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que celle de défendre le peuple contre l’oppression des grands ; mais ils se servirent du droit d’assembler le peuple sans la permission du sénat, pour établir les comices des tribus, pour faire accorder aux mêmes tribus le droit d’élire les magistrats du second ordre, pour arrêter les délibérations du sénat, pour renverser la forme du gouvernement, pour faire parvenir le peuple au consulat, pour s’emparer du sacerdoce, & pour opprimer les patriciens.

Comme les tribus ne commencerent à avoir part au gouvernement que depuis l’établissement de leurs comices ; & que c’est même du pouvoir qu’elles avoient dans ces assemblées, qu’elles tirerent depuis tout leur crédit, il est certain que c’est à ces comices qu’il en faut rapporter le principal usage ; mais comme il en est fait quelquefois mention dans les comices des centuries, tant pour l’élection des magistrats qu’au sujet de la guerre, on ne sauroit douter qu’elles ne fussent aussi de quelque usage dans cette autre sorte d’assemblée, & il ne s’agit plus que de savoir de quel usage elles y pouvoient être, & quand elles commencerent d’y avoir part.

A l’égard de la premiere question, elle ne souffre point de difficulté ; & quoiqu’un passage de Lœlius Félix cité par Aulu-Gelle, nous marque expressément que les comices des centuries ne pouvoient se tenir dans la ville, à cause que la forme en étoit militaire : il est certain néanmoins qu’on passoit quelquefois sur la regle en faveur de la commodité ; & qu’alors, pour sauver les apparences, le peuple s’assembloit d’abord par tribus, & se partageoit ensuite par classes & par centuries pour donner ses suffrages.

A l’égard du tems où les tribus commencerent à être en usage dans les comices des centuries ; c’est ce qu’il n’est pas aisé de déterminer, car on n’en trouve rien dans les anciens ; & les modernes qui en ont parlé, sont d’avis entierement contraires. Les uns prétendent que ce ne fut que depuis que le nombre des trente-cinq tribus fut rempli ; les autres au contraire soutiennent que cet usage eut lieu dès l’établissement des centuries, & que leurs comices ne se tinrent jamais autrement ; mais leur conjecture n’est pas mieux fondée : car Denys-d’Halicarnasse qui nous en a laissé un détail fort exact & fort circonstancié, ne dit pas un mot des tribus, & il n’en est pas fait une seule fois mention dans tous les comices dont Tite-Live parle avant le jugement de Coriolan.

Ainsi quoiqu’on ne puisse pas marquer précisément en quel tems les tribus commencerent à avoir part aux comices des centuries, nous croyons néanmoins pouvoir assurer que ce ne fut que depuis l’établissement de leurs comices, & nous ne doutons pas même que ce ne soit des tribus que le droit de prérogatives passa aux centuries, car il est certain qu’originairement il n’étoit point en usage dans leurs comices.

Il y a bien de l’apparence au reste, que ce fut en faveur du peuple, pour rétablir en quelque maniere l’égalité des suffrages dans les comices des centuries, & sur-tout afin de pouvoir les tenir dans la ville sans violer les lois, que cet usage s’établit, & qu’on leur donna cette nouvelle forme.

Il seroit inutile de citer tous les passages qui ont rapport à ce sujet ; nous en choisirons seulement deux ou trois qui puissent nous en apprendre des particularités différentes.

Le premier fait mention en général de toutes les tribus dans une occasion où il étoit question de décider de la guerre, & qui étoit par conséquent du ressort des centuries. Tit. Liv. lib. VI. cap. xxj. Tunc ut bellum juberent latum ad populum est, & ne quicquam dissuadentibus tribunis plebis omnes tribus bellum jusserunt.

