Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taires, de maillets, de carquois, avec des fleches ; c’est ce qui est sculpté dans des trophées de la colonne de Trajan & de Marc-Aurele.

M. Spanheim, dans son bel ouvrage des Césars, de l’empereur Julien, nous donne la représentation gravée par Picard, d’un de ces magnifiques trophées, qui se voit encore aujourd’hui à Rome au capitole, & qu’on attribue à Trajan, attendu le lieu d’où il a été tiré. C’est là que l’on voit ce tronc, ce trophée superbe, ou ces intestina tropæorum, comme parle Tertullien, tout couvert d’un casque ouvragé, & d’ailleurs revêtu d’une veste ou chlamys, avec quantité d’ornemens, de carquois, de fleches, de boucliers soutenus par des figures aîlées, & autres embellissemens de sphinx, de tritons, de centaures, &c. on en a gravé des estampes.

Le but des trophées étoit de les dresser comme des monumens durables des victoires remportées sur les ennemis. Il étoit si peu permis de les arracher, que les Athéniens crurent avoir un sujet suffisant de renouveller la guerre aux Corinthiens, sur ce que ceux-ci avoient enlevé un de leurs trophées, comme Aristide le remarque dans son oraison à la louange d’Athènes, in Panathén. p. 209. c’est encore ce qui nous est spécifié bien clairement dans une médaille romaine, qui nous représente Mars portant un trophée, avec l’inscription remarquable, æternitas.

Les soldats romains avoient aussi le pouvoir & la coutume d’étaler dans la partie de leurs maisons la plus remarquable, les dépouilles qu’ils avoient prises sur les ennemis, comme Polybe le remarque.

Enfin les trophées devinrent des types de monnoies ou de bas-reliefs, tels qu’on en voit encore plusieurs sur l’escalier du capitole ; c’étoient aussi des figures de métal ou de marbre isolées & posées sur une base, & l’on sait qu’un grand nombre de cette espece faisoient un des ornemens de la ville de Rome. Tels furent les changemens qu’on fit aux trophées.

Dans les siecles héroïques & chez les Grecs, les trophées, comme nous l’avons dit, n’étoient qu’un tronc d’arbre revêtu des armes des vaincus. Enée, après sa premiere bataille où il avoit tué Mezence, éleve un trophée, Æneid. l. XI. vers. 5.

Ingentem quercum, decisis undique ramis,
Constituit tumulo, fulgentiaque induit arma,
Mezenti ducis exuvias : tibi, magne, tropæum,
Belli potens : aptat rorantes sanguine cristas
Telaque trunca viri, & bis sex thoraca petitum
Perfossumque locis ; clypeumque ex ære sinistræ
Subligat, atque ensem collo suspendit eburnum.

On les dressoit sur le champ de bataille aussi-tôt après la victoire ; il étoit d’abord défendu de les faire d’aucune matiere durable, comme de bronze ou de pierre ; ce fut sans doute par privilege qu’on permit à Pollux, après la victoire qu’il remporta sur Lyncée, d’en ériger un de cette espece, & ce trophée se voyoit encore à Lacédémone du tems de Pausanias.

L’inscription des trophées étoit simple, noble & modeste, ainsi que toutes les inscriptions des beaux siecles de la Grece ; il n’y avoit que deux mots, le nom des vainqueurs & celui des vaincus. Othryadès resté seul après la fuite des Argiens, se traîne percé de coups sur le champ de bataille, recueille les armes, dresse un trophée avant de mourir, & écrit de son sang sur son bouclier : J’ai vaincu.

