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coupé en cinq segmens ovoïdes & creux. Le germe du pistil est arrondi & sillonné de trois raies. Le stile est simple, droit & plus long que le calice. Le stigma est fendu en trois, & est déployé. Le fruit est une grosse capsule rondelette & à trois coques ; les semences sont simples & arrondies. Linnæi Gen. plant. p. 448. (D. J.)

TRAGIQUE, le (Poésie dram.) Le tragique est ce qui forme l’essence de la tragédie. Il contient le terrible & le pitoyable, ou si l’on veut, la terreur & la pitié. La terreur est un sentiment vif de sa propre foiblesse à la vue d’un grand danger : elle est entre la crainte & le désespoir. La crainte nous laisse encore entrevoir, au moins confusément, des moyens d’échapper au danger. Le desespoir se précipite dans le danger même. La terreur au contraire affaisse l’ame, l’abat, l’anéantit en quelque sorte, & lui ôte l’usage de toutes ses facultés : elle ne peut ni fuir le danger ni s’y précipiter. Or c’est ce sentiment que produit dans Sophocle le malheur d’Œdipe. On y voit un homme né sous une étoile malheureuse, poursuivi constamment par son destin, & conduit au plus grand des malheurs par des succès apparens. Ce n’est point là, quoi qu’en ait dit un de nos beaux esprits, un coup de foudre qui fait horreur, ce sont des malheurs de l’humanité qui nous effraient. Quel est l’homme malheureux qui n’attribue au-moins une partie de son malheur à une étoile funeste ? Nous sentons tous que nous ne sommes pas les maîtres de notre sort ; que c’est un être supérieur qui nous guide, qui nous emporte quelquefois ; & le tableau d’Œdipe n’est qu’un assemblage de malheurs dont la plupart des hommes ont éprouvé au-moins quelque partie ou quelque degré. Ainsi, en voyant ce prince, l’homme foible, l’homme ignorant l’avenir, l’homme sentant l’empire de la divinité sur lui, craint, tremble pour lui-même, & pleure pour Œdipe : c’est l’autre partie du tragique, la pitié qui accompagne nécessairement la terreur, quand celle-ci est causée en nous par le malheur d’autrui.

Nous ne sommes effrayés des malheurs d’autrui, que parce que nous voyons une certaine parité entre le malheureux & nous ; c’est la même nature qui souffre, & dans l’acteur & dans le spectateur. Ainsi, l’action d’Œdipe étant terrible, elle est en même tems pitoyable ; par conséquent elle est tragique. Et à quel degré l’est-elle ! Cet homme a commis les plus noirs forfaits, tué son pere, epousé sa mere ; ses enfans sont ses freres ; il l’apprend, il en est convaincu dans le tems de sa plus grande sécurité ; sa femme, qui est en même-tems sa mere, s’étrangle ; il se creve les yeux dans son désespoir : il n’y a pas d’action possible qui renferme plus de douleur & de pitié.

Le premier acte expose le sujet ; le second fait naître l’inquiétude ; dans le troisieme, l’inquiétude augmente ; le quatrieme est terrible : « Me voilà prêt à dire ce qu’il y a de plus affreux,........ & moi à l’entendre » ; le cinquieme est tout rempli de larmes.

Par-tout où le tragique ne domine pas, il n’y a point de tragédie. Le vrai tragique regne, lorsqu’un homme vertueux, ou du-moins plus vertueux que vicieux, est victime de son devoir, comme le sont les Curiaces ; ou de sa propre foiblesse, comme Ariane & Phedre ; ou de la foiblesse d’un autre homme, comme Polieucte ; ou de la prévention d’un pere, comme Hippolyte ; ou de l’emportement passager d’un frere, comme Camille ; qu’il soit précipité par un malheur qu’il n’a pu éviter, comme Andromaque ; ou par une sorte de fatalité à laquelle tous les hommes sont sujets, comme Œdipe ; voilà le vrai tragique ; voilà ce qui nous trouble jusqu’au fond de l’ame, & qui nous fait pleurer. Qu’on y

joigne l’atrocité de l’action avec l’éclat de la grandeur, ou l’élévation des personnages ; l’action est héroïque en même tems & tragique, & produit en nous une compassion mêlée de terreur ; parce que nous voyons des hommes, & des hommes plus grands, plus puissans, plus parfaits que nous, écrasés par les malheurs de l’humanité. Nous avons le plaisir de l’émotion, & d’une émotion qui ne va point jusqu’à la douleur ; parce que la douleur est le sentiment de la personne qui souffre, mais qui reste au point où elle doit être, pour être un plaisir.

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait du sang répandu, pour exciter le sentiment tragique. Ariane abandonnée par Thésée dans l’île de Naxe ; Philoctete dans celle de Lemnos, y sont dans des situations tragiques, parce qu’elles sont aussi cruelles que la mort même : elles en présentent même une idée funeste, où l’on voit la douleur, le désespoir, l’abattement, enfin tous les maux du cœur humain.

Mais la punition d’un oppresseur n’opere point le tragique. Mithridate tué ne me cause pas de pitié, non plus qu’Athalie & Aman, ni Pyrrhus. De-même les situations de Monime, de Joad, d’Esther, d’Andromaque, ne me causent point de terreur. Ces situations sont très-touchantes ; elles serrent le cœur, troublent l’ame à un certain point, mais elles ne vont pas jusqu’au but. Si nous les prenons pour du tragique, c’est parce qu’on l’a donné pour tel, que nous sommes accoutumés à nous en tenir à quelque ressemblance, & qu’enfin, quand il s’agit de plaisir, nous ne croyons pas toujours nécessaire de calculer exactement ce qu’on pourroit nous donner. Où sont donc les dénouemens vraiment tragiques ? Phedre & Hippolyte, les freres ennemis, Britannicus, Œdipe, Polieucte, les Horaces, en voilà des exemples. Le héros pour qui le spectateur s’intéresse, tombe dans un malheur atroce, effrayant : on sent avec lui les malheurs de l’humanité ; on en est pénétré ; on souffre autant que lui.

Aristote se plaignoit de la mollesse des spectateurs athéniens, qui craignoient la douleur tragique. Pour leur épargner des larmes, les poëtes prirent le parti de tirer du danger le héros aimé, nous ne sommes pas moins timides sur cet article que les Athéniens. Nous avons si peur de la douleur, que nous en craignons même l’ombre & l’image, quand elle a un peu de corps. C’est ce qui amollit, abatardit le tragique parmi nous. On sent l’effet de cette altération, quand on compare l’impression que fait Polieucte avec celle d’Athalie. Elles sont touchantes toutes deux : mais dans l’une l’ame est plongée, noyée dans une tristesse délicieuse : dans l’autre, après quelques inquiétudes, quelques momens d’alarmes, l’ame est soulevée par une joie qui s’évapore, & se perd dans l’instant. (D. J.)

Tragique bourgeois. (Poëme dramat. trag.) Le tragique-bourgeois est une piece dramatique, dont l’action n’est pas héroïque, soit par elle-même, soit par le caractere de ceux qui la font ; elle n’est pas héroïque par elle-même ; c’est-à-dire, qu’elle n’a pas un grand objet, comme l’acquisition d’un trône, la punition d’un tyran. Elle n’est pas non plus héroïque par le caractere de ceux qui la font ; parce que ce ne sont pas des rois, des conquérans, des princes qui agissent, ou contre lesquels on agit.

Quoique la tragédie définisse la représentation d’une action héroïque, il n’est pas douteux qu’on ne puisse mettre sur le théatre un tragique-bourgeois. Il arrive tous les jours dans les conditions médiocres des événemens touchans qui peuvent être l’objet de l’imitation poétique. Il semble même que le grand nombre des spectateurs étant dans cet état mitoyen, la proximité du malheureux & de ceux qui le voient souffrir, seroit un motif de