Dans le second, il s’agit de l’élection des tribuns

militaires qui étoit encore du ressort des centuries, & cependant il y est parlé non-seulement de la tribu prérogative, c’est-à-dire, de celle qui donnoit sa voix la premiere, mais encore de toutes les autres qui étoient ensuite appellées dans leur ordre naturel, & qui se nommoient à cause de cela jure vocatæ : Tit. Liv. lib. V. cap. xviij. Haud invitis patribus, P. Licinium Calvum prærogativa tribunum militum.... creant.... omnesque deinceps ex collegio ejusdem anni refici apparebat..... qui priusquam renuntiarentur jure vocatis tribubus, permissu interregis, P. Licinius Calvus ita verba fecit.

Enfin, le dernier passage regarde l’élection des consuls, & nous donnera lieu de faire encore quelques remarques sur ce sujet : Tit. Liv. lib. XXVI. cap. xxij. Fulvius Romam comitiorum causâ arcessitus, cùm comitia consulibus rogandus haberet prærogativa Veturia juniorum declaravit T. Manlium Torquatum & T. Otacilum. Manlius qui præsens erat, gratulandi causâ cùm turba coiret nec dubius esset consensus populi, magnâ circumfusus turbâ ad tribunal consulis venit, petiitque ut pauca sua verba audiret, centuriamque quæ tulisset suffragium revocari juberet..... Tum centuria & autoritate motâ viri & admirantium circa fremitu, petit à consule ut veturiam seniorum citaret, velle sese cum majoribus-natu colloqui, & ex auctoritate eorum consules dicere. Citatis veturiæ senioribus, datum secretò in ovili cum his colloquendi tempus...... ita de tribus consultatione data, senioribus dimissis, juniores suffragium ineunt, M. Claudium Marcellum...... & M. Valer.. absentem coss. dixerunt auctoritatem, prærogativæ omnes centuriæ secutæ sunt.

On voit par ce passage ; premierement, que le suffrage de la prérogative ne demeuroit point secret, & qu’on avoit coutume de le publier avant que de prendre celui des autres tribus. Secondement, que son suffrage étoit d’un si grand poids, qu’il ne manquoit presque jamais d’être suivi, & qu’on en recevoit sur le champ les complimens, comme si l’élection eut déja été faite ; c’est ce qui a donné lieu à Ciceron de dire, que le présage en étoit infaillible ; Tanta est illis comitiis religio, ut adhuc semper omen valuerit prærogativum, & que celui qui l’avoit eu le premier, n’avoit jamais manqué d’être élu : Prærogativa tantum habet auctoritatis, ut nemo unquam prior eam tulerit, quin renuntiatus sit. Enfin ce passage nous apprend encore que celui qui tenoit ces comices, pouvoit reprendre le suffrage des tribus, & leur permettre même de consulter ensemble pour faire un nouveau choix. Mais en voilà assez sur les comices des centuries, passons à la milice.

Quoique les levées se fussent faites d’abord par les centuries, ainsi que Servius Tullius l’avoit établi, il est sûr qu’elles se firent aussi dans la suite par les tribus : & la preuve s’en tire du lieu même où elles se faisoient ; car c’étoit ordinairement dans la grande place : mais le choix des soldats ne s’y faisoit pas toujours de la même maniere ; c’étoit quelquefois uniquement le sort qui en décidoit, & surtout lorsque le peuple refusoit de prendre les armes.

Quelquefois au contraire, c’étoit en partie par le sort, & en partie par le choix des tribuns qu’ils se levoient ; par le sort pour l’ordre des tribus ; & par le choix des tribuns pour les soldats qu’on en tiroit. Enfin Tite-Live nous apprend que lorsqu’on n’avoit pas besoin d’un si grand nombre de soldats, ce n’étoit pas de tout le peuple qu’ils se levoient, mais seulement d’une partie des tribus que l’on tiroit au sort.

A l’égard du cens, c’étoit une des occasions où les tribus étoient le plus d’usage, & cependant le principal sujet pour lequel les classes & les centuries avoient été instituées. Aussi ne cessoient-elles pas entierement d’y avoir part, & elles y servoient du moins à distinguer l’âge & la fortune des citoyens