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origine, de leur consécration & de leur structure ; les détails sont réservés à chaque temple en particulier.

On sait assez que les anciens romains ont eu beaucoup d’attachement pour leur religion ; je dirai mieux, beaucoup de superstition dans leur culte. Il ne leur arrivoit guere d’heureux ou fâcheux succès, qui ne fût suivi de la construction de quelque temple. Le nom même des temples qu’ils consacrerent aux dieux, tire son origine du temple augural, c’est-à-dire, d’une simple enceinte dans laquelle les augures observoient le vol des oiseaux. Tous les lieux tracés par les augures étoient même appellés temples, templa, quoiqu’ils ne fussent pas destinés au culte de la religion ; c’est ainsi que les augures trouverent le secret d’accréditer leur ouvrage.

Les uns attribuent la fondation des premiers temples de l’Italie à Janus, par l’invocation duquel on commençoit tous les sacrifices ; les autres en donnent la gloire à Faune, & prétendent que le mot fanum en tire son origine. Quoi qu’il en soit, ces premiers temples n’étoient que des bois sacrés, puisque les Romains, au rapport de Varron, ont été sans temples pendant l’espace de 170 ans. Ainsi le temple de Jupiter Féretrien & celui de Jupiter Stator n’étoient point apparemment consacrés, & le temple de Janus ne doit être envisagé que comme un monument de l’union des Romains & des Sabins, dont la statue de ce dieu à deux visages étoit le symbole, & le fut aussi de la paix & de la guerre.

Les formalités requises pour l’établissement d’un véritable temple, étoient l’autorité des lois, l’observation des auspices, les cérémonies de la consécration. Un magistrat qui avoit fait vœu de bâtir un temple, n’engageoit point la république sans son consentement. Quand la construction du temple avoit été résolue dans le sénat, il falloit une loi ou un plébiscite pour l’exécution du projet. Sous les empereurs, leur volonté tenoit lieu de loi.

Ensuite on consultoit les augures qui s’assembloient par ordre des duumvirs, c’est-à-dire, des commissaires nommés pour la conduite de l’ouvrage. Les augures commençoient par le choix du terrein, en quoi ils avoient égard à la nature & aux fonctions des dieux auxquels le temple devoit être consacré. Suivant les observations de Vitruve, les temples de Jupiter, de Junon & de Minerve devoient être construits sur des hauteurs, parce que ces divinités avoient inspection sur toutes les affaires de l’empire dont elles prenoient un soin particulier. Mercure, Isis & Sérapis, dieux du commerce, avoient leurs temples proche des marchés. Ceux de Mars, de Bellone, de Vulcain & de Vénus étoient hors de la ville ; on les regardoit comme des divinités ou turbulentes ou dangereuses. Il est vrai que ces convenances n’ont pas toujours été observées.

Le lieu de la construction étant choisi, les augures prenoient les auspices, & si les auspices étoient favorables, ils traçoient le plan du temple : c’est ce qu’on appelloit effari ou sistere templum. On posoit la premiere pierre avec plus de cérémonie encore. Les vestales accompagnées de jeunes garçons & de jeunes filles, ayant pere & mere, arrosoient la place de trois sortes d’eaux ; on la purifioit encore par le sacrifice d’un taureau blanc & d’une genisse. Le grand prêtre invoquoit les dieux auxquels le temple étoit destiné. La pierre sur laquelle étoient gravés les noms du magistrat & du souverain pontife, étoit mise dans la fondation avec des médailles d’or & d’argent, & du métal tel qu’il sort de la mine, aux acclamations de tout le peuple qui s’empressoit d’y préter la main.

Lorsque le temple étoit bâti, on en faisoit la dédicace. Cette fonction appartenoit dans les premiers tems aux grands magistrats ; ensuite à cause des dis-

sensions qui survinrent à cette occasion, on eut recours

à la puissance du peuple. Enfin on en laissa la disposition au sénat, avec l’intervention des tribuns du peuple, qui n’y eurent plus de part sous les empereurs.

