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exemple, quand je jette les yeux sur les tombeaux de ces hommes détestés, dont Virgile dit :

Vendidit hic auro patriam, dominumque potentem
Imposuit. Ille fixit leges pretio, atque refixit,
Ausi omnes immane nefas, ausoque potiti.

Enéid. liv. VI. vers 620.

« Celui-ci a vendu sa patrie & l’a soumise au despotisme ; celui là, corrompu par l’argent, a porté des lois vénales, & en a abrogé de saintes. Ils ont commis ces énormes forfaits, & en ont joui indignement ». Quand, dis-je, je vois ces illustres coupables couchés dans la poussiere, j’éprouve une secrette joie de fouler leurs cendres sous mes piés.

Au contraire, quand je lis les plaintes des peres & des meres, gravées sur la tombe de leurs aimables enfans moissonnés à la fleur de leur âge, je m’attendris, & je verse des larmes. Lorsqu’avançant mes pas vers le chœur de l’église, je vois de saints personnages, qui déchiroient le monde par leurs cruelles disputes, placés côte-à-côte les uns des autres, je sens une vive douleur de toutes ces factions, & de tous ces petits débats qui mettent en feu le genre humain. Enfin, quand revenu chez moi, je lis la description des superbes tombeaux de la Grece & de Rome, je me demande ce que sont devenus ces grands hommes qui y étoient renfermés.

Dans ces tas de poussiere humaine,
Dans ce cahos de boue & d’ossemens épars,
Je cherche, consterné de cette affreuse scène,
Les Alexandres, les Césars,
Cette foule de rois, fiers rivaux du tonnerre ;
Ces nations la gloire & l’effroi de la terre,
Ce peuple roi de l’univers,
Ces sages dont l’esprit brilla d’un feu céleste :
De tant d’hommes fameux, voilà donc ce qui reste,
Des urnes, des cendres, des vers !


(Le chevalier de Jaucourt.)

Tombeaux des Péruviens, (Hist. du Pérou.) la description des tombeaux qu’avoient les anciens habitans du Pérou, n’est pas moins curieuse que celle de la plupart des autres peuples. Ces tombeaux bâtis sur le bord de la mer, étoient les uns ronds, les autres quarrés ; d’autres en quarrés longs. Les corps renfermés dans ces tombeaux, étoient diversement posés : les uns debout appuyés contre les murailles, les autres assis vers le fonds sur des pierres ; d’autres couchés de leur long sur des claies composées de roseaux. Dans quelques-uns on y trouvoit des familles entieres, & des gens de tout âge ; & dans d’autres le seul mari & son épouse. Tous ces corps étoient revétus de robes sans manches, d’une étoffe de laine fine, rayées de différentes couleurs ; & les mains des morts étoient liées avec une espece de courroie. Il y avoit dans quelques-uns de ces tombeaux de petits pots remplis d’une poudre rouge ; & d’autres étoient pleins de farine de maïs. Voilà ce qu’en rapporte le P. Feuillée.

Le P. Plumier étant dans la vallée de d’Ylo, y vit une vaste plaine remplie de tombeaux, creusés dans la terre, semblables aux sépulcres ; ma curiosité, dit-il, me porta à voir leur construction. J’entrai dans un, par un escalier de deux marches hautes & larges chacune de quatre piés, & faisant un quarré long d’environ sept piés. Le tombeau étoit bâti de pierres, sans chaux & sans sable, couvert de roseaux sur lesquels on avoit mis de la terre. Son entrée étoit tournée vers l’orient ; & les deux morts encore entiers, étoient assis au fond du tombeau, tournant leur face vers l’entrée. Cette seule attitude fait voir que ces peuples adoroient le soleil, & que ces morts étoient ensévelis devant la conquête du Pérou par les Espagnols, puisque le soleil n’avoit été adoré dans ce va-

ste empire, que depuis le gouvernement des incas.

