès & Geoffroi de Saint-Ademar en sont les fondateurs. Ils se réunirent avec sept autres personnes pour la défense du saint sépulcre, & pour la protection des pélerins qui y abordoient de toutes parts. Baudoüin II. roi de Jérusalem, leur préta une maison située auprès de l’église de Jérusalem, qu’on disoit avoir été autrefois le temple de Salomon ; c’est de-là qu’ils eurent le nom de Templiers ou de chevaliers de la milice du temple ; de-là vint aussi qu’on donna dans la suite le nom de temples à toutes leurs maisons.

Les chevaliers de cet ordre furent d’abord nommés à cause de leur indigence, les pauvres de la sainte cité ; & comme ils ne vivoient que d’aumônes, le roi de Jérusalem, les prélats & les grands leur donnerent à l’envi des biens considérables, les uns pour un tems, & les autres à perpétuité.

Les neuf premiers chevaliers de cet ordre firent ensemble les trois vœux de religion entre les mains du patriarche de Jérusalem ; j’entends par les trois vœux de religion, ceux de pauvreté, de chasteté & d’obéissance, auxquels ils ajouterent un quatrieme vœu, par lequel ils s’engageoient de défendre les pélerins, & de tenir les chemins libres pour ceux qui entreprendroient le voyage de la terre-sainte. Mais ils n’agregerent personne à leur société qu’en 1125, où ils reçurent leur regle de saint Bernard après le concile tenu à Troies en Champagne par l’évêque d’Albe, légat du pape Honorius II. Ce concile ordonna qu’ils porteroient l’habit blanc ; & en 1146 Eugene III. y ajouta une croix sur leurs manteaux.

Les principaux articles de leur regle portoient, qu’ils entendroient tous les jours l’office divin ; que quand leur service militaire les en empêcheroit, ils y suppléeroient par un certain nombre de pater ; qu’ils feroient maigre quatre jours de la semaine, & le vendredi en viande de carême ; c’est-à-dire, sans œufs ni laitage ; que chaque chevalier pourroit avoir trois chevaux & un écuyer ; & qu’ils ne chasseroient ni à l’oiseau ni autrement.

Après la ruine du royaume de Jérusalem arrivée l’an 1186, l’ordre des Templiers se répandit dans tous les états de l’Europe, s’accrut extraordinairement, & s’enrichit par les libéralités des grands & des petits.

Matthieu Paris assure que dans le tems de l’extinction de leur ordre en 1312, c’est-à-dire, en moins de deux cens ans, les Templiers avoient dans l’Europe neuf mille couvens ou seigneuries. De si grands biens exciterent l’envie, parce que les Templiers vivoient avec tout l’orgueil que donne l’opulence & dans les plaisirs effrenés que prennent les gens de guerre qui ne sont point retenus par le frein du mariage. Ils refuserent de se soumettre au patriarche de Jérusalem, & montrerent dans leur

conduite beaucoup de traits d’arrogance. Enfin ils devinrent odieux à Philippe-le-bel qui entreprit de ruiner leur ordre, & exécuta ce dessein. Voici ce qu’en a écrit l’auteur de l’Essai sur l’histoire générale des nations, dont les recherches sur cette matiere, méritent d’être recueillies dans cet ouvrage.

La rigueur des impôts, dit-il, & la malversation du conseil de Philippe-le-bel dans les monnoies, excita une sédition dans Paris en 1306. Les Templiers qui avoient en garde le trésor du roi, furent accusés d’avoir eu part à la mutinerie.

De plus, ce prince les accusoit d’avoir envoyé des secours d’argent à Boniface VIII. pendant ses différens avec ce pape, & de tenir en toute occasion des discours séditieux sur sa conduite & sur celle de ses deux favoris, Enguerrand de Marigny, surintendant des finances, & Etienne Barbette, prevôt de Paris & maître des monnoies.

Philippe-le-bel étoit vindicatif, fier, avide, prodigue, & s’abusant toujours sur les moyens que ses ministres employoient pour lui trouver de l’argent. Il ne fut pas difficile de lui faire goûter le projet d’une vengeance qui mettroit dans ses coffres la dépouille des Juifs & une partie des richesses que les Templiers avoient en partage. Il ne s’agissoit plus que de trouver des accusateurs, & l’on en avoit en main.

Les deux premiers qui se présenterent, furent, un bourgeois de Bésiers, prieur de Montfaucon près Toulouse, nommé Squin de Floriau, & Noffodei, florentin, Templiers apostats, détenus tous deux en prison pour leurs crimes. Ils demanderent à être conduits devant le roi à qui seul ils vouloient révéler des choses importantes. S’ils n’avoient pas su quelle étoit l’indignation du roi contre les Templiers, auroient-ils espéré leur grace en les accusant ? Ils furent écoutés. Le roi, sur leur déposition, ordonna à tous les baillis du royaume, à tous les officiers, de prendre main-forte ; leur envoie un ordre cacheté, avec défense, sous peine de la vie, de l’ouvrir avant le 13 Octobre 1309. Ce jour venu, chacun ouvre son ordre : il portoit de mettre en prison tous les Templiers. Tous sont arrêtés. Le roi aussi-tôt fait saisir en son nom les biens des chevaliers, jusqu’à ce qu’on en dispose.

Il paroit évident que leur perte étoit résolue très long-tems avant cet éclat : l’accusation & l’emprisonnement sont de 1309 ; mais on a retrouvé des lettres de Philippe-le-Bel au comte de Flandre, datées de Melun 1306, par lesquelles il le prioit de se joindre à lui pour extirper les Templiers.

Il falloit juger ce prodigieux nombre d’accusés. Le pape Clément V. créature de Philippe, & qui demeuroit alors à Poitiers, se joint à lui ; après quelques disputes sur le droit qu’avoit l’Eglise d’exterminer ces religieux, & le droit du roi de punir ses sujets, le pape interrogea lui-même soixante & douze chevaliers ; des inquisiteurs, des commissaires délégués procéderent par-tout contre les autres. Les bulles furent envoyées chez tous les potentats de l’Europe pour les exciter à imiter la France. On s’y conforma en Castille, en Arragon, en Sicile, en Angleterre ; mais ce ne fut presque qu’en France qu’on fit périr ces malheureux.

Deux cens & un témoins les accuserent de renier J. C. en entrant dans l’ordre, de cracher sur la croix, d’adorer une tête dorée montée sur quatre piés. Le novice baisoit le profès qui le recevoit, à la bouche, au nombril, & à des parties qui certainement ne sont pas destinées à cet usage : il juroit de s’abandonner à ses confreres. Voilà, disent les informations conservées jusqu’à nos jours, ce qu’avouerent soixante & douze templiers au pape même, & cent quarante-un de ces accusés à Guillaume Cordelier, inquisiteur