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La tranchée s’ouvre ordinairement lorsque les lignes de circonvallation & de contrevallation sont à-peu-près aux deux tiers de leur façon. Dès que ces lignes sont tracées, l’ingénieur qui a la principale direction du siege, examine le côté le plus favorable pour les approches & le moins susceptible de défense. Il regle sur le plan de la place & de ses environs la disposition & le nombre des attaques ; après quoi le terrein qu’elles doivent occuper étant bien reconnu, il se met en état de faire travailler à la tranchée, c’est-à-dire, d’en faire commencer l’ouvrage. C’est ce commencement de travail qui se nomme l’ouverture de la tranchée.

Pour se diriger dans ce travail, on prolonge dans la campagne les capitales des bastions du front de l’attaque. Pour cet effet on plante hors de la portée du fusil des piquets dans le prolongement de l’angle flanqué des bastions, & de l’angle saillant du chemin-couvert opposé. Ces deux points pouvant être remarqués aisément de loin ; ils donnent le moyen de planter facilement plusieurs piquets dans leur alignement. On peut avoir de même le prolongement des capitales de tous les autres ouvrages qu’on peut avoir à attaquer, ou qui couvrent ou forment le front de l’attaque. On attache des bouchons de paille aux piquets qui donnent ces alignemens, afin de les distinguer ou remarquer plus facilement dans la nuit.

Le général regle aussi l’état des gardes d’infanterie & de cavalerie qui doivent être de service chaque jour, & de maniere qu’elles aient au-moins trois ou quatre jours de repos, & qu’elles soient aussi suffisantes pour repousser les sorties que peuvent faire les troupes de la garnison.

On détermine aussi en même tems la cavalerie qui doit porter la fascine, & les travailleurs de jour & de nuit, qui doivent être en fort grand nombre les premieres & secondes gardes, ce qui se fait un jour ou deux avant l’ouverture de la tranchée, à la diligence du major général & du maréchal général des logis de la cavalerie. Ces deux officiers ont soin de faire avertir les troupes de bien reconnoître la situation des gardes. Ils doivent aussi s’entendre & se concerter avec le directeur général de la tranchée, recevoir de lui les demandes journalieres qu’il est obligé de leur faire sur les besoins de la tranchée, & avoir soin qu’il ne lui manque rien.

Tout cela préparé, le directeur regle son détail avec les ingénieurs. Il les instruit du lieu où il veut ouvrir la tranchée, & il a besoin de leur faire prendre de la méche ou des cordeaux, des piquets & des maillets pour la tracer. On fait porter tout cela en paquets par des soldats, qui ont soin de tenir toutes ces choses en état de s’en servir lorsqu’il en est besoin.

Lorsque tout est reglé, on pose une petite garde près des lieux où le travail doit commencer, afin d’empêcher qu’on n’y dérange rien, & qu’on ne les fréquente pas trop, car il est important de cacher son dessein autant qu’on le peut.

Le jour de l’ouverture étant venu, les gardes s’assemblent sur les deux ou trois heures après midi, elles se mettent en bataille, après quoi on leur fait la priere. Le général les voit défiler si bon lui semble. Les travailleurs s’assemblent aussi près de-là, étant tous munis de fascines, de piquets, & outre cela d’une pelle & d’une pioche.

Quand la nuit approche, & que le jour commence à tomber, les gardes se mettent en marche, chaque soldat portant une fascine avec ses armes, ce qui doit se pratiquer à toutes les gardes. A l’égard des outils, il suffit d’en faire prendre aux travailleurs les deux premieres gardes, & de les faire laisser à la tranchée où on les retrouve.

La garde de cavalerie va prendre en même tems les postes qui doivent lui avoir été marqués sur la droite

& la gauche des attaques, ou sur l’une des deux, selon qu’il a été jugé convenable : tout cela se fait le premier jour en silence & sans tambours ni trompette. Les grenadiers & les autres détachemens marchent à la tête de tout, suivis des bataillons de la tranchée, & ceux-ci des travailleurs, lesquels sont tous disposés par divisions de 50 en 50 ; chaque division est commandée par un capitaine, un lieutenant & deux sergens. On les fait marcher par quatre ou six de front jusqu’à l’endroit où l’on veut commencer le travail. Lorsque la tête de ces travailleurs est arrivée, le brigadier ingénieur du jour, qui a le dessein des attaques projettées, va poser les brigades en avant par les lieux où la tranchée doit passer, pendant que les bataillons s’arrangent à droite & à gauche de l’ouverture de la premiere tranchée derriere les couverts qui s’y trouvent, sinon aux endroits qui auront été marqués à leur major, où ils déchargent leurs fascines.

Ils se reposent ensuite sur leurs armes en silence, toujours prêts à exécuter les ordres qui leur sont donnés.

Pendant cet arrangement, le brigadier ou l’ingénieur qui a posé ces détachemens, donne le premier coup de cordeau, & il montre aux sous-brigadiers ce qu’il y a à faire pour continuer à tracer la tranchée. Il fait ensuite défiler les travailleurs un à un portant la fascine sous le bras droit, si la place est à droite, & sous la gauche, quand on la laisse à gauche. Il commence lui-même par poser le premier des travailleurs, puis le deuxieme, troisieme, quatrieme, cinquieme, &c. l’un après l’autre, leur recommandant :

1°. Le silence :

2°. De se coucher sur leur fascine.

3°. De ne point travailler qu’on ne le leur commande.

Quand le brigadier en a posé ainsi plusieurs, il cede sa place au premier ingénieur qui le suit & qui continue à poser & faire poser, pendant que lui brigadier va prendre garde au tracé. Tout cela se continue de la sorte, jusqu’à ce qu’on ait tout posé, observant bien :

1°. Tous les replis & retours de la tranchée :

2°. De faire avancer les gens détachés, à-mesure qu’on avance le tracé :

3°. De couvrir les brisures des retours par un prolongement de deux ou trois toises en arriere, ce qui se fait aux dépens de la ligne en retour, & ainsi de toutes les autres.

4°. De faire jetter la terre de la tranchée du côté de la place, pour s’en former un parapet qui mette à couvert du feu de ses ouvrages.

5°. De prendre bien garde de ne pas s’enfiler ; c’est-à-dire, de diriger les boyaux de la tranchée, de maniere que leur prolongement ne donne sur aucun des ouvrages de la place. Car il est évident qu’alors le feu de ces ouvrages découvriroit les boyaux dans toute leur longueur. Il faut prendre garde aussi de trop s’écarter dans la campagne, pour ne pas faire plus de retours ou d’ouvrages qu’il n’est nécessaire. On doit s’attacher à faire ensorte que les prolongemens des différentes parties de la tranchée rasent les parties les plus avancées des dehors de la place, ou qu’ils ne donnent qu’environ à dix ou douze toises près ; ce qui ne peut guere se faire que par estime, à-moins qu’on n’ait commencé à tracer avant que le jour soit tout-à-fait tombé, ce qui est toujours mieux, lorsqu’on le peut sans grand risque.

6°. De ne pas s’éloigner des capitales prolongées, dont il faut renouveller les piquets de tems-en-tems, & les coëffer d’un bouchon de paille afin de les reconnoître, même de quelque bout de meche allumée pendant la nuit ; parce qu’il faut se faire une loi de ne pas s’en éloigner, & de les croiser fréquemment. Il faut être en état de les reconnoître pour se diriger