Les deux morts, ajoute-t-il, que je trouvai au fond du sépulcre, avoient encore leurs cheveux nattés à la façon de ces peuples ; leur habit d’une grosse étoffe d’un minime-clair, n’avoit perdu que leur poil ; la corde paroissoit, & marquoit que la laine dont les Indiens se servoient, étoit extrèmement fine. Ces morts avoient sur leur tête une calotte de la même étoffe, laquelle étoit encore toute entiere ; ils avoient aussi un petit sac pendu au col, dans lequel il y avoit des feuilles de cuca. (D. J.)

Tombeau, s. m. (Tapissier.) espece de lit dont le ciel ou le haut, tombe vers le pié en ligne diagonale. On dit un lit en tombeau, ou absolument un tombeau. Ces sortes de lits ont été inventés pour placer dans les galetas, parce que le toît ou le comble empêchoit qu’on ne leur donnât autant de hauteur aux piés qu’à la tête. Depuis on a mis des tombeaux indifféremment par-tout dans les appartemens qui ne sont pas de parade. (D. J.)

Tombeau de Pallas, (Hist. rom.) nos lecteurs connoissent bien Pallas, affranchi de l’empereur Claude ; il eut la plus grande autorité sous le regne de ce prince. Il avoit été d’abord esclave d’Antonia belle-sœur de Tibere ; c’est lui qui porta la lettre où elle donnoit avis à l’empereur de la conspiration de Séjan. Il engagea Claude à épouser Agrippine sa niece, à adopter Néron, & à le désigner son successeur. La haute fortune à laquelle il parvint, le rendit si insolent, qu’il ne parloit à ses esclaves que par signes. Agrippine acheta ses services, & de concert avec elle, Claude mourut. Quoique Néron dût la couronne à Pallas, il se dégoûta de lui, le disgracia, & sept ans après le fit perir secrettement pour hériter de ses biens ; mais il laissa subsister le tombeau de cet orgueilleux affranchi.

Ce tombeau magnifique étoit sur le chemin de Tibur, à un mille de la ville, avec une inscription gravée dessus, & ordonnée par un decret du sénat, sous l’empire de Claude. Pline le jeune nous a conservé seul entre tant d’écrivains, cette inscription & ce decret, dans une de ses lettres, qui m’a paru trop intéressante à tous égards, pour n’en pas orner cet ouvrage. Voici ce qu’il écrit à Montanus lettre 6. l. VIII.

L’inscription que j’ai remarquée sur le tombeau de Pallas est conçue en ces termes :

« Pour récompenser son attachement & sa fidélité envers ses patrons, le sénat lui a décerné les marques de distinction dont jouissent les préteurs, avec quinze millions de sesterces (quinze cent mille livres de notre monnoie) ; & il s’est contenté du seul honneur ». Cela me fit croire, continue Pline, que le decret même ne pouvoit qu’être curieux à voir. Je l’ai découvert. Il est si ample & si flatteur, que cette superbe & insolente épitaphe, me parut modeste & humble.

Que nos plus illustres romains viennent, je ne dis pas ceux des siecles plus éloignés, les Africains, les Numantins, les Achaiques ; mais ceux de ces derniers tems, les Marius, les Sylla, les Pompées, je ne veux pas descendre plus bas ; qu’ils viennent aujourd’hui faire comparaison avec Pallas. Tous les éloges qu’on leur a donnés, se trouveront fort au-dessous de ceux qu’il a reçus. Appellerai-je railleurs ou malheureux les auteurs d’un tel decret ? Je les nommerois railleurs, si la plaisanterie convenoit à la gravité du sénat. Il faut donc les reconnoître malheureux.

Mais personne le peut-il être jamais, jusqu’au point d’être forcé à de pareilles indignités ? C’étoit peut-être ambition & passion de s’avancer. Seroit-il possible qu’il y eût quelqu’un assez fou pour desirer de s’avancer aux dépens de son propre honneur, & de celui de la république, dans une ville où l’avan-