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témoins : mais nous n’avons presque aucune connoissance de l’état où elles étoient sous les rois, parce que personne n’en avoit écrit dans le tems, & que les monumens publics & particuliers qui auroient pu en conserver la mémoire, avoient été ruinés par les incendies.

Les anciens qui ont varié sur l’époque, sur le nombre des tribus, & même sur l’étymologie de leur nom, ne sont pas au fond si contraires qu’ils le paroissent, les uns n’ayant fait attention qu’à l’origine des tribus qui subsistoient de leur tems, les autres qu’à celle des tribus instituées par Romulus & supprimées par Servius Tullius. Il y a eu deux sortes de tribus instituées par Romulus, les unes avant l’enlevement des Sabines, les autres après qu’il eut reçu dans Rome les Sabins & les Toscans. Les trois nations ne firent alors qu’un même peuple sous le nom de Quirites, mais elles ne laisserent pas de faire trois différentes tribus ; les Romains sous Romulus, d’où leur vint le nom de Ramnes ; les Sabins sous Tatius, dont ils porterent le nom ; & les Toscans appellés Luceres sous ces deux princes.

Pour se mettre au fait de leur situation, il faut considérer Rome dans le tems de sa premiere enceinte, & dans le tems que cette enceinte eut été aggrandie après l’union des Romains, des Sabins, & des Toscans. Dans le premier état, Rome ne comprenoit que le mont Palatin dont chaque tribu occupoit le tiers ; dans le second, elle renfermoit la roche tarpéienne ; & la vallée qui séparoit ces deux monticules fut le partage des Toscans, & l’on y joignit le mont Aventin & le Janicule : la montagne qu’on nomma depuis le capitole, fut celui des Sabins, qui s’étendirent aussi dans la suite sur le mont Cœlius.

Voilà quelle étoit la situation des anciennes tribus, & quelle en fut l’étendue, tant qu’elles subsisterent ; car il ne leur arriva de ce côté-là aucun changement jusqu’au regne de Servius Tullius, c’est à-dire jusqu’à leur entiere suppression. Il est vrai que Tarquinius Priscus entreprit d’en augmenter le nombre, & qu’il se proposoit même de donner son nom à celles qu’il vouloit établir ; mais la fermeté avec laquelle l’augure Nævius s’opposa à son dessein, & l’usage qu’il fit alors du pouvoir de son art, ou de la superstition des Romains, en empêcherent l’exécution. Les auteurs remarquent qu’une action si hardie & si extraordinaire lui fit élever une statue dans l’endroit même où la chose se passa. Et Tite-Live ajoute que le prétendu miracle qu’il fit en cette occasion, donna tant de crédit aux auspices en général & aux augures en particulier, que les Romains n’oserent plus rien entreprendre depuis sans leur aveu.

Tarquin ne laissa pas néanmoins de rendre la cavalerie des tribus plus nombreuse ; & l’on ne sauroit nier que de ce côté-là il ne leur soit arrivé divers changemens : car à mesure que la ville se peuploit, comme ses nouveaux habitans étoient distribués dans les tribus, il falloit nécessairement qu’elles devinssent de jour en jour plus nombreuses, & par conséquent que leurs forces augmentassent à-proportion. Aussi voyons-nous que dans les commencemens chaque tribu n’étoit composée que de mille hommes d’infanterie, d’où vint le nom de miles, & d’une centaine de chevaux que les Latins nommoient centuria equitum. Encore faut-il remarquer qu’il n’y avoit point alors de citoyen qui fût exemt de porter les armes. Mais lorsque les Romains eurent fait leur paix avec les Sabins, & qu’ils les eurent reçus dans leur ville avec les Toscans qui étoient venus à leur secours ; comme ces trois nations ne firent plus qu’un peuple, & que les Romains ne firent plus qu’une tribu, les forces de chaque tribu durent être au-moins de trois mille hommes d’infanterie & de trois cens chevaux, c’est-à-dire

trois fois plus considérables qu’auparavant.

