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tage de la premiere place, étoit de pouvoir donner les premieres louanges à Pallas ? Je ne dis rien de ce qu’on offre les honneurs, les prérogatives de la préture à Pallas, à un esclave ; ce sont des esclaves qui les offrent. Je ne releve point qu’ils sont d’avis, que l’on ne doit pas seulement exhorter, mais même contraindre Pallas à porter les anneaux d’or. Il eût été contre la majesté du sénat, qu’un homme revêtu des ornemens de préteur eût porté des anneaux de fer. Ce ne sont-là que des bagatelles qui ne méritent pas qu’on s’y arrête.

Voici des faits bien plus dignes d’attention. « Le sénat pour Pallas (& le palais où il s’assemble n’a point été depuis purifié) : pour Pallas, le sénat remercie l’empereur de ce que ce prince a fait un éloge magnifique de son affranchi, & a bien voulu permettre au sénat de combler un tel homme d’honneurs. Que pouvoit-il arriver de plus glorieux au sénat, que de ne paroître pas ingrat envers Pallas ? On ajoute dans ce decret, qu’afin que Pallas, à qui chacun en particulier reconnoît avoir les dernieres obligations, puisse recevoir les justes récompenses de ses travaux, & de sa fidélité.... »

Ne croiriez-vous pas qu’il a reculé les frontieres de l’empire, ou sauvé les armées de l’état. On continue. « Le sénat & le peuple romain ne pouvant trouver une plus agréable occasion d’exercer leurs libéralités, qu’en les répandant sur un si fidele & si desintéressé gardien des finances du prince ». Voilà où se bornoient alors tous les desirs du sénat, & toute la joie du peuple ; voilà l’occasion la plus précieuse d’ouvrir le trésor public ! Il faut l’épuiser pour enrichir Pallas !

Ce qui suit n’est guere moins remarquable : « que le sénat ordonnoit qu’on tireroit de l’épargne 15 millions de sesterces (quinze cens mille livres), pour les donner à cet homme ; & que plus il avoit l’ame élevée au-dessus de la passion de s’enrichir, plus il falloit redoubler ses instances auprès du pere commun, pour en obtenir, qu’il obligeât Pallas de déferer au sénat ». Il ne manquoit plus en effet que de traiter au nom du public avec Pallas, que de le supplier de céder aux empressemens du sénat, que d’interposer la médiation de l’empereur, pour surmonter cette insolente modération, & pour faire ensorte que Pallas ne dédaignât pas quinze millions de sesterces ! Il les dédaigna pourtant. C’étoit le seul parti qu’il pouvoit prendre par rapport à de si grandes sommes. Il y avoit bien plus d’orgueil à les refuser qu’à les accepter. Le sénat cependant semble se plaindre de ce refus, & le comble en même tems d’éloges en ces termes :

« Mais l’empereur & le pere commun ayant voulu à la priere de Pallas, que le sénat lui remît l’obligation de satisfaire à cette partie du decret, qui lui ordonnoit de prendre dans le trésor public quinze millions de sesterces, le sénat déclare, que c’est avec beaucoup de plaisir & de justice, qu’entre les honneurs qu’il avoit commencé de décerner à Pallas, il avoit mélé cette somme pour connoître son zèle & sa fidélité ; que cependant le sénat, pour marquer sa soumission aux ordres de l’empereur, à qui il ne croyoit pas permis de résister en rien, obéissoit ».

