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rence générale qui les rend tropes, & qui les distingue des autres figures : elle consiste en ce qu’un mot est pris dans une signification qui n’est pas précisément sa signification propre… Par exemple, il n’y a plus de Pyrénées, dit Louis XIV…. lorsque son petit-fils le duc d’Anjou, depuis Philippe V. fut appellé à la couronne d’Espagne. Louis XIV. vouloit-il dire que les Pyrénées avoient été abîmées ou anéanties ? nullement : personne n’entendit cette expression à la lettre & dans le sens propre ; elle avoit un sens figuré… Mais quelle espece particuliere de trope ? Cela dépend de la maniere dont un mot s’écarte de sa signification propre pour en prendre une autre ».

I. De la subordination des tropes & de leurs caracteres particuliers. (Ibid. part. II. art. xxj.) « Quintilien dit que les Grammairiens, aussi-bien que les Philosophes, disputent beaucoup entre eux pour savoir combien il y a de différentes classes de tropes, combien chaque classe renferme d’especes particulieres, & enfin quel est l’ordre qu’on doit garder entre ces classes & ces especes. Circa quem (tropum) inexplicabilis, & graminaticis inter ipsos & philosophis, pugna est ; quæ sint genera, quæ species, quis numerus, quis cui subjiciatur. Inst. orat. lib. VIII. cap. vj.... Mais toutes ces discussions sont assez inutiles dans la pratique, & il ne faut point s’amuser à des recherches qui souvent n’ont aucun objet certain ».

[Il me semble que cette derniere observation de M. du Marsais n’est pas assez réfléchie. Rien de plus utile dans la pratique, que d’avoir des notions bien précises de chacune des branches de l’objet qu’on embrasse ; & ces notions portent sur la connoissance des idées propres & distinctives qui les caractérisent : or cette connoissance, à l’égard des tropes, consiste à savoir ce que Quintilien disoit n’être encore déterminé ni par les Grammairiens, ni par les Philosophes, quæ sint genera, quæ species, quis numerus, quis cui sujiciatur ; & loin d’insinuer la remarque que fait à ce sujet M. du Marsais, Quintilien auroit dû répandre la lumiere sur le système des tropes, & ne pas le traiter de bagatelles inutiles pour l’institution de l’orateur, omissis quæ mihi ad instituendum oratorem pertinent cavillationibus. Une chose singuliere & digne de remarque, c’est que ces deux grands hommes, après avoir en quelque sorte condamné les recherches sur l’assortiment des parties du système des tropes, ne se sont pourtant pas contentés de les faire connoître en détail ; ils ont cherché à les grouper sous des idées communes, & à rapprocher ces groupes en les liant par des idées plus générales : témoignage involontaire, mais certain, que l’esprit de système a pour les bonnes têtes un attrait presque irrésistible, & conséquemment qu’il n’est pas sans utilité. Voici donc comment continue le grammairien philosophe. Ibid.]

« Toutes les fois qu’il y a de la différence dans le rapport naturel qui donne lieu à la signification empruntée, on peut dire que l’expression qui est fondée sur ce rapport appartient à un trope particulier.

« C’est le rapport de ressemblance qui est le fondement de la catachrèse & de la métaphore ; on dit au propre une feuille d’arbre, & par catachrèse une feuille de papier, parce qu’une feuille de papier est à-peu-près aussi mince qu’une feuille d’arbre. La catachrèse est la premiere espece de métaphore ». [Cependant M. du Marsais, en traitant de la catachrèse, part. I. art. j. dit que la langue, qui est le principal organe de la parole, a donné son nom par métonymie au mot générique dont on se sert pour marquer les idiomes, le langage des différentes nations, langue latine, langue françoise ; & il donne cet usage du mot langue, comme un exemple de la catachrèse.

Voilà donc une catachrèse qui n’est point une espece de métaphore, mais une métonymie. Cette confusion des termes prouve mieux que toute autre chose la nécessité de bien établir le système des tropes.] « On a recours à la catachrèse par nécessité, quand on ne trouve point de mot propre pour exprimer ce qu’on veut dire ». [Voilà, si je ne me trompe, le véritable caractere distinctif de la catachrèse : une métaphore, une métonymie, une synecdoque, &c. devient catachrèse, quand elle est employée par nécessité pour tenir lieu d’un mot propre qui manque dans la langue. D’où je conclus que la catachrèse est moins un trope particulier, qu’un aspect sous lequel tout autre trope peut être envisagé. « Les autres especes de métaphores se font par d’autres mouvemens de l’imagination, qui ont toujours la ressemblance pour fondement.

« L’ironie au contraire est fondée sur un rapport d’opposition, de contrariété, de différence, &, pour ainsi dire, sur le contraste qu’il y a ou que nous imaginons entre un objet & un autre ; c’est ainsi que Boileau a dit (sat. ix.) Quinault est un Virgile ». [Il me semble avoir prouvé, article Ironie, que cette figure n’est point un trope, mais une figure de pensée.]

« La métonymie & la synecdoque, aussi bien que les figures qui ne sont que des especes de l’une ou de l’autre, sont fondées sur quelqu’autre sorte de rapport, qui n’est ni un rapport de ressemblance, ni un rapport du contraire. Tel est, par exemple, le rapport de la cause à l’effet ; ainsi dans la métonymie & dans la synecdoque, les objets ne sont considérés ni comme semblables ni comme contraires ; on les regarde seulement comme ayant entr’eux quelque relation, quelque liaison, quelque sorte d’union : mais il y a cette différence, que, dans la métonymie, l’union n’empêche pas qu’une chose ne subsiste indépendamment d’une autre ; au lieu que, dans la synecdoque, les objets dont l’un est dit pour l’autre ont une liaison plus dépendante ; l’un est compris sous le nom de l’autre ; ils forment un ensemble, un tout.... »

[Je crois que voilà les principaux caracteres généraux auxquels on peut rapporter les tropes. Les uns sont fondés sur une sorte de similitude : c’est la métaphore, quand la figure ne tombe que sur un mot ou deux ; & l’allégorie, quand elle regne dans toute l’étendue du discours. Les autres sont fondés sur un rapport de correspondance : c’est la métonymie, à laquelle il faut encore rapporter ce que l’on désigne par la dénomination superflue de métalepse. Les autres enfin sont fondés sur un rapport de connexion : c’est la synecdoque avec ses dépendances ; & l’antonomase n’en est qu’une espece, désignée en pure perte par une dénomination différente.

Qu’on y prenne garde ; tout ce qui est véritablement trope est compris sous l’une de ces trois idées générales ; ce qui ne peut pas y entrer n’est point trope, comme la périphrase, l’euphémisme, l’allusion, la litote, l’hyperbole, l’hypotypose, &c. J’ai dit ailleurs à quoi se réduisoit l’hypallage, & ce qu’il faut penser de la syllepse.

La métaphore, la métonymie, la synecdoque, gardent ces noms généraux, quand elles ne sont dans le discours que par ornement ou par énergie ; elles sont toutes les trois du domaine de la catachrèse, quand la disette de la langue s’en fait une ressource inévitable : mais, sous cet aspect, la catachrèse doit être placée à côté de l’onomatopée ; & ce sont deux principes d’étymologie, peut-être les deux sources qui ont fourni le plus de mots aux langues : ni l’un ni l’autre ne sont des tropes.]

II. De l’utilité des tropes. C’est M. du Marsais qui va parler. Part. I. art. vij. §. 2.