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lequel, pour tous ceux qui naissoient à Rome, qui y mouroient, ou qui y prenoient la toge virile, on devoit porter une piece de monnoie.

La même déesse avoit, sous le nom de Juga ou de Pronuba, selon Virgile, un autel dans la rue appellée Jugaria, & un autre autel sous le nom de Licinia. Pline observe qu’elle avoit un temple orné de peintures, sous le nom de Junon Ardia. Le temple de Junon Matuta est connu des antiquaires ; celui de Junon Moneta l’est encore davantage, parce qu’elle est représentée sur les médailles avec les instrumens de la monnoie.

Tite-Live, l. IV. nous apprend que, sous le nom de Lacinia, elle avoit un temple sur ce promontoire d’Italie, & que ce temple n’étoit pas moins respectable par sa sainteté, que célebre par les riches présens dont il étoit orné : Inclytumque templum divitiis etiam, non tantum sanctitate suâ. (D. J.)

Temples de Jupiter, (Antiq. greq. & rom.) entre les temples que toute l’antiquité païenne éleva dans le monde en l’honneur du maître des dieux, sideream mundi qui temperabat arcem, je dois au-moins décrire les deux plus beaux, je veux dire celui de Jupiter olympien à Athènes, & celui de Jupiter capitolin à Rome.

Le premier, selon Pausanias, in eliac, étoit le fruit des dépouilles que les Eléens avoient remportées sur les Pisans lorsqu’ils saccagerent la ville de Pise. Ce temple, dont Libon originaire du pays avoit été l’architecte, étoit d’ordre dorique & tout environné de colonnes par-dehors, ensorte que la place où il étoit bâti formoit un superbe péristyle. On avoit employé à cet édifice des pierres d’une nature & d’une beauté singuliere.

La hauteur de ce temple, depuis le rez-de-chaussée jusqu’à sa couverture, étoit de soixante & huit piés, sa largeur de quatre-vingt-quinze, & sa longueur de deux cens trente. La couverture étoit d’un beau marbre tiré du mont Pentélique & taillé en tuiles. Du milieu de la voûte pendoit une victoire de bronze doré, & au-dessous de cette statue étoit un bouclier d’or, sur lequel on voyoit la tête de Méduse ; aux deux extrémités de la même voûte étoient aussi suspendues deux chaudieres dorées. Par-dehors, au-dessus des colonnes, regnoit au-tour du temple un cordon auquel étoient attachés vingt-un boucliers dorés, consacrés à Jupiter par Mummius après le sac de Corinthe.

Sur le fronton de devant étoit représenté le combat de Pélops avec Œnomaüs, & Jupiter au milieu. Stérope, une des filles d’Atlas, le char à quatre chevaux, étoient à la droite du dieu ; Pélops, Hippodamie occupoient la gauche. Le fronton de derriere, ouvrage d’Alcamene, le meilleur statuaire de son tems après Phidias, représentoit le combat des Centaures & des Lapithes à l’occasion des noces de Pirithoüs.

Une grande partie des travaux d’Hercule se voyoit sculptée dans l’intérieur de cet édifice ; & sur les portes qui étoient toutes d’airain, on remarquoit entr’autres choses la chasse du sanglier d’Erymanthe, & les exploits du même Hercule contre Diomede, roi de Thrace, contre Géryon, &c. Il y avoit deux rangs de colonnes qui soutenoient deux galeries fort exhaussées, sous lesquelles on passoit pour arriver au trône de Jupiter.

Ce trône & la statue du dieu étoient le chef-d’œuvre de Phidias, & l’antiquité n’offroit rien de plus magnifique. La statue d’une immense hauteur étoit d’or & d’ivoire, si artistement mêlés, qu’on ne pouvoit la regarder sans être frappé d’étonnement. Jupiter portoit sur sa tête une couronne qui imitoit la feuille d’olivier ; il tenoit à sa main droite une victoire, & de la gauche un sceptre d’une extrème délica-

tesse, qui soutenoit une aigle. La chaussure & le

manteau du dieu étoient d’or ; & sur le manteau étoient gravés toutes sortes de fleurs & d’animaux.

Le trône brilloit d’or & de pierres précieuses. L’ivoire, l’ébene, les animaux & plusieurs autres ornemens y faisoient par leur mélange une agréable variété. Aux quatre coins de ce trône étoient quatre victoires, qui sembloient se donner la main pour danser ; les piés du trône, du côté de devant, étoient ornés de sphinx, qui arrachoient de tendres enfans du sein des thébaïdes ; au-dessous on voyoit Apollon & Diane qui tuoient à coups de fleches les enfans de Niobé.

Quatre traverses du même trône, & qui alloient d’un bout à l’autre, étoient ornées d’une infinité de figures d’une extrème beauté ; sur une étoient représentés sept vainqueurs aux jeux olympiques ; on voyoit sur une autre, Hercule prêt à combattre contre les Amazones, & le nombre des combattans de part & d’autre, étoit de vingt-neuf. Outre les piés du trône, il y avoit encore des colonnes qui le soutenoient.

Enfin une grande balustrade, ornée de figures, enfermoit tout l’ouvrage. Panénus, habile peintre de ce tems-là, y avoit représenté avec un art infini, Atlas qui soutient le ciel sur ses épaules, Thésée & Pirithoüis, le combat d’Hercule contre le lion de Némée, l’attentat d’Ajax sur Cassandre, Hippodamie avec sa mere, Prométhée enchaîné, & mille autres sujets de l’histoire fabuleuse. A l’endroit le plus élevé du trône, au-dessus de la tête du dieu, étoient les graces & les heures, les unes & les autres au nombre de trois.

Le piédestal qui soutenoit toute cette masse, étoit aussi orné que le reste. Phidias y avoit gravé sur or, d’un côté le soleil conduisant son char, de l’autre Jupiter & Junon, les graces, Mercure & Vesta. Vénus y paroissoit sortir du sein de la mer, & être reçue par l’Amour, pendant que Pitho, ou la déesse de la persuasion, lui présentoit une couronne. Apollon & Diane n’avoient pas été oubliés sur ce bas-relief, non-plus que Minerve. On remarquoit au bas de ce piédestal, Amphitrite, Neptune, & Diane ou la Lune, qui paroissoit galoper sur un cheval. Enfin, un voile de laine teint en pourpre & brodé magnifiquement, présent du roi Antiochus, pendoit du haut jusqu’en bas.

Je ne dis rien des autres ornemens de ce superbe édifice, ni du pavé qui étoit du plus beau marbre, ni des présens que plusieurs princes y avoient consacrés, ni du nombre infini de statues qui l’embellissoient. On peut sur tout cela consulter Pausanias, ou, si vous l’aimez mieux, les marbres d’Arondel de Prideaux.

C’est assez pour moi de remarquer que ce temple, plus grand qu’aucun dont on ait connoissance, excepté le seul temple de Bélus à Babylone, pouvoit passer pour une des merveilles du monde. Il avoit été entrepris par Pisistrate, & continué par ses enfans Hippias & Hipparque ; mais la grandeur du dessein de ce temple fut cause qu’il demeura imparfait plus de 700 ans, quoique de puissans princes, tels que Persée roi de Macédoine, Antiochus Epiphane roi de Syrie, eussent contribué par des sommes considérables à le finir.

Ce fut l’empereur Adrien qui eut cette gloire. Il lui en coûta pour l’achever plus de dix huit millions de notre monnoie. Ce temple avoit au-dela de cinq cens pas géométriques de circuit, & tout cet espace étoit orné de statues plus admirables encore pour la délicatesse de l’ouvrage que pour l’or & l’ivoire qu’on y avoit prodigués. Tite-Live a peint en deux mots bien élégamment la magnificence de ce temple : templum in terris incohatum pro magnitudine dei ; car