Le jour de la dédicace d’un temple étoit une fête solemnelle, accompagnée de réjouissances extraordinaires. On immoloit des victimes sur tous les autels ; on chantoit des hymnes au son de la flute. Le temple étoit orné de fleurs & de bandelettes. Le magistrat qui faisoit la cérémonie, mettoit la main sur le jambage de la porte, appellant à haute voix le souverain pontife, pour lui aider à s’acquitter de cette fonction, en prononçant devant lui la formule de la dédicace qu’il répétoit mot-à-mot. Ils étoient si scrupuleux sur la prononciation de ces paroles, qu’ils s’imaginoient qu’un seul mot ou une syllabe oubliée ou mal articulée gâtoit tout le mystere. C’est pourquoi le grand pontife Metellus qui étoit begue, s’exerça plusieurs mois pour pouvoir bien prononcer le mot d’opifera. Le deuil étoit incompatible avec la solemnité ; on le quittoit pour y assister en habit blanc. Sur ce prétexte, les ennemis d’Horatius Pulvillus qui faisoit la dédicace du temple du capitole, vinrent troubler la cérémonie, en lui annonçant la fausse nouvelle de la mort de son fils, mais il la reçut sans s’émouvoir, & continua ce qu’il avoit commencé.

Tacite, liv. II. parlant du rétablissement du capitole, nous a conservé la formule & les autres cérémonies de la consécration du lieu destiné à bâtir un temple. Vespasien, dit-il, ayant chargé L. Vestinus du soin de rétablir le capitole, ce chevalier romain consulta les aruspices, & il apprit d’eux qu’il falloit commencer par transporter dans des marais les restes du vieux temple, & en bâtir un nouveau sur les mêmes fondemens l’onzieme jour avant les kalendes de Juillet, le ciel étant serain. Tout l’espace destiné pour l’édifice fut ceint de rubans & de couronnes. Ceux des soldats dont le nom étoit de bon augure, entrerent dans cette enceinte avec des rameaux à la main ; puis vinrent les vestales accompagnées de jeunes garçons & de jeunes filles dont les peres & meres vivoient encore, qui laverent tout ce lieu avec de l’eau de fontaine, de lac & de fleuve. Alors Helvidius Priscus, préteur, précédé de Plaute Elien, pontife, acheva d’expier l’enceinte par le sacrifice d’une vache & de quelques taureaux qu’il offrit à Jupiter, à Junon, à Minerve & aux dieux patrons de l’empire, & les pria de faire ensorte que le bâtiment que la piété des hommes avoit commencé pour leur demeure, fût heureusement achevé. Les autres magistrats qui assistoient à cette cérémonie, les prêtres, le sénat, les chevaliers & le peuple pleins d’ardeur & de joie, se mirent à remuer une pierre d’une grosseur énorme, pour la traîner au lieu où elle devoit être mise en œuvre. Enfin on jetta dans les fondemens plusieurs petites monnoies d’or & d’autres pieces de métal, comme nous venons de le dire. Les noms des magistrats étoient gravés au frontispice des temples qu’ils avoient dédiés. Ceux qui les faisoient rebâtir, en y mettant de nouvelles inscriptions, n’en ôtoient pas celles des premiers fondateurs.

Quoique la partie du temple appellée cella sût destinée au culte de la religion, on ne laissoit pas d’y traiter d’affaires profanes après les sacrifices, en tirant des voiles qui couvroient les statues & les autels. Elle ne pouvoit être dédiée à plusieurs divinités, à moins qu’elles ne fussent inséparables, comme Castor & Pollux ; mais plusieurs dieux pouvoient avoir chacun la sienne sous un même toît ; & alors ce temple s’appelloit delubrum, quoique ce terme soit un terme générique.

La statue du dieu y étoit placée quelquefois dans une niche ou tabernacle appellé ædicula. Elle regar-