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cha de gagner la populace par des jeux, des spectacles, & des largesses, souvent médiocres, mais bien ménagées. Apprenant que certaines lois qu’il avoit donne effarouchoient le peuple, il ne les cassa pas, mais pour en détourner les réflexions, il rappella Pylade que les factions avoient chassé.

Il fit passer sans succès Ælius Gallus d’Egypte en Arabie pour s’emparer du pays ; mais les marches, le climat, la faim, la soif, les maladies perdirent l’armée ; on négocia avec les Arabes, comme les autres peuples avoient fait, & le temple de Janus fut fermé de nouveau.

Mécénas, son favori, content d’une vie délicieuse, & desirant de faire goûter le gouvernement d’Auguste, s’attacha tous ceux qui pouvoient servir à sa gloire ; poëtes, orateurs, historiens ; il les combloit de caresses & de bienfaits, & les produisoit à son maître ; on exaltoit chez lui les louanges du prince ; Horace & Virgile les répandoient par les charmes de la poésie.

D’un autre côté, Auguste disposant de tous les revenus de l’état, bâtit des temples dans Rome, & l’embellit de beautés si magnifiques, qu’il méritoit par-là d’en être l’édile. Mais c’est le maître du monde que je dois ici caractériser.

Lorsque les troupes avoient les armes à la main, il craignoit leur révolte, & les ménageoit. Lorsqu’il fut en paix, il craignit les conjurations, & toutes les entreprises lui parurent suspectes. Ayant toujours devant les yeux le destin de César, il s’éloigna de sa conduite pour éviter son sort ; il refusa le nom de dictateur, ne parla que de la dignité du sénat, & de son respect pour la république ; mais en même tems il portoit une cuirasse sous sa robe, & ne permettoit à aucun sénateur de s’approcher de lui que seul, & après avoir été fouillé.

Incapable de soutenir de sang froid la vue du moindre péril, il ne montra du courage que dans les conseils, & partout où il ne falloit point payer de sa personne.

Toutes les victoires qui l’éleverent à l’empire du monde, furent l’ouvrage d’autrui. Celle de Philippe est dûe au seul Antoine. Celle d’Actium, aussi-bien que la défaite de Sextus Pompée, sont l’ouvrage d’Agrippa. Auguste se servit de cet officier, parce qu’il étoit incapable de lui donner de l’ombrage, & de se faire chef de parti.

Pendant un combat naval, il n’osa jamais voir les flottes en bataille. Couché dans son vaisseau, & les yeux tournés vers le ciel, comme un homme éperdu, il ne monta sur le tillac, qu’après qu’on lui eut annoncé que les ennemis avoient pris la fuite.

Je crois, dit M. de Montesquieu, qu’Auguste est le seul de tous les capitaines romains qui ait gagné l’affection des soldats, en leur donnant sans cesse des marques d’une lâcheté naturelle. Dans ce tems-là, les soldats faisoient plus de cas de la libéralité de leur général, que de son courage. Peut-être même que ce fut un bonheur pour lui, de n’avoir point eu cette valeur qui peut donner l’empire, & que cela même l’y porta : on le craignit moins. Il n’est pas impossible que les choses qui le deshonorerent le plus, aient été celles qui le servirent le mieux. S’il avoit d’abord montré une grande ame, tout le monde se seroit méfié de lui ; & s’il eût eu de la hardiesse, il n’auroit pas donné à Antoine le tems de faire toutes les extravagances qui le perdirent.

Les gens lâches sont ordinairement cruels, c’étoit aussi le caractere d’Auguste. Sans parler des horreurs de la proscription où il eut la plus grande part, & dont même il prolongea le cours, je trouve dans l’histoire, qu’il exerça seul cent actions plus cruelles les unes que les autres, & qui ne peuvent être excusées par la nécessité des tems, ou par l’exemple de ses collegues.

Après la bataille de Philippe, dans laquelle il ne paya pas de sa personne, il mit en usage des horreurs bien étranges envers de malheureux prisonniers qui lui furent présentés. L’un d’eux qui ne requéroit de lui que la sépulture, en reçut cette réponse consolante, « que les oiseaux le mettroient bientôt en état de n’en avoir pas besoin. »

Il fit égorger un pere & un fils, sur ce qu’ils refusoient de combattre ensemble, & dans le tems qu’ils lui demandoient la grace l’un de l’autre de la maniere du monde la plus touchante. Aussi quand on conduisit les autres prisonniers enchaînés devant Antoine & lui, ils saluerent tous Antoine, lui marquerent leur estime, & l’appellerent empereur ; au lieu qu’ils chargerent Auguste de reproches, d’injures & de railleries ameres.

Le saccagement de Péruge prise sur Lucius Antonius, fait frémir l’humanité. Auguste abandonna à ses soldats le pillage de cette ville, quoiqu’elle eût capitulé ; les violences y furent si grandes, que les historiens les plus flatteurs ne pouvant les déguiser, en ont rejetté la faute sur la fureur des soldats victorieux ; mais au-moins ne sont-ils pas coupables de la mort des trois cens qui composoient le sénat de cette ville, & qu’Auguste fit égorger de sang froid. Comme ils lui eurent été présentés enchaînés, il lui demanderent leur grace pour être restés dans le parti d’un homme auquel ils avoient les plus grandes obligations, & qui d’ailleurs avoit été long-tems son ami & son allié ; il leur répondit, vous mourrez tous : immédiatement après cette réponse, aussi barbare que laconique, ils furent exécutés.

On dit qu’après le décès d’Antoine, il fit tuer son fils Antyllus, qui s’étoit refugié dans le mausolée que Cléopatre avoit élevé à son pere.

Dans les premieres années de son regne, Murena, Ignatius Rufus, M. Lépidus fils de son ancien collegue, & tant d’autres, furent du nombre de ses victimes. Il fit exécuter Procillus son affranchi, qui avoit été très-avant dans ses secrets, sous le prétexte de ses liaisons avec des femmes de qualité. En un mot, on comptoit peu de jours qui ne fussent marqués par l’ordre de ce monstre, de la mort de quelque personne considérable. Comme les conspirations renaissoient sans cesse, qu’on me permette le terme, du sang & de la cendre de ceux qu’il immoloit, il pouvoit bien se tenir à lui même le discours que Corneille met dans sa bouche :

Rentre en toi-même, Octave....
Quoi tu veux qu’on t’épargne, & n’as rien épargné !
Songe aux fleuves de sang où ton bras s’est baigné !
De combien ont rougi les champs de Macédoine ?
Combien en a versé la défaite d’Antoine ?
Combien celle de Sexte ? & revois tout d’un tems
Peruge au sien noyée, & tous ses habitans.
Remets dans ton esprit après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Où toi-même des tiens devenu le bourreau,
Au sein de ton tuteur, enfonças le couteau.

Cinna, act. IV. scen. iij.

Il est vrai que ce prince après tant d’exécutions, prit le parti de pardonner à Cinna, mais ce fut par les conseils de Livie ; & peut-être craignit-il dans Cinna le nom de son ayeul maternel, le grand Pompée, dont les partisans cachés dans Rome étoient nombreux & puissans.

Je cherche des vertus dans Auguste, & je ne lui trouve que des crimes, des défauts, des vices, des ruses, & des bassesses. Ne croyons pas cependant les accusations d’Antoine, qui lui reprocha que son adoption avoit été la récompense de ses impudicités. Je n’ajoute pas plus de foi à l’épitre ad Octavium, qu’on attribue à Cicéron, où il est dit que la servitude de