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noître & distinguer sensiblement les masses. De plus, l’habitude de s’en servir doit bientôt diminuer, ou même cet inconvénient doit disparoître. Les Imprimeurs, comme on sait, par l’usage qu’ils ont de composer en renversant les lettres pour l’impression, lisent aussi-bien dans ce sens, comme si elles étoient droites.

Le télescope catoptrique ou cata-dioptrique, ou de réflexion, est principalement composé de miroirs en place de verres ou de lentilles ; & au-lieu de représenter les objets par réfraction comme les autres, il les représentent par réflexion. Voyez Catoptrique.

On attribue ordinairement l’invention de ce télescope à l’illustre Newton. Ses grandes découvertes en optique, les voies par lesquelles il a été mené à l’imaginer ; le succès qu’il a eu en l’exécutant, ayant été le premier qui en ait fait un ; enfin son nom, sont autant de titres auprès de beaucoup de personnes pour l’en regarder comme l’inventeur.

Cependant, s’il l’inventa, comme on n’en peut presque pas douter, par ce que nous rapporterons dans la suite, il ne fut pas le premier. Il ne commença à penser à ce télescope, comme il le dit lui-même, qu’en 1666, & trois ans auparavant, c’est-à-dire en 1663, Jacques Gregorie, savant géometre écossois, avoit donné dans son optica promota, sa description d’un télescope de cette espece. Cassegrain, en France, avoit eu aussi à peu-près dans le même tems, une idée semblable ; mais ce qu’on aura peut-être de la peine à croire, c’est que la premiere invention de ce télescope date de plus de 20 ans auparavant, & appartient incontestablement au pere Mersenne.

En effet, on trouve dans la proposition septieme de sa catoptrique, où il parle de miroirs composés, ces paroles remarquables. « On compose un grand miroir concave parabolique, avec un petit convexe, ou concave aussi parabolique, y ajoutant, si on veut, un petit miroir plan, le tout à dessein de faire un miroir ardent qui brûlera à quelque distance aux rayons du soleil. La même composition peut aussi servir pour faire un miroir à voir de loin, & grossir les especes, comme les lunettes de longue vue ». Immédiatement après, il dit encore la même chose, en supposant seulement qu’au-lieu du petit miroir parabolique, on lui en substitue un hyperbolique. Dans sa ballistique, il donne la figure de cette espece de miroir, & on voit distinctement dans cette figure une grande parabole, au foyer de laquelle, ou plutôt un peu plus loin, se trouve une petite parabole qui réfléchit parallélement au-travers d’une ouverture, faite dans le fond de la premiere, les rayons paralleles qui tombent sur celle-ci. Or ce qui montre que cette idée d’un télescope de réflexion n’étoit point, comme on le pourroit croire, de ces idées vagues qui passent par la tête d’un savant, & dont il parle souvent sans s’en être occupé, c’est ce qu’on trouve dans deux lettres de Descartes. Voyez la xxix & la xxxij. du vol. II. de ses lettres, où il semble répondre à ce pere, qui apparemment lui avoit demandé son sentiment touchant ces nouveaux télescopes.

« Les lunettes, dit-il, que vous proposez avec des miroirs, ne peuvent être ni si bonnes ni si commodes que celles que l’on fait avec des verres ; 1°. pour ce que l’œil n’y peut être mis fort proche du petit verre ou miroir, ainsi qu’il doit être ; 2°. qu’on n’en peut exclure la lumiere comme aux autres avec un tuyau ; 3°. qu’elles ne devroient pas être moins longues que les autres, pour avoir les mêmes effets, & ainsi ne seroient guere plus faciles à faire ; & s’il se perd des rayons sur les superficies des verres, il s’en perd aussi beaucoup sur celles des miroirs. »

Dans la seconde lettre, il ajoute : « Vos difficultés touchant les lunettes par réflexion, viennent de ce

que vous considérez les rayons qui viennent paralleles d’un même côté de l’objet, & s’assemblent en un point, sans considérer avec cela ceux qui viennent des autres côtés, & s’assemblent aux autres points dans le fond de l’œil où ils forment l’image de l’objet. Car cette image ne peut être aussi grande, par le moyen de vos miroirs, que par les verres, si la lunette n’est aussi longue ; & étant si longue, l’œil sera fort éloigné du petit miroir, à savoir de toute la longueur de la lunette, & on n’exclud pas si bien la lumiere collatérale par votre tuyau ouvert de toute la largeur du grand miroir que par les tuyaux fermés des autres lunettes ».

Ces deux passages sont si importans, que j’ai cru devoir les rapporter en entier. En effet ils prouvent que le P. Mersenne, comme nous l’avons dit, s’étoit fort occupé du télescope de réflexion, & que la construction qu’il comptoit lui donner, étoit toute semblable à celle qu’ils ont aujourd’hui ; le grand miroir devant être (comme on le voit par les objections de Descartes) dans le fond d’un tuyau, & le petit miroir à une certaine distance. Ils montrent encore ce que l’on pouvoit conclure du passage de ce pere, rapporté plus haut, que dans la construction de son télescope, il n’y auroit point eu d’oculaire, les rayons devant être réfléchis parallèlement par le petit miroir, & entrer ainsi dans l’œil. Car Descartes insiste sur ce que l’œil n’y pourroit être mis aussi proche de ce miroir, qu’il étoit nécessaire, devant par cette construction en être éloigné de toute la longueur de la lunette.

Lorsque Descartes prétendoit que, pour voir les objets distinctement avec ces nouveaux télescopes, il falloit qu’ils fussent aussi longs que les autres ; il n’étoit pas difficile de lui montrer qu’il se trompoit. Il oublioit qu’un objectif convexe des deux côtés a son foyer au centre de la sphere dont il fait partie, pendant qu’un miroir concave, & dont la concavité fait aussi partie de la même sphere, a son foyer une fois plus près, c’est-à-dire, à la moitié du rayon. Il n’étoit pas moins facile de répondre à la plûpart de ses autres objections : cependant il est très-vraissemblable qu’elles empêcherent le P. Mersene de s’occuper plus long-tems de ces nouveaux télescopes, & lui firent abandonner le dessein de les perfectionner, ou d’en faire exécuter. Tel est le poids des raisons d’un grand homme, qu’à-peine ose-t-on en appeller. Nous avons dit que ce pere avoit imaginé ce télescope plus de vingt ans avant que Grégorie en eût parlé ; c’est ce qui est prouvé par le tems où ces lettres de Descartes que nous avons rapportées, ont été écrites. On voit par la date de celles qui suivent, qu’elles le furent à peu-près vers le milieu de l’année 1639. Au reste, la vérité nous oblige de dire, que si elles furent écrites dans ce tems-là, elles ne furent publiées que plus de vingt ans après la date de leur premiere impression, n’étant que du commencement de 1666. Ainsi Gregorie ne pouvoit les avoir vues ; mais il auroit bien pu avoir connoissance du traité de l’optique & de la catoptrique du P. Mersenne, d’où nous avons tiré le passage que nous avons rapporté : car la publication de ce traité est antérieure de quinze ans, ayant été imprimé dans l’année 1651.

Il paroît par les paroles de Descartes, que la considération des rayons qui se perdent en passant à-travers le verre, engagea le P. Mersenne à imaginer le télescope de réflexion. Gregorie y fut conduit par une raison à-peu-près semblable ; mais qui étoit d’autant mieux fondée, qu’elle portoit sur l’impossibilité qui paroissoit alors de donner aux télescopes dioptriques une certaine perfection. En effet, comme les verres hyperboliques qu’on vouloit substituer aux verres sphériques, pour produire une réunion plus par-