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ou des os pénétrés d’une dissolution cuivreuse. La vraie turquoise paroît, à la couleur près, être de la même nature que la malachite, qui est une pierre verte. Voyez l’article Malachite.

La pierre que nous nommons turquoise, étoit connue des anciens sous le nom de calaïs ou callaïs. Quelques-uns croient que Pline a voulu la désigner sous le nom de boreas, dont il dit que la couleur étoit semblable à celle du ciel du matin en automne ; les Grecs l’ont appellé ἴασπις ἀερίζουσα. (—)

La turquoise n’entroit point dans le rational du grand-prêtre des juifs, quoique la paraphrase chaldaïque ait rendu le terme hébreu de l’Ecriture par celui de turkaia, qui approche fort de notre mot françois.

Cette pierre est regardée comme la premiere des pierres opaques ; sa couleur est bleue, mais d’un bleu qui tire sur le verd-de-gris en masse, & qui ne doit pas ressembler au bleu d’empois, comme disent les Jouaillers. Sa dureté égale à peine celle des crystaux ou celle des cailloux transparens ; mais il y en a de bien plus tendresses unes que les autres ; les plus dures, toutes choses d’ailleurs égales, sont les plus belles, & cela parce que la vivacité du poli est dans toutes les pierres proportionnée à la dureté.

Cependant celles d’une belle couleur, d’un poli vif, qui n’ont sur leur surface ni filets, ni raies, ni inégalités, & qui pesent plusieurs karats, sont très-cheres. Rosnel, jouaillier, auteur d’un traité sur les pierres précieuses, à présent assez rare, apprécie les turquoises (qui rassemblent les qualités que nous venons de rapporter) sur le pié des éméraudes, c’est-à-dire presque autant que le diamant. Il est vrai qu’il est rare de trouver de ces pierres d’une grosseur un peu considérable sans défauts, & les défauts diminuent bien leur valeur ; le même Rosnel, qui a mis les parfaites à un si haut prix, n’estime qu’un écu (c’est-à-dire environ 6 liv. 12 sols de notre monnoie d’aujourd’hui) le karat de celles qui pesent peu, & qui pechent encore par quelqu’autre endroit.

Il n’est pas trop aisé de décider sous quel nom les anciens ont parlé de la turquoise ; ils ont caractérisé la plûpart des pierres d’une façon qu’il n’est pas possible de les reconnoître. Plusieurs modernes ne travaillent pas mieux pour la postérité : ne seroit-elle pas embarrassée de savoir quelle est la pierre que nous appellons aujourd’hui turquoise, quand elle trouvera dans Berqueu, jouailler de profession, qui par conséquent devoit avoir manié bien des turquoises en sa vie, que cette pierre est transparente, & qu’elle ne tient son opacité que du chaton dans lequel elle est sertie ? Cependant si quelque pierre est opaque, celle-ci l’est assûrément : les morceaux les plus minces qui sont à peine d’une demi-ligne d’épaisseur, considérés vis à-vis le grand jour, n’ont aucune transparence. Je ne sai s’il est vrai que la turquoise des modernes soit la calaïs des anciens, cela me paroît fort douteux, parce que Pline dit expressément que la calaïs étoit verte.

Tavernier nous assûre qu’il n’y a d’autres turquoises orientales que celles de Perse, dont il distingue deux mines, l’une appellée la vieille roche, près du bourg qu’il nomme Nécabourg ; l’autre que l’on distingue par le nom de nouvelle roche, en est à cinq journées, & ces dernieres sont peu estimées. Le chevalier Chardin qui a fait un long séjour en Perse, confirme la relation du baron d’Aubonne, & distingue, comme lui, les deux sortes de turquoises persanes de la vieille roche & la nouvelle ; il ajoute que la vieille se tire des mines de Nicapour (que Tavernier nomme mal Nécabourg) & de Carasson, dans une montagne entre l’Hyrcanie & la Parthide, à quatre journées de la mer Caspienne. La nouvelle roche qui n’a été découverte que bien des siecles après la vieille,

n’est point estimée des Persans, à cause que la couleur de la pierre n’est pas durable.