Imaginez-vous Pallas qui s’oppose à un decret du sénat, qui modere lui-même ses propres honneurs, qui refuse quinze millions de sesterces, comme si c’étoit trop, & qui accepte les marques de la dignité des préteurs, comme si c’étoit moins. Représentez-vous l’empereur, qui, à la face du sénat, obéit aux prieres, ou plutôt aux commandemens de son affranchi ; car un affranchi qui, dans le sénat, se donne la liberté de prier son patron, lui commande. Figurez-vous

le sénat, qui, jusqu’à l’extrémité, déclare qu’il

a commencé avec autant de plaisir que de justice, à décerner cette somme, & de tels honneurs à Pallas ; & qu’il persisteroit encore, s’il n’étoit obligé de se soumettre aux volontés du prince, qu’il n’est permis de contredire en aucune chose. Ainsi donc, pour ne point forcer Pallas de prendre quinze millions de sesterces dans le trésor public, on a eu besoin de sa modération & de l’obéissance du sénat, qui n’auroit pas obéi, s’il lui eut été permis de résister en rien aux volontés de l’empereur !

Vous croyez être à la fin ; attendez, & écoutez le meilleur : « C’est pourquoi, comme il est très-avantageux de mettre au jour les faveurs dont le prince a honoré & récompensé ceux qui le méritoient, & particulierement dans les lieux où l’on peut engager à l’imitation les personnes chargées du soin de ses affaires ; & que l’éclatante fidélité & probité de Pallas, sont les modeles les plus propres à exciter une honnête émulation, il a été résolu que le discours prononcé dans le sénat par l’empereur le 28 Janvier dernier, & le decret du sénat à ce sujet, seroient gravés sur une table d’airain, qui sera appliquée près de la statue qui représente Jules-Cesar en habit de guerre ».

On a compté pour peu que le sénat eût été témoin de ces honteuses bassesses. On a choisi le lieu le plus exposé pour les mettre devant les yeux des hommes de ce siecle, & des siecles futurs. On a pris soin de graver sur l’airain tous les honneurs d’un insolent esclave, ceux même qu’il avoit refusés ; mais qu’autant qu’il dépendoit des auteurs du decret il avoit possédés.

On a écrit dans les registres publics, pour en conserver à jamais le souvenir, qu’on lui avoit déféré les marques de distinction que portent les préteurs, comme on y écrivoit autrefois les anciens traités d’alliance, les lois sacrées. Tant l’empereur, le sénat, Pallas lui-même, eut montré de… (je ne sais que dire), qu’ils semblent s’être empressés d’étaler à la vue de l’univers, Pallas son insolence, l’empereur sa foiblesse, le sénat sa misere.

Est-il possible que le sénat n’ait pas eu honte de chercher des prétextes à son infamie ? La belle, l’admirable raison que l’envie d’exciter une noble émulation dans les esprits, par l’exemple des grandes récompenses dont étoit comblé Pallas. Voyez par-là dans quel avilissement tomboient les honneurs, je dis ceux-même que Pallas ne refusoit pas. On trouvoit pourtant des personnes de naissance qui desiroient qui recherchoient avec ardeur, ce qu’ils voyoient être accordé à un affranchi, être promis à des esclaves. Que j’ai de joie de n’être point né dans ces tems, qui me font rougir comme si j’y avois vécu !

Cette lettre de Pline nous offre tout-à-la-fois un exemple des plus singuliers de la stupidité d’un prince, de la bassesse d’un sénat, & de l’orgueil d’un esclave. Cette épitaphe nous apprend encore combien il y a de momerie & d’impertinence dans les inscriptions prostituées à des infames & à des malheureux, car il n’y a guere eu d’infame plus grand que ce Pallas. Il est vrai d’un autre côté que quand le caprice de la fortune éleve si haut de tels misérables, elle ne fait que les exposer davantage à la risée publique. (D. J.)

TOMBÉ, s. m. (Danse.) pas de danse. On l’exécute en s’élevant d’abord sur la pointe du pié & en pliant après le pas. Veut-on faire, par exemple, un pas tombé du pié droit : il faut avoir le corps posé sur le pié gauché, & les jambes écartées à la deuxieme position, s’élever sur le pié gauche pour faire suivre la jambe droite jusqu’à la cinquieme position, où on la posera entierement à terre. Là en pliant le genou on fera lever le pié gauche. Et le genou droit