Ces monumens exposés à toutes les injures de l’air périssoient bientôt, & on s’étoit fait une loi de les laisser tomber d’eux-mêmes sans les réparer. Plutarque, dans ses questions romaines, quest. xxxvj. demande pourquoi entre toutes les choses consacrées aux dieux, il n’y a que les trophées qu’il soit d’usage de laisser dépérir : « Est-ce, dit-il, afin que les hommes voyant leur gloire passée s’anéantir avec ces

monumens, s’évertuent sans cesse à en acquérir une nouvelle ? ou plutôt parce que le tems effaçant ces signes de discorde & de haine, ce seroit une opiniâtreté odieuse de vouloir, malgré lui, en perpétuer le souvenir. Aussi, ajoute-t-il, n’a-t-on pas approuvé la vanité de ceux qui, les premiers entre les Grecs, se sont avisés de dresser des trophées de pierre & de bronze ». Peut-être ces peuples qui mériterent la censure de cette nation douce & polie, sont les Eléens ; du-moins je trouve dans Pausanias qu’il y avoit à Olympie un trophée d’airain, dont l’inscription portoit que les Eléens l’avoient érigé après une victoire gagnée sur Lacédémone.

Le même auteur nous apprend encore, que ce n’étoit pas la coutume des Macédoniens d’ériger des trophées après leur victoire. Caranus fondateur de leur monarchie, ayant vaincu Cissée prince voisin, avoit dressé un trophée : un lion sortant du mont Olympe renversa ce monument, & le détruisit ; le roi de Macédoine tira une leçon de cet événement ; il fit réflexion qu’il avoit eu tort d’insulter aux vaincus, & de se priver lui-même de l’espérance d’une réconciliation ; aussi, ajoute Pausanias, dans la suite ni ce prince, ni aucun de ses successeurs, ne dressa jamais de trophée, pas même Alexandre, après ses éclatantes victoires sur les Perses & sur les Indiens.

Les Romains, dont la politique se proposoit d’accoutumer au joug les peuples vaincus, & d’en faire des sujets fideles, furent long-tems sans reprocher aux ennemis leur défaite par des trophées, & Florus ne manque pas de leur faire honneur de cette modération. Domitius Ænobarbus & Fabius maximus ipsis quibus dimicaverant in locis, saxeas erexere & turres, & desaper exornata armis hostilibus trophæa nfixere ; quùm hic mos inusitatus fuerit nostris : nunquam enim populus romanus hostibus domitis, victoriam suam exprobravit.

Le premier dont l’histoire romaine fasse mention (car on ne doit pas regarder comme de vrais trophées, ni les dépouilles opimes, ni celles des Curiaces que le vainqueur fit porter devant lui) le premier trophée, dis-je, fut celui que dressa C. Flaminius en l’honneur de Jupiter, après avoir vaincu les Insubriens l’an de Rome 530. il étoit d’or & placé dans le capitole. Cent ans après C. Domitius Ænobarbus, & Q. Fabius Maximus Allobrogicus, dresserent sur les bords de l’Isere ceux dont il est parlé dans le passage de Florus que nous venons de citer-Après la prise de Jugurtha, Bocchus étant venu à Rome, érigea dans le capitole des trophées en l’honneur de Sylla ; ce qui piqua vivement Marius, & alluma de plus en plus dans son cœur cette jalousie meurtriere qui fit couler tant de sang. Sylla en dressa deux lui-même dans les plaines de Chéronée, après la défaite de Taxile, lieutenant de Mithridate.

Pompée ayant terminé la guerre contre Sertorius, dressa des trophées sur les Pyrénées avec des inscriptions fastueuses. Cette vanité déplut aux Romains ; & ce fut pour y opposer une apparence de modestie, que César traversant les Pyrénées après la guerre d’Afranius, se contenta de construire un autel auprès des trophées de Pompée.

Un passage de Xiphilin, dans la vie de Néron, nous fait connoître que les trophées dont nous venons de parler, ne sont pas les seuls qui ayent été élevés à Rome sous les consuls. Lorsque cet auteur représente le ridicule infamant dont Néron chargeoit les sénateurs mêmes, en les forçant de faire le rôle de comédiens, ou de combattre contre les bêtes ; il donnoit, dit-il, en spectacle sur le théatre & dans l’arène, les Furius, les Fabius, les Porcius, les Valériens, ces illustres familles dont le peuple voyoit encore les trophées.