Toute la vieille roche se réserve pour le roi qui garde les plus belles, & vend ou échange les moindres. Cependant il n’est pas si difficile d’en avoir, parce que les ouvriers qui travaillent aux mines & les officiers qui y commandent pour le prince, en détournent souvent des plus belles, que, pour n’être pas découverts, ils ne vendent guere qu’aux marchands étrangers.

Il est cependant fort rare que nous voyions de vraies turquoises persanes un peu grosses ; de-là vient qu’on regarde comme une chose très-singuliere dans son genre celle qui étoit exposée dans la galerie du grand-duc de Toscane, & dont un ancien graveur fit un buste ; elle avoit près de trois pouces de haut ; tous les auteurs qui ont traité des pierres précieuses en ont parlé, & M. Mariette en a donné une description très-détaillée. Ainsi je crois que la topase de M. Mortimer n’étoit point une topase persane de la vieille roche.

Quoi qu’il en soit, la turquoise sort d’entre les mains de la nature, à-peu-près comme l’opale ; mais elle est tout-à-fait opaque, & il faut qu’elle soit taillée & polie par l’art, si on veut qu’elle soit également luisante dans toute sa superficie, & qu’elle acquiere une forme réguliere ; la plus naturelle, & celle qu’on lui donne, est la forme ronde ou ovale, en cabochon.

Les plus belles turquoises sont les plus saillantes, & celles qui étant les mieux conformées sont en même tems teintes d’un beau bleu céleste, sans aucun mélange de blanc. Les turquoises européennes, & en particulier celles qu’on trouve en France, dans le Belay & autres endroits du Languedoc, sont blanchâtres, & d’ordinaire traversées par des veines comme l’ivoire ; aussi nos turquoises ne sont d’aucun prix, & M. de Réaumur ne les a pas remises en valeur, malgré tous les efforts qu’il a faits pour y parvenir ; les turquoises de Perse ne sont point des os d’animaux auxquelles le feu donne la couleur bleue, ce sont des vraies pierres précieuses d’une nature très-différente & d’une toute autre origine.

On dit qu’avec le tems la turquoise perd sa couleur, & l’on marque outre cela certaines circonstances, dans lesquelles on a vu des turquoises changer subitement de couleur. On assûre encore qu’elles verdissent en vieillissant : cette opinion passe pour constante dans l’esprit de beaucoup de personnes, & M. de Réaumur lui-même s’en est déclaré le défenseur ; mais d’autres physiciens moins faciles à persuader regardent cette idée comme une fable, d’autant plus que ce changement de couleur seroit une singularité unique, puisque les autres pierres précieuses sont d’une couleur inaltérable. Selon ce dernier système, les turquoises qui sont verdâtres n’ont jamais cessé de l’être, c’étoit une imperfection de la pierre.

Il est certain que le merveilleux, dont on a chargé les récits des transmutations de couleurs de la turquoise, a dû véritablement choquer les amateurs de la vérité ; mais d’un autre côté, ils auroient tort de douter qu’il n’y ait des turquoises qui changent de couleur, & ce sont les turquoises européennes. On ne peut nier qu’il n’y ait des turquoises qui naissent verdâtres, mais toutes celles qui ont actuellement cette couleur ne l’ont pas toujours eue ; c’est une maladie qui attaque tantôt plutôt, tantôt plus tard, nos turquoises occidentales ; on en voit assez fréquemment, qui, après avoir conservé pendant assez longtems leur couleur bleue, commencent insensiblement à tirer au verd : presque toujours le mal se manifeste par un point qui se fait appercevoir, ou dans la partie la plus éminente de la pierre, ou sur un des bords ; cet endroit affecté devient terne & pâlit, peu-à-peu