Enfin quand le peuple romain fut devenu beaucoup plus nombreux, & qu’on eut ajouté à la ville les trois nouvelles montagnes dont on a parlé ; savoir le mont Coelius pour les Albains, que Tullus Hostilius fit transférer à Rome après la destruction d’Albe, & le mont Aventin avec le Janicule pour les Latins qui vinrent s’y établir, lorsqu’Ancus Martius se fut rendu maître de leur pays, les tribus se trouvant alors considérablement augmentées & en état de former une puissante armée, se contenterent néanmoins de doubler leur infanterie, qui étoit, comme nous venons de voir, de 9000 hommes. Ce fut alors que Tarquinius Priscus entreprit de doubler aussi leur cavalerie, & qu’il la fit monter à 1800 chevaux, pour répondre aux dix huit mille hommes dont leur infanterie étoit composée.

Ce sont-là tous les changemens qui arriverent aux tribus du côté des armes, & il ne reste plus qu’à les considérer du côté du gouvernement.

Quoique les trois nations dont elles étoient composées ne formassent qu’un peuple, elles ne laisserent pas de vivre chacune sous les lois de leur prince naturel, jusqu’à la mort de T. Tatius : car nous voyons que ce roi ne perdit rien de son pouvoir, quand il vint s’établir à Rome, & qu’il y régna conjointement, & même en assez bonne intelligence avec Romulus tant qu’il vécut. Mais après sa mort les Sabins ne firent point de difficulté d’obéir à Romulus, & suivirent en cela l’exemple des Toscans qui l’avoient déjà reconnu pour leur souverain. Il est vrai que lorsqu’il fut question de lui choisir un successeur, les Sabins prétendirent que c’étoit à leur tour à régner, & surent si bien soutenir leurs droits contre les Romains, qui ne vouloient point de prince étranger, qu’après un an d’interregne on fut enfin obligé de prendre un roi de leur nation. Mais comme il n’arriva par-là aucun changement au gouvernement, les tribus demeurerent toujours dans l’état où Romulus les avoit mises, & conserverent leur ancienne forme tant qu’elles subsisterent.

La premiere chose que fit Romulus, lorsqu’il les eut réunies sous sa loi, fut de leur donner à chacune un chef de leur nation, capable de commander leurs troupes & d’être ses lieutenans dans la guerre. Ces chefs que les auteurs nomment indifféremment tribuni & præfecti tribuum, étoient aussi chargés du gouvernement civil des tribus ; & c’étoit sur eux que Romulus s’en reposoit pendant la paix. Mais comme ils étoient obligés de le suivre lorsqu’il se mettoit en campagne, & que la ville seroit demeurée par-là sans commandant, il avoit soin d’y laisser en sa place un gouverneur qui avoit tout pouvoir en son absence, & dont les fonctions duroient jusqu’à son retour. Ce magistrat se nommoit præfectus urbis, nom que l’on donna depuis à celui que l’on créoit tous les ans pour tenir la place des consuls pendant les féries latines : mais comme les fonctions du premier étoient beaucoup plus longues, les féries latines n’étant que de deux ou trois jours, son pouvoir étoit aussi beaucoup plus étendu ; car c’étoit pour lors une espece de viceroi qui décidoit de tout au nom du prince, & qui avoit seul le droit d’assembler le peuple & le sénat en son absence.

Quoique l’état fût alors monarchique, le pouvoir des rois n’étoit pas si arbitraire, que le peuple n’eût beaucoup de part au gouvernement. Ses assemblées se nommoient en général comices, & se tenoient dans la grande place ou au champ de Mars. Elles furent partagées en différentes classes, les curies, les centuries, & les nouvelles tribus.

Il faut bien prendre garde au reste de confondre les premieres assemblées du peuple sous les rois & du tems des anciennes tribus, avec ces comices des