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mit entre le tribun & son pere, qu’elle accompagna jusqu’au capitole.

Cette action arrêta la violence du magistrat, par cet extrême respect qui étoit dû aux vestales, & qui à leur égard ne laissoit qu’au pontife seul, la liberté des remontrances & des voies de fait.

Le général après avoir parcouru la ville jonchée de fleurs & remplie de parfums, arrivoit au capitole, où il sacrifioit deux taureaux blancs ; & mettoit une couronne de laurier sur la tête de Jupiter, ce qui s’observa dans la suite, quoiqu’on ne triomphât point. On faisoit après cela un festin auquel on invitoit les consuls, mais seulement pour la forme, car on les prioit de n’y pas venir, de peur que le jour même que le général avoit triomphé, il n’y eût dans le même repas quelqu’un au-dessus de lui.

Telle étoit la cérémonie du triomphe ; mais pour mettre sous les yeux du lecteur la description de quelque triomphe superbe, nous choisirons celle qu’ont fait les historiens du triomphe de César après la prise d’Utique, & d’Auguste après la victoire d’Actium. César brilla par quatre triomphes réunis, qui durerent quatre jours.

Le premier destiné au triomphe des Gaules, fit voir aux Romains dans plusieurs tableaux, les noms de trois cens nations, & de huit cens villes, conquises par la mort d’un million d’ennemis qu’il avoit défaits en plusieurs batailles. Entre les prisonniers paroissoit Vercingentorix, qui avoit soulevé toutes les Gaules contre la république.

Tous les soldats romains suivoient leur général couronné de laurier, & en cet équipage il alla au capitole, dont il monta les degrés à genoux ; quarante élephans rangés de côté & d’autre, portant des chandeliers magnifiques garnis de flambeaux. Ce spectacle dura jusqu’à la nuit, à cause que l’essieu du char de triomphe rompit, ce qui pensa faire tomber le vainqueur, lorsqu’il se croyoit au plus haut point de sa gloire.

Le second triomphe fut de l’Egypte, où parurent les portraits de Ptolomée, de Photin & d’Achillas, qui réjouirent fort le peuple. Le troisieme représentoit la défaite de Pharnace, & la fuite de ce roi, qui excita parmi le peuple de grands cris de joie, & plusieurs railleries contre le vaincu ; c’est-là que fut employée l’inscription veni, vidi, vici ; mais au quatrieme triomphe, la vue des tableaux de Scipion, de Pétréïus, & de Caton qui étoit peint déchirant ses entrailles, fit soupirer les Romains. Le fils de Juba, encore fort jeune, étoit du nombre des prisonniers ; Auguste lui rendit dans la suite une partie du royaume de son pere, & lui fit épouser la jeune Cléopatre, fille de Marc-Antoine.

Dans tous ces triomphes, on porta tant en argent qu’en vases & statues d’orfévrerie pour soixante & cinq mille talens, qui font 12 millions 650 mille liv. sterlings, à 210 livres sterling le talent ; il y avoit mille huit cens vingt-deux couronnes d’or, qui pesoient vingt mille quatorze livres, & qui étoient des présens qu’il avoit arrachés des princes & des villes après ses victoires.

C’est de cette somme immense qu’il paya à chaque soldat, suivant ses promesses, cinq mille drachmes, environ cinq cens livres ; le double au centurion ; & le quadruple aux tribuns des soldats, ainsi qu’aux commandans de la cavalerie ; & pour leur retraite après la guerre, il leur donna des héritages dans plusieurs endroits séparés de l’Italie.

Le peuple se ressentit aussi de sa prodigalité ; il lui fit distribuer par tête quatre cens deniers, dix boisseaux de blé, & dix livres d’huile ; ensuite il traita tout le peuple romain à vingt-deux mille tables.

Afin que rien ne manquât à la pompe de ces fêtes, il fit combattre jusqu’à deux mille gladiateurs, sous

prétexte de célebrer les funérailles de sa fille Julie. Il fit représenter les jours suivans, toute sorte de pieces de théatre, où les enfans des princes de l’Asie danserent armés. Le cirque fut agrandi par son ordre, & environné d’un fossé plein d’eau. Dans cet espace, toute la jeune noblesse de Rome représenta les jeux troyens, tant à cheval que sur des chars à deux & à quatre chevaux de front.

A ces divertissemens succéderent ceux de la chasse des bêtes qui dura cinq jours. On fit paroître ensuite deux armées campées dans le cirque, chacune de cinq cens soldats, vingt éléphans, & trois cens cavaliers, qui représenterent un combat. Les athletes à la lutte & au pugilat remplirent deux jours entiers.

Enfin pour dernier spectacle, sur un lac creusé exprès dans le champ de Mars, deux flottes de galeres équipées de mille hommes, donnerent au peuple le plaisir d’un combat naval. Ces fêtes attirerent tant de monde à Rome, que la plûpart furent obligés de camper dans les places publiques ; plusieurs personnes, & entr’autres deux sénateurs, furent étouffés dans la presse.

Le triomphe d’Auguste, après ses victoires d’Actium & d’Alexandrie, ne fut guere moins superbe, quoique par une feinte modération, il crût devoir retrancher une partie des honneurs que le decret du sénat lui accordoit, n’ayant point voulu, par exemple, que les vestales abandonnassent le soin de leur religion, pour honorer son triomphe, & laissant au peuple la liberté de sortir au-devant de lui, ou de se tenir dans leurs maisons, sans contraindre personne. Au milieu de cette modération affectée, il fit son entrée triomphante, l’an 725 de la fondation de Rome, s’étant fait donner le consulat pour la quatrieme fois. Il borna son triomphe à trois jours de suite.

Le premier jour, il triompha des Pannoniens, des Dalmates, des Japides, & des peuples de la Gaule & de l’Allemagne, voisins de ceux-là ; le second, de la guerre d’Actium, & le troisieme, de celle d’Alexandrie.

Ce dernier triomphe surpassa les deux autres en magnificence. On y admiroit un tableau, qui représentoit d’après nature la reine Cléopatre couchée sur son lit, où elle se faisoit piquer le bras par un aspic. On voyoit à ses côtés le jeune Alexandre & la jeune Cléopatre ses enfans, vêtus d’habits magnifiques. Le char de triomphe éclatant d’or & de pierreries, suivoit celui du tableau ; Auguste y étoit assis, paré de sa robe triomphale, toute de pourpre en broderie d’or, tel qu’on avoit vu autrefois le grand Pompée triomphant de l’Asie, de l’Afrique & de l’Europe, c’est-à-dire, de toute la terre connue, faisant porter devant lui plus de quatorze cens millions en argent, & menant trois cens princes & rois captifs qui précédoient son char. Auguste n’apportoit guere moins de richesses à l’état que Pompée en avoit apporté, si l’on en croit Dion, Plutarque & Suétone.

Après avoir fait distribuer quatre cens sesterces par tête au peuple, ce qui montoit à plus de dix millions d’or, en comptant cinq cens mille hommes ; il donna plus de cinquante millions à son armée, & cependant il remit tant d’argent dans l’égargne, que l’intérêt fut reduit de 6 à 2 pour cent, & que le prix des fonds haussa à proportion.

Il remplit les temples de Jupiter & de Minerve, ainsi que les grandes places de Rome, des plus riches monumens de l’Egypte & de l’Asie, & fit mettre dans le temple de Vénus une statue de Cléopatre qui étoit d’or massif ; de sorte que cette reine après sa mort, se trouva tellement honorée par ses propres vainqueurs, qu’il placerent ses statues jusques dans leurs temples.

Il y avoit dans celui-ci une chapelle dédiée à Jules-