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pirations, & pour y conserver un air sain ; on paroît d’ailleurs assez indifférent à l’exposition quant au soleil. J’ai remarqué cependant que les agneaux qu’on tient enfermés pendant que leurs meres sont aux champs, vont toujours se placer vis-à-vis les ouvertures par lesquelles le soleil échauffe les bergeries, cherchant le plus grand jour, & surtout une chaleur bienfaisante propre à les défendre des rigueurs du froid qui les tient engourdis, couchés & immobiles. Cela nous indique l’exposition à donner aux bergeries. Il faut tourner les longues faces au midi, y pratiquer les portes & les fenêtres, les abajours, & n’en faire aux autres faces que les indispensables, surtout en celles qui sont tournées aux vents, dont il faut tâcher de se garantir, soit par-là, soit en plaçant les bergeries de façon à en être à l’abri. Il vaut mieux faire les bergeries longues & étroites pour remplir ces deux conditions à l’avantage des troupeaux, & on diminuera ainsi la hauteur des pignons, & par conséquent la grandeur sans diminuer l’étendue du sol ; la transpiration, les excrémens & le souffle des animaux échauffera mieux les bergeries. On fera bien, quand ces pignons seront trop hauts, de les retrancher par un plancher qui sera propre à y déposer des fourrages en provision, & à intercepter les frimats qui se font sentir à-travers les toits.

Il est donc nécessaire de procurer la chaleur à nos bergeries pendant l’hiver, au lieu qu’elle est dangereuse pendant le tems chaud. On y respire alors un air échauffé, piquant & mauvais, toujours nuisible aux troupeaux qu’on y enferme pendant la nuit : ce qui nous doit porter à les faire parquer, indépendamment des avantages résultans pour nos terres ; il est fâcheux que la paresse de nos bergers l’emporte sur une raison aussi forte. Les moins indolens se contentant de parquer vers le mois de Mai, au lieu de commencer vers le mois de Mars, & souvent plutôt, selon la constitution favorable de l’année. On se fonde sur ce délai à parquer, en ce que l’on craint que la pluie survenant dans la nuit, il faudroit que les troupeaux, quelque grande qu’elle fût, la supportassent, & qu’il en périroit beaucoup ; on en est si prévenu, que nos bergers la redoutent pendant le jour en toute saison, au point qu’ils se rapprochent des bergeries dès que le tems leur paroît un peu ménaçant. Il est pourtant vrai que les troupeaux des environs de Montpellier où la température de l’air differe peu de celle du climat dont il est question, parquent presque toute l’année sans qu’on en ressente de plus grands inconvéniens. Les qualités des laines rendroient-elles différens les effets de cette bonne pratique, & seroit-elle seulement pernicieuse pour les troupeaux à laine fine ? Il est du-moins certain que l’humidité qui les imbibe, y dure plus long-tems, parce que les poils en sont plus fins & plus serrés, donnant par-là plus de difficulté à l’air de pénétrer dans l’épaisseur de la toison, & à l’eau de s’en écouler.

Il s’ensuit cependant, en ne parquant que tard, un autre desavantage. Les sols des bergeries deviennent humides, à mesure qu’on avance dans la belle saison, parce que les troupeaux se nourrissant beaucoup des herbes fraîches, font des excrémens & rendent des urines à proportion : cela produit comme une espece de glu qui s’attache à la laine des flancs, & plus encore à celle des fesses sur laquelle ils se couchent. On voit alors du crotin arrondi pendre au derriere & grossir comme des noix jusqu’au tems de la toison, matiere nuisible sans doute aux parties qui en sont affectées, rendant la laine plus courte & d’une couleur brûlée, au point qu’on la met à part, & qu’on ne la vend guere au-delà de la dixieme partie du prix de celle du reste de l’animal. La plus belle est celle qui se trouve vers le milieu des flancs ; elle diminue

de beauté à mesure qu’elle se trouve à la partie que les excrémens atteignent ; celle qui couvre le dos, vaut moins que celle des flancs, soit à cause que le suint y abonde moins, soit parce que la poussiere qu’élevent les troupeaux en marchant, y tombant, se mêle à demeure avec elle en descendant jusque sur la peau, & cause beaucoup de peine aux tondeurs, quand les ciseaux parviennent à ces endroits. La laine des flancs n’est pas sujette à retenir cette poussiere à cause de la direction des poils de la laine en ces parties qui est de haut vers le bas, au lieu qu’ils vont presque verticalement en remontant vers l’échine.

Cette poussiere qu’on ne peut empêcher de s’élever sous les troupeaux, d’autant plus abondamment que la terre est seche, a fait naître à certains bergers l’envie d’en augmenter le volume sur leurs troupeaux au tems de la toison, afin que pesant davantage & la vendant en suint, ils ayent plus d’argent. Ils cherchent pour cela un champ labouré dont la terre soit légere, seche & d’un sable extrèmement fin ; ils y resserrent leurs troupeaux, & les forçant de courir ou marcher vite en cet état, il s’éleve un tourbillon de poussiere qui les couvre & se dépose dessus d’autant plus abondamment, qu’un vent arriere favorise leur course.

Il est encore une autre malversation moins connoissable & bien souvent pernicieuse au maître du troupeau : elle consiste à l’enfermer la veille du jour qu’on veut les tondre, dans la bergerie où l’on le contraint d’occuper beaucoup moins de place qu’à l’ordinaire, afin que suant avec abondance pendant la nuit, le suint remplisse mieux les vuides des fils de la laine & la rende plus pesante. Cette transpiration est si abondante quelquefois, qu’il périt plusieurs de ces pauvres bêtes sur la place. Il est pourtant essentiel d’enfermer les troupeaux pendant cette nuit-là, parce que s’ils parquoient, la fraîcheur empêcheroit la transpiration suffisante, & les tondeurs le lendemain matin ne trouvant pas la laine assez humide pour la tondre légerement, la besogne seroit mal faite, plus difficile, & souvent les animaux blessés avec les ciseaux ; on verroit sur la peau comme des fillons de laine trop éminens en pure perte ; il faut donc enfermer les troupeaux, mais les laisser dans la bergerie avec la même aisance qu’auparavant. La transpiration qui en resulte, est reconnue si nécessaire, qu’on préfere de les laisser enfermés & à jeun pendant tout le jour de la toison, pour la conserver ou la produire, afin qu’ils ne sentent pas l’air extérieur avant que d’être tondus. Le jeûne cruel ne finit cependant que vers le coucher du soleil, tems auquel la journée des ouvriers finissant aussi, laisse encore un tems suffisant pour faire paître frugalement ces animaux ; s’il étoit plus long, le jeûne causeroit l’indigestion. Cette pratique est une espece d’épreuve dont les effets peuvent nuire. Les bêtes moins vigoureuses devroient être tondues les premieres, afin de les faire paître en troupeau d’abord après.

Je finis en expliquant comment on peut connoitre la qualité de nos laines en les voyant sur l’animal. Elle y est crevassée sur tous, y formant sur le dos des bandes distinctes dans le sens de la tête à la queue, & des especes de zones ceignant les flancs & le cou dans une direction verticale ou à-peu-près, séparées entr’elles par des sillons ou crevasses ouvertes à la surface de la laine se réduisant à rien sur la peau. Chaque zone est entrecoupée de-près-en-près par des petits sillons en tous les autres sens. Tous ces sillons sont plus ou moins ouverts, selon la posture de l’animal ; ils sont plus grands quand il marche ou qu’il est couché, que quand il est debout en repos, ou qu’il regarde. Ils sont plus étroits & plus nombreux sur l’animal à laine fine que sur celui qui l’a moins fine & plus grossiere, parce qu’en celui-là la laine y