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n’est donc ni une doctrine secrette & profonde qu’on devoit cacher, ni le vrai sens des livres du nouveau Testament ; c’étoient des explications mystiques du vieux Testament, qui n’ont été connues que des apôtres.

Quand saint Paul dit dans sa premiere épître aux Thessaloniens, chap. ij. vers. xv. gardez nos traditions ; c’est la doctrine que nous vous avons enseignée, ou que vous avez apprise de nous (pour me servir de la version de M. Simon), l’apôtre n’entend par traditions que des instructions. Il convient même de remarquer que c’est le seul endroit du nouveau Testament où le mot tradition, παραδόσις, soit employé favorablement pour une bonne doctrine, une instruction utile & solide. Par-tout ailleurs il désigne des doctrines humaines & condamnables ; voyez-en des exemples dans Matth. xv. Marc vij. Coloss. ij. vers. 9. &c.

Je n’ignore pas que l’ancienne Eglise a approuvé des traditions ; mais ce n’étoient que des traditions concernant des usages, des pratiques, qui, au défaut de l’autorité de l’Ecriture, avoient été introduites par les premiers peres, & non pour établir des dogmes de foi. A ce dernier égard, l’Eglise ne recevoit que ce qui se trouvoit enseigné dans les livres sacrés, adorando plenitudinem scripturæ, comme s’exprime un des peres.

Il n’en est pas de même des rites & des cérémonies. Les successeurs recevoient celles qui avoient été instituées par leurs prédécesseurs, pourvu qu’elles leur parussent édifiantes & raisonnables. Tertullien, cap. iv. lib. de coronâ, traite de ces traditions reçues dans l’Eglise sans être fondées par l’Ecriture sainte, mais néanmoins appuyées d’une ancienne coutume, qui faisoient présumer qu’elles tiroient leur origine de quelque tradition apostolique. Cependant on lui contestoit ce principe ; il y avoit même de son tems des docteurs qui vouloient que toute tradition fût fondée sur l’autorité de l’Ecriture. Là-dessus il tâche de prouver par des faits qu’une tradition, quoique non écrite, doit être reçue. Il rapporte divers exemples de ces usages ecclésiastiques qui se pratiquoient, sans qu’on en trouvât rien dans l’Ecriture ; & entre ces usages, il y a celui-ci. Nous souffrons, dit-il, avec peine qu’il tombe à terre quelque chose du calice, du pain de l’Eucharistie, ou même de notre pain ordinaire. Si vous demandez, poursuit Tertullien, quelque passage de l’Ecriture qui ordonne ces observations, vous n’en trouverez point. La tradition les a introduites, la coutume les a confirmées, & la foi les garde ; si d’un autre côté vous les considérez, vous verrez que la raison autorise, à cet égard, la tradition, la coutume & la foi. Là-dessus M. Rigault ajoute cette remarque. « La tradition sans raison seroit vaine ; c’est pourquoi l’apôtre n’exige point d’obéissance qui ne soit raisonnable ».

En effet, comme tout s’altere avec le tems, & que rien n’est plus fautif que les témoignages de vive voix en matiere de doctrine, il en résulte que si la doctrine de Jesus-Christ n’eût pas été écrite par les apôtres, il eût été impossible de la conserver pure, & même elle ne fut que trop-tôt altérée par de fausses opinions. Entre des preuves sans nombre, ce que Clément d’Alexandrie dit de lui-même, peut suffire pour démontrer combien la tradition rendroit la religion incertaine sans l’Ecriture. Ce pere de l’Eglise, après avoir parlé des maîtres qu’il avoit eu, & qu’il nous donne pour des hommes du plus grand mérite & de la plus haute vertu, il ajoute : « Ceux qui ont conservé la véritable tradition de cette précieuse doctrine, transmise d’abord par les apôtres Pierre, Jacques, Jean & Paul, ensorte que le fils la recevoit de son pere (mais entre ces fils peu ressemblent à leurs peres) ; ceux-là nous ont fait parvenir par

la volonté de Dieu ces semences apostoliques confiés à nos ancêtres ». Stromat. lib. I. p. 274 & 275. Cependant si l’on compare la doctrine de ce pere qu’il tenoit, comme il assûre, de grands hommes qui l’avoient reçue des apôtres ou de leurs disciples, & de disciples qui ressembloient à leurs maîtres ; si, dis-je, l’on compare cette doctrine en plusieurs articles avec celle que nous avons aujourd’hui, on y verra bien des différences. De-là vient que cet habile auteur n’est point honoré du titre de saint, comme quantité d’autres qui ne le veulent pas, & que l’on croit trouver beaucoup d’hérésies dans ses livres ; c’est aussi la raison pourquoi les Grecs en ont laissé périr plusieurs. (D. J.)

Tradition mythologique, (Mythol.) on nomme traditions mythologiques, les fables transmises à la postérité, & qui lui sont parvenues après s’être chargées d’âge en âge de nouvelles fictions, par lesquelles les poëtes ont cherché comme à-l’envi, à en augmenter le merveilleux.

Afin qu’une tradition historique, selon la judicieuse remarque de M. Freret, puisse avoir quelque autorité, il faut qu’elle remonte d’âge en âge jusqu’au tems dont elle dépose, que l’on puisse en suivre la trace sans interruption, ou que du-moins dans tout cet intervalle, on ne puisse en assigner le commencement, ni montrer un tems dans lequel elle ait été inconnue. C’est-là une des premieres regles de la critique, & l’on ne doit pas en dispenser les traditions mythologiques, & leur donner un privilege dont les traditions historiques n’ont jamais joui.

Tout ce que l’on a droit de conclure des traditions fabuleuses, les plus constamment & les plus universellement reçues, c’est que ces fables avoient probablement leur fondement dans quelque fait historique, défiguré par l’ignorance des peuples, & altéré par la hardiesse des Poëtes. Mais si l’on veut aller plus loin, & entreprendre de déterminer la nature & les circonstances de ce fait historique, quelque probable & quelque ingénieuse que soit cette explication, elle ne s’élévera jamais au-dessus de l’ordre conjectural, & elle sera toujours insuffisante pour établir une vérité historique, & pour en conclure l’existence d’une coutume ou d’un usage dans les tems fabuleux. Voyez Mythologie, Fable, &c. (D. J.)

Tradition, (Jurisp.) est l’action de livrer une chose.

La tradition est une des manieres d’acquérir, ou droit des gens, par laquelle en transférant à quelqu’un la possession d’une chose corporelle, on lui en transmet la propriété ; pourvû que la tradition ait été faite par le véritable propriétaire, pour une juste cause, & avec intention de transférer la propriété.

Suivant le droit civil, & parmi nous, la tradition est regardée comme l’accomplissement de la convention.

Il y a néanmoins des contrats qui sont parfaits sans tradition réelle, & pour lesquels une tradition feinte suffit ; comme la vente d’un immeuble, à la différence de la vente des choses qui se livrent au nombre, poids & mesure, laquelle n’est parfaite que par la tradition réelle : il en est de même des donations. Voyez les instit. tit. de acquir. rer. domin. & Donat, tit. des convent. & du contrat de vente.

Tradition par l’anneau, per annulum, étoit celle qui se faisoit en mettant un anneau au doigt de celui auquel on remettoit la possession d’une église, ou d’une dignité, d’un héritage, &c. Voyez l’article suivant.

Tradition par le bâton, per baculum, étoit une tradition feinte, qui se pratiquoit anciennement en remettant entre les mains de l’acheteur ou nouveau possesseur, un bâton en signe de la possession qu’on lui remettoit. Voyez Baton, Institut